Rédaction : Sébastien Muzi
Photo : Maude Jonvaux

Nouvelle soirée pour Nancy Jazz Pulsations, nouvelle programmation aux petits oignons. Sous le chapiteau de la Pépinière, nous retrouvons trois formations qui repoussent les limites du jazz, décloisonnent et explorent le groove dans tous ses états, de l’ambient à l’électronique minimaliste en passant par des titres rock sans jamais omettre (évidemment) le hip hop.

QUESTIONNER LES DYSHARMONIES

La soirée démarre avec un projet qui représente fièrement la nouvelle scène anglaise du jazz, bien que le terme soit relativement fourre-tout. Le duo Binker & Moses a une patte expérimentale que l’on pourrait, au moins, qualifier de notable.

Avec Binker au saxophone et Moses à la batterie, les acolytes se muent en trio pour l’occasion. Max Luthert est le troisième architecte, œuvrant aux claviers et machines, entre autres câblages et bidouillages sonores. Le but ici est surtout de créer des plages musicales, au sein desquelles les notes de saxophone, tantôt nerveuses tantôt langoureuses, se perdent puis reviennent au devant. Le tout est soutenu admirablement par la batterie qui se charge de chapitrer la prestation.

Avec le souci du détail et de la logique, la soirée se poursuit avec une autre formation issue de la nouvelle scène anglo-saxonne. Les nombreux musiciens de Kokoroko prennent place, déterminés à remplir nos oreilles de bonnes ondes et d’afro jazz dansant.

JAZZ MONDE

Sur scène, on perçoit instantanément une grande richesse. Comme beaucoup, nous avions découvert il y a quelques années le titre solaire « Abusey Junction » issu du premier EP éponyme du groupe et nous avions hâte de les retrouver sur scène.

Fort d’un premier passage au sein du festival Nancy Jazz Pulsations en 2019 sur la scène du Magic Mirrors, Kokoroko s’offre cette fois-ci la grande scène et défend un premier album intitulé « Could We Be More », sorti début août 2022 et qui semble renfermer toute l’essence multiculturelle de la musique de Sheila Maurice-Grey, Cassie Kinoshi et du reste de la joyeuse bande.

Le groupe déploie sur scène une énergie radieuse, on parlait un peu plus tôt d’afro jazz, mais il faut bien reconnaître que les influences qui forgent la musique de Kokoroko sont si multiples que le fait d’y accoler un style n’a pas vraiment de pertinence. Les titres sont à l’image des musiciens, ils se chargent d’afrobeat, de musique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest, de sonorités très « londoniennes » puis caribéennes, d’électronique. On vogue sans arrêt, et c’est bien là le postulat du groupe, se défaire d’une géométrie figée, cultiver le multi culturalisme, l’universalité et la richesse qui en émane.

Kokoroko nous fait danser, rêver, relativiser, danser à nouveau. On aimerait les garder un peu plus longtemps sur scène devant nous tant les titres présentés font du bien à l’âme, chaque musicien peut exprimer toute l’étendue de son talent. Le live est intelligemment construit, tout est limpide et on s’y retrouve à chaque instant. Il faut impérativement garder un œil sur la suite des aventures de Kokoroko, qui reste une formation relativement jeune. Pour le deuxième album, il est urgent d’attendre !

Direction les Etats-Unis pour le dernier acte de la soirée. Et quel acte. Au moment d’attendre l’arrivée de Snarky Puppy, c’est toujours le même frisson.

SNARKY ROCKY PUPPY

Le collectif massif débarque. Il y a, comme à l’accoutumé, toute une foule en effervescence sur scène. Toute la fusion du projet jaillit rapidement. Les guitares répondent au violoniste et aux claviers, les cuivres ne se montrent pas en reste et fonctionnent à merveille avec les percussions et la batterie. Des conversations croisées se tiennent sous nos yeux.

Le groupe défend un nouvel album « Empire Central » (label : CORE PORT) sorti le 28 septembre 2022. La direction artistique récente semble vouloir appuyer les accents rock du groupe. A l’image du nouveau titre « Trinity », alliant un certain mysticisme aux solos nerveux du guitariste ou encore sur « Keep It On Your Mind », introduction du nouvel album qui ouvre également le concert de ce soir. Sur ce dernier, la guitare saturée apparaît seule, avant d’être rattrapée par le reste de l’équipage sonore.

Le set est extrêmement équilibré, à la fois incisif par instants, puis dansant. Snarky Puppy invite Sheila Maurice-Grey de Kokoroko à les rejoindre pour un titre au trombone, le genre de surprise et d’inédit que l’on aime plus que tout.

Le groupe n’oublie évidemment pas de nous régaler en interprétant le fameux « Lingus » lors du rappel. Avant cela, les titres fraîchement parus « Broken Arrow », « East Bay » ou encore « Bet » ont su ravir un public acquis à la cause de Snarky Puppy. Au risque de le répéter, le rendu en live est bien plus rock que dans nos souvenirs des précédentes dates européennes du collectif, et ce n’est pas du tout pour nous déplaire.

C’est une nouvelle soirée bien remplie qui touche à sa fin. On repart une fois de plus avec l’esprit chargé de rythmes, de sons du monde entier et l’envie d’en avoir toujours plus. Merci à Nancy Jazz Pulsations d’avoir systématiquement une proposition unique en son genre, avec des plateaux de haute volée et de la musique précieuse.