iHH™ Magazine part à la rencontre d’Obaida, producteur, beatmaker et compositeur depuis 1996. Pendant des années, il a fait partie du duo Soulchildren sous le nom de Nicko en compagnie de Lionel. Ils se sont séparés depuis 4 ans après avoir collaboré avec une impressionnante palette de MC’s et de rappeurs : Flynt, Youssoupha, Akhénaton, Sefyu, Keny Arkana, Disiz La Peste, Sexion d’Assaut, Georgio, Scred Connexion, Mokless, Demi Portion entre autres.

Après toutes ces années passées dans le rap, son envie de créer autre chose musicalement est venue naturellement. C’est en faisant un voyage à Tokyo qu’il a découvert une île artificielle nommée Odaiba. Il a tout de suite accroché sur ce nom et l’a donc gardé pour ses projets aux sonorités plus électroniques.

Interview : Claude GALAN
Photos : Cebos

“Un mec qui fait du son n’entend et n’écoute pas la musique comme tout le monde.”

iHH™ Magazine : Comment t’es-tu mis au hip-hop ?

OBAIDA : En 1990, à Gennevilliers, j’ai entendu le morceau de Public Enemy “Contract On The World Love Jam” [massive intro de l’album “Fear Of A Black Planet” sorti en 1990 chez Def Jam – NDLR]” . Lorsque j’ai entendu ces scratchs [signés Terminator X – NDLR] et cette boucle incessante, je me suis dit : “c’est ce que je veux faire”. J’avais 13 ans.

iHH™ Magazine : Qu’est ce qui t’a poussé à te lancer dans le beatmaking ?

OBAIDA : J’ai commencé la musique en tant que DJ pour un groupe. J’ai mixé pendant quelques années à la radio Générations 88.2 dans différentes émissions. J’étais aussi sur scène avec Princess Aniès. Naturellement, je me suis intéressé à la production. C’est l’étape suivante après le deejaying.

iHH™ Magazine : Quelles sont les beatmakers qui t’ont initialement influencé ?

OBAIDA : Ceux qui m’ont influencé dans le rap sont très très nombreux : DJ Premier, Pete Rock, Diamond D, Buckwild et tout le D.I.T.C., Madlib, Timbaland, Dr. Dre, Hi-Tek, Easy Mo Bee, Nottz, DJ Mehdi… Plus largement, au-delà de la sphère rap, les Pink Floyd, Supertramp, Dire Straits et Mark Knopfler, Quincy Jones, Ennio Morricone, Francis Lai, Michel Legrand, Alain Mion et Cortex. Mes références sont infinies. Un titre ou un album en appelle un autre. Un mec qui fait du son n’entend et n’écoute pas la musique comme tout le monde. Il analyse toujours ce qu’il pourrait faire de telle ou telle partie d’un morceau.

Photo : Cebos

iHH™ Magazine : Quelle a été ta première configuration en termes de matériel ?

OBAIDA : Ça a été un Akai S2000 avec un PC et je suis vite passé sur MPC 2000 XL. Puis il y a eu Cubase ; j’ai utilisé ce logiciel pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, je suis sur Ableton Live 10 avec énormément de plugins. Je travaille même avec eux pour des workshops. Ainsi, j’ai changé ma façon de produire. Je compose beaucoup plus. J’utilise toujours des samples mais de façon plus discrète.

iHH™ Magazine : Quels sont les premiers artistes à avoir posé sur tes instrus ?

OBAIDA : Les premiers ont été 3 Griffes, un groupe qu’on avait monté avec des potes : Assaf, Raid, DJ Dimé et moi. Quelques années plus tard, DJ Dimé deviendra le DJ de Diam’s.

“Ressasser le passé n’est pas ma façon d’être. “

iHH™ Magazine : Avec Lionel, vous avez créé le célèbre duo de beatmakers Soulchidren. Qu’est-ce qui a provoqué votre séparation ?

OBAIDA : Comme le dit Damso : “plus le chemin est long, plus les routes se séparent“. Soulchildren fut une belle expérience. Mais je pense toujours au futur. Ressasser le passé n’est pas ma façon d’être. Je pense déjà à comment je pourrais développer ma nouvelle musique. À comment la faire connaître. Comment pourrais-je toucher plus d’auditeurs ? Quels projets pourrais-je sortir ?

iHH™ Magazine : As-tu une anecdote, un moment magique de production, avec un artiste avec lequel vous avez collaboré ?

OBAIDA : Je pense que c’est pour “L’Effet Papillon”, le morceau de Youssoupha. Au début, je n’étais pas très chaud sur l’instru. Nous avions des palettes de prods à n’en plus finir. Pour moi, il y avait bien mieux que cette instru. Et puis, quand nous avons écouté le morceau fini, la magie avait opéré. Le refrain, le mixage du son, les couplets de Youss’. Je n’avais pas réalisé le potentiel de ce morceau. Cet épisode m’a permis de réaliser à quel point l’objectivité, le recul et la remise en question étaient essentiels pour notre évolution. Après la séparation des Soulchildren, j’ai recommencé à faire des beats en solo. Un son en particulier m’a interpellé. Je l’écoutais plusieurs fois par jour. Je me suis dit que si je l’envoyais à Youssoupha, il le garderait. Je lui ai donc envoyé l’instru “Alleluia Export” mais avec mon mail Odaiba. Il ne savait donc pas que c’était moi. On se parlait via mail, je lui envoyais des instrus qu’il gardait pour “Polaroid Experience”. Ce n’était pas une moquerie mais plutôt un processus pour qu’il ait une oreille non influencée. Ce qui a fonctionné directement. J’ai fini par lui dire que c’était moi au bout de plusieurs instrus choisis. De plus, après une séparation, on se demande toujours si on est capable de bien faire seul, sans l’oreille objective de son double musical, de placer pour des artistes comme Youssoupha. Tout est une question d’ego.

iHH™ Magazine : Tu reviens avec “Locus”, un premier EP plus électronique et un nouveau blaze : Odaiba. Peux-tu nous expliquer le processus d’évolution qui t’a amené vers ces nouvelles sonorités, ce nouveau projet ?

OBAIDA : J’avais envie de partir sur autre chose. Le processus de production pour le hip-hop est très souvent le même. Les BPM, les rythmiques, les boucles… Avec ce projet, j’ai essayé de me mettre en difficulté avec d’autres rythmiques, d’autres BPM et d’autres façons de faire évoluer ma musique : beaucoup plus de séquences dans le même morceau.

“Chaque morceau réalisé me faisait penser à un endroit que j’ai visité.”

iHH™ Magazine : Comment as-tu réalisé cet EP en terme temps et de choix des morceaux y figurant ?

OBAIDA : J’ai d’abord produit beaucoup de morceaux pour me retrouver avec une bonne palette. Ensuite, mon processus est souvent le même : si j’aime le morceau 2 mois après, c’est que je tiens le bon bout. Je cherche souvent des ambiances, je décortique toutes mes rythmiques. Je cherche le groove, le truc qui fait bouger la tête. J’aime aussi l’élégance rythmique. Ça, il n’sy a que les geeks du beatmaking qui comprendront. Chaque morceau réalisé me faisait penser à un endroit que j’ai visité. J’ai tout simplement attribué à chaque titre un quartier de chaque ville.

Photo : Cebos

iHH™ Magazine : Et comment la pochette de cet EP a-t-elle été réalisée ?

OBAIDA : Elle a été réalisée par tizieu.com. Nicolas est une personne que je ne connais pas depuis un bout de temps. Je lui ai alors proposé ce projet. Dans un premier temps, nous avons cherché le concept. Ensuite, il est passé sur la réalisation. On est parti sur une base de mots, d’ambiance et surtout sur une idée relativement précise.

iHH™ : Avec quel matériel as-tu produit ce EP ?

OBAIDA : Il a été réalisé avec Ableton Live 10, un push 2 et un clavier maître Komplete. Très peu de samples et beaucoup de plugins : Komplete 12, Omnisphere 2, Output series, Repro 5, Keyscape, UVI Falcon entre autres.

iHH™ Magazine : Sur ton site, on peut lire pour te définir : “producteur – beatmaker – compositeur”. Peux-tu nous expliquer la différence entre les trois appellations ?

OBAIDA : Le beatmaker est clairement celui qui réalise l’instrumental. Le producteur sera beatmaker mais il aura aussi une vision du morceau final, un rôle de réalisateur, il donne son avis : il compte. Le compositeur est plus dans un registre d’écriture de notes, de composition sans samples. Le producteur exécutif est celui qui mettra l’argent pour construire et développer le projet. Les trois sont étroitement liés : le but étant de faire de la musique.

iHH™ Magazine : Quel regard portes-tu sur l’évolution du matériel qui rend accessible à tous l’art du beatmaking ?

OBAIDA : Le fait que le matériel soit accessible à tous est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Maintenant, nous pouvons tout faire avec un ordinateur (enregistrer, mixer, masteriser, prise de voix…). Ainsi, il y a un nombre impressionnant de sorties dans un paysage qui privilégie le résultat et l’efficacité. Il y a des semaines où il y a jusqu’à 25 sorties. Comment peut-on apprécier un album ou un EP à cette vitesse ? Sans faire le puriste, à l’époque, chaque sortie était un évènement. Aujourd’hui, les projets meurent étouffés dans la masse. Alors, effectivement, il est bien que les jeunes puissent faire de la musique, s’exprimer, s’émanciper. Et puis, comme on le dit dans les quartiers : “quand tu fais de la musique, t’as pas le temps pour faire des bêtises“. Ton esprit est focus sur les projets musicaux.

iHH™ Magazine : Quel sont tes projets en ce moment ?

OBAIDA : En ce moment je suis dans la composition de mon prochain en EP. Je travaille aussi avec Red Bull, Ableton France et la Music Producer Convention pour me diversifier. Je fais des workshops afin de ne pas mettre de côté la transmission du savoir.

iHH™ Magazine : Pour finir, as-tu un ou des conseils à donner à un beatmaker qui commence ?

OBAIDA : Je pense qu’il faut organiser son travail. J’utilise la règle du 2/3, 1/3. 2/3 du temps à faire du son et 1/3 du temps à démarcher, trouver des projets, des contacts. Énormément de personne font l’erreur de produire tout le temps. Les morceaux finissent dans des disques durs et ne sortent jamais.

Pour en savoir plus : http://www.odaibamusic.com