WESTSIDE GUNN - PEACE "FLY" GOD

Cela fait quelques années que Westside Gunn et le collectif Griselda s’imposent comme leaders de l’underground. Avec trois albums en 2020, et l’épilogue de la saga “Hitler Wears Hermes” en 2021, Westside Gunn, au summum de sa popularité, semblait avoir accompli tous ses objectifs.

Et pourtant, dix mois après la parution d’“Hitler Wears Hermes: Side B”, l’auto-proclamé “curateur” de Buffalo est de retour, et prêt à délivrer un projet encore mystérieux intitulé “Michelle Records”, il nous sert tout d’abord une mise en bouche du nom de “PEACE “FLY” GOD”.

Au programme, du drug rap tout ce qu’il y a de plus authentique. WSG mobilise Don Carrera, en charge de la production de la première moitié de l’EP, ainsi que le légendaire Madlib, mais aussi Conductor Williams et Daringer. Et à ses côtes sur leurs instrumentales, deux monstres de la scène underground East Coast : Estee Nack, et Stove God Cook$. Si cette liste vous semble chargée, c’est parce que les titres le sont aussi.

Stove & Nack, un duo aussi fort qu’un Hall & Nash

D’un côté, Stove God Cook$,l’un des personnages les plus récurrents de l’univers Griselda. Hormis Armani Caesar et Conway The Machine, les autres membres de Griselda sont déjà passés aux fourneaux avec lui. WSG n’avait d’ailleurs pas hésité à saupoudrer une touche de Stove sur tout son premier projet de l’année dernière “Hitler Wears Hermes 8”, où le protégé de Roc Marciano avait contribué à 5 des 13 titres.

De l’autre, Estee Nack, c’est plutôt une des merveilles cachées de cette nouvelle scène du drug rap. Westside Gunn n’avait pas hésité à le solliciter pour le sublime “Banana Yacht” de 2019 et le posse cut “Frank Murphy” tiré du projet “WHO MADE THE SUNSHINE”, où Westside Gunn avait lui-même fait le choix de ne pas rapper. Si, de manière similaire, la première moitié de “PEACE “FLY” GOD” ne sert pas à démontrer les compétences en rap du MC de Buffalo, c’est parce qu’il se cantonne plutôt à son rôle de curateur.

Après une intro sur un instrumental des plus sublimes sur lequel A.A Rashid, l’un des partenaires habituels de Westside Gunn, loue les talents de ce dernier en spoken word comme à son habitude, le Big 3 se lance sur le colossal “Jesus Crack”. Au cours de 8 minutes, les 3 rappeurs se passent le relai sur un morceau instrumental sans percussion, le style de prédilection de WSG. Estee Nack ouvre le bal, de manière à habituer l’auditorat à son flow assez inhabituel, qui rappelle presque celui des rappeurs ELUCID et billy woods, du duo Armand Hammer. A sa suite, le titre bénéficie d’une courte intervention de Westside Gunn, dont le flow paraît presque être ralenti. Stove God, roi des refrains, boucle la boucle à la suite d’un sample du groupe new-yorkais Brand Nubian, qui lui sert de starting-block en plein milieu d’un marathon effréné.

Pour les titres “Ritz Barlton” et “Bobby Rhude”, le capitaine Nack Sparrow prend le contrôle de l’EP. Nackman s’installe sur l’instrumental de “Ritz Barlton” et n’hésite pas à le recouvrir de ses ad-libs fétiches (dont l’ad-lib “ad-lib”). Mais la vraie star de ce morceau, c’est plutôt Don Carrera, qui se sert d’une instrumentation délibérément désaccordée pour en ajouter à l’extravagance du personnage de Nack.

Sur “Bobby Rhude”, c’est plutôt Nack qui prend le dessus et qui conte le chemin l’ayant mené à la “gloire”, un angle similaire à celui pris par Stove God sur “Big Ass Bracelet”. Malgré une tentative de domination de WSG sur la première moitié du titre, Stove offre une performance stellaire, qui trace son ascension jusqu’au point culminant de sa carrière.

Il ne faut tout de même pas oublier que cet EP c’est celui du MC de Buffalo. Et il est là pour le rappeler dans la deuxième moitié, accompagné du Beat Konducta en personne.

Le Flygod ne revient pas seulement en paix

Pour reprendre les choses en main, rien de mieux que de solliciter le producteur californien Madlib. Cette légende de la production, qui depuis près d’une trentaine d’années, a collaboré avec de nombreuses légendes du rap game dont MF DOOM, J. Dilla ou encore Talib Kweli, s’occupe cette fois de la production pour un WSG à la voix posée mais qui délivre ses meilleurs couplets depuis 2020.
Sur le premier de leurs titres de cet EP, “Derrick Boleman”, Westside Gunn se montre particulièrement vicieux, mais de façon plutôt réflechie (“Skipped the Grammys two years in a row just to watch wrestling” / “R.I.P Virgil, R.I.P Dolph // Come a dollar short, R.I.P your moms”) sur ce magnifique instrumental de Madlib.

Le tandem WSG-Stove se retrouve encore en duo sur le sublime “Horses On Sunset”, un morceau à l’instrumentation presque angélique, qui entre en confrontation avec la violence des MCs qui se servent d’oxymores (“Should’ve shot him 7 times, he could’ve died holy”) et se saisissent d’armes à feu en tant qu’ad-libs.

Autre Conductor, c’est Williams de The Heartbreakers, groupe de producteurs sous l’aile de Griselda, qui met la main à la pâte – ou plutôt à la prod’ – sur le très vivace “Danhausen”. Si d’habitude, Conductor se sert d’un style désaccordé, similaire à celui du “Ritz Barlton” retrouvé précédemment dans la tracklist, cette fois il offre à Gunn un style plutôt déjanté, avec un sample de cuivres des plus fous supporté par une basse des plus prenante, et le MC se montre impitoyable dessus.

Si cette courte collection de morceaux n’a que servi de démonstration à ce dont on doit s’attendre pour le projet “Michelle Records” que nous concocte Westside Gunn, aussi bien en tant que curateur et gestionnaire de talents mais aussi en tant que MC, cet EP est également un moyen pour le Flygod de rappeler à ses fans qu’il n’a pas oublié les fondamenteaux de sa carrière de rappeur.

Peut-être s’élève-t-il avec son ascension sur une scène plus populaire du monde du hip-hop, aux côtés d’artistes comme Tyler, The Creator, Travis Scott ou encore Lil Wayne, mais le curateur de la culture Griselda n’hésite pas à revenir aux bases, et à aider les autres artistes de l’underground – Estee Nack & Stove God Cook$, mais aussi les rappeurs/peintres Starker et Al.Divino, qui se cachent derrière les illustrations de l’EP – à s’élever. Et ce, sans trucages ni améliorations.

Texte : Tarek Diouri–Adequin


Écouter “PEACE “FLY” GOD” de Westside Gunn :