Conway The Machine

Qui est réellement ce grand gars impressionnant à la mine sombre et déterminée, au regard empreint de l’arrogance de ceux qui peuvent se le permettre. On parle de rap. On parle d’un MC qui a renversé la table et qui a replacé sa ville sur la carte. On parle d’un ancien dealer reconverti dans le rap. Ça vous dit quelque chose ? C’est normal, ce sont les States. Mais Conway The Machine, c’est bien plus que ça.

Demond Price vient d’une des villes les plus pauvres de l’upstate New York : Buffalo, The City of Good Neighbors, la Queen City. David Simon et Ed Burns auraient pu y tourner The Wire tant le trafic de drogue et le business de rue sont aussi là-bas les moyens de survie d’une population majoritairement noire, ostracisée dans son propre pays. Conway n’y échappe pas. “Cocaine paid my Moma bills” chantera-t-il plus tard. À 23 ans, il est condamné à de la prison dont il sortira bien décidé à travailler son talent d’écriture. 

On parle de rap. On parle de vrai rap. Un truc viscéral qui s’explique par des maux. On parle d’un grand gars impressionnant par sa prose. Qui force le respect par la manière dont il nous fait entrevoir ses traumas : la prison, l’alcool, la tentative de meurtre dont il a été victime et le meurtre de certains de ses amis proches et de son cousin Machine Gun Black (le frère de Benny) ou la perte d’un nouveau-né qu’il dévoile dans son dernier album, prenant l’auditeur au dépourvu et le frappant en plein cœur.

Conway The Machine, le robot. Celui qui mâche le verbe de façon industrielle et qui ouvre les portes d’une friche inexplorée de façon cathartique. De cette nuit tragique dont il réchappe, il gardera cette paralysie faciale devenue iconique. Il en a fait une force. “Je serai le rappeur avec le visage paralysé le plus dingue que vous ayez jamais entendu”, déclarait-il lors d’une interview.

Conway, c’est aussi la composante la plus thug de Griselda, groupe et label fondé par Westside Gunn, son frère paternel, et à qui s’ajoute Benny The Butcher, leur cousin qui est loin d’être un second couteau. Ça en fait l’équipe la plus solide depuis le Wu-Tang dont ils sont un peu les héritiers. Mais encore une fois, ils sont davantage que cela.

Avec Conway, tout est affaire de lourdes pertes et de gros gains. Comme se balader sans escorte dans Harlem avec l’équivalent en valeur d’un pavillon de banlieue autour du cou, véhiculant le mindset d’un narco : vivre aujourd’hui. Le Carpe Diem du G, le poète de la mort.

Alors qui est Conway ? On ne résume pas un type capable de sortir autant d’albums et de mixtapes sur un laps de temps de quelques années en gardant une telle consistance, en quelques lignes. Conway, ce sont des centaines de textes d’une densité et d’une teneur poétique folle. C’est la puissance de Dostoïevski et la force de l’image de Donald Goines.

Conway est déjà un monument du rap. Sa légende le précède, son aura plane sur Paris à quelques heures du concert, les hip-hop heads et les old timers sont de sortie, l’ambiance s’électrise comme une fin d’après-midi orageuse un jour d’été. Les gens se croisent, acquiesçant un gimmick d’initiés, partageant une bière entres amis ou nouant une rencontre furtive le temps d’un check. Conway réussit aussi à faire ça.

Dans le sillage de son concert parisien le 27 mars dernier, on a eu l’opportunité de poser une poignée de questions à ce grand gars sombre mais accessible, toujours chaleureux avec son public.


iHH™ Magazine : Conway, merci d’être avec nous, comment se passe ta première fois à Paris ? 

Conway The Machine : Mec, c’est incroyable ! J’adore Paris, j’adore l’énergie, j’apprécie énormément l’accueil qui m’a été fait ce soir par les fans, par les habitants de Paris. J’adore tout ce truc !

iHH™ Magazine : On voit que tu mets énormément d’énergie dans ce que tu fais. D’ailleurs, on voulait savoir : quand as-tu su que ta carrière allait vraiment exploser à un niveau international ? Que c’était le point de bascule ?

Conway The Machine : Je dirais probablement quand on a fait “Dr. Birds” avec mon frangin. Ouais, c’est quand on a fait la chanson “Dr. Birds” [qui apparaît en 2019 sur le premier album Griselda sorti via Shady Records, le label d’Eminem – NDLR]. On a fait le festival Rolling Loud ensuite, ou un concert de ce style, et c’est là que j’ai plus ou moins compris que j’allais prendre de l’envergure.

iHH™ Magazine : Où te vois-tu dans les années à venir, où comptes-tu mener ton label, ta musique ?

Conway The Machine : Tu sais, je veux emmener Jae Skeeze et Love The Genius [Jae Skeeze et Love The Genius sont les deux artistes que Conway a récemment signés sur son label Drumwork Music – NDA] au sommet, tu vois ce que je veux dire ? J’ai la chance d’avoir croisé le chemin des deux artistes les plus dingues qu’il m’ait été donné de rencontrer ces deux dernières décennies. On va faire des films et de la télé aussi, tu vois, je vais encore être dans le coin pour un bon bout de temps. La seule limite, c’est le ciel ! Il n’y a pas de toit sur ce bordel, tu vois [rires] ? “God don’t make mistakes”. Peu importe où je vais, je remercie Le Plus Haut pour ça, mais tu sais, je suis préparé pour ça. Je suis totalement prêt. Love !

Propos recueillis par Shooker

Photos : Cyril Zannettacci / VU’

Lumière et ambiance : JC & Stekri