HYL est un artiste atypique de la scène rap française. Il prend les traits de trois personnages différents (Exclamation, Interrogation et Suspension) en fonction de son humeur. Sur sa première mixtape “Ponctuation”, disponible depuis le 4 septembre, on passe ainsi d’une trap acide et rageuse à une ballade poétique sur un air de piano. L’artiste originaire de Toulouse s’est entretenu avec iHH™ MAGAZiNE pour nous permettre de mieux comprendre son rap “schizéclectique”.

Interview : Dorian Lacour

iHH™ : Salut HYL, alors revenons sur le début de ta carrière, tu avais été mis en lumière par le prix d’écriture Claude Nougaro. On pense tout de suite à BigFlo & Oli qui étaient passés par là. Tu penses que c’est un réel tremplin pour des jeunes artistes à Toulouse ?

Pour moi ça l’a été, ça a été un super tremplin. Le prix Nougaro a toujours su répondre à mes besoins, il y avait des lots prédéfinis pour le vainqueur et ils ont été transformés pour s’adapter à ce dont j’avais besoin. Ils m’ont balancé sur le Métronum [une salle de concert réputée à Toulouse – NDLR], pour la première partie de Maxenss, j’ai été coaché pour le live. Une coach scénique, Virginie, m’a aidé à améliorer l’idée qu’on avait à la base. Ils m’ont mis en contact avec Clément Libes et j’ai pu aller au studio La Tanière, c’est eux qui vont faire mon premier EP après cette mixtape d’ailleurs, j’ai fait une interview pour viàOccitanie, donc oui ça a été un vrai step-up. Ils sont très présents, ça a été une belle aide, on aurait même du faire Les Déferlantes cette année sans le COVID, ça aurait été la cerise sur le gâteau. J’ai incité tous les artistes à qui j’en ai parlé à Toulouse à le faire, parce que c’est une aide formidable. 

iHH™ : Ta carrière a débuté il y a quelques années, sur Soundcloud d’abord, tu passes à la vitesse supérieure en 2020 ? 

Oui complètement. Le projet on l’a réfléchi depuis fin 2017 et il s’est construit tout 2018. Je suis dans le musique depuis que je suis tout petit, j’avais un groupe de hard rock pendant sept ans, je me suis mis au rap après mais ça fait plusieurs années que je rappe. J’ai monté le projet HYL en rencontrant Nick Pearce et puis ça a pris de l’ampleur. On a fait des clips grâce à un crowdfunding, à la base on devait juste sortir un premier EP, mais avec le COVID on s’est dit que sans concert ça n’allait pas être possible alors on a envoyé cette mixtape qui a été finalisée pendant le confinement. “Ponctuation” est une opportunité d’ouvrir des portes et comme tu l’as dit de passer à la vitesse supérieure. 

iHH™ : Tu as un style absolument unique que tu qualifies toi-même de “schizéclectique” avec ces trois personnages distincts, pourquoi avoir fait ce choix ? 

J’ai rappé pendant cinq ans sans vraiment me prendre la tête, et je suis arrivé à un moment où je me suis dit “soit tu continues de faire ça comme ça en continuant ta carrière de graphiste directeur artistique à-côté, soit tu t’y mets vraiment”. Alors j’ai repris tout ce que j’avais écrit, j’ai tout imprimé et je me suis rendu compte que j’avais trois manières d’écrire, une joyeuse, une introvertie et une plus énervée. Je me suis dit que j’allais les personnifier pour en faire un projet au-delà de la musique. J’ai réfléchi à ces personnages, je suis allé voir Nick Pearce en lui disant que j’avais les trois. De là on avait vraiment un cadre et on avait envie de tout professionnaliser. Exclamation, Interrogation et Suspension sont nés comme ça, on les affine de jour en jour. 

iHH™ : Ce processus rappelle un peu Stupeflip, ils font partie des artistes qui t’ont influencé ? 

Stupeflip m’ont influencé pour le live surtout, j’ai pris une grosse claque quand j’ai vu leur concert au Bikini à Toulouse il y a quelques années, c’était extrêmement théâtralisé. J’avais vu Hippocampe Fou après et je me suis dit que c’était ça que j’avais envie de faire, ramener une pièce de théâtre sur une scène rap. Donc Stupeflip m’a influencé sur le live oui, mais pas vraiment sur la musique. 

iHH™ : Justement, quelles sont tes inspirations dans la musique ? 

Je viens pas du rap à la base, pendant longtemps j’écoutais du rock, du hard rock, du reggae, de l’electro… En rap ce qui m’a vraiment influencé c’est Hocus Pocus, Grand Corps Malade m’a influencé dans sa manière d’écrire pour Suspension, et tout le rap actuel influence Exclamation. Des artistes comme Kery James, Keny Arkana, Davodka, Bigflo & Oli, La Smala aussi m’ont influencé. Je suis allé piocher un peu partout sans oublier d’où je venais, ça se voit bien avec la partie agressive de mon rap, c’est limite metal. 

De gauche à droite, Interrogation, Exclamation et Suspension, par Edouard Ducos

iHH™ : Revenons à ta mixtape, “Ponctuation”, ça semble évident mais elle s’appelle comme ça en référence au nom de tes trois personnages ? 

Exactement, quand on a commencé on avait aucun morceau mais j’avais déjà envie d’appeler cette mixtape “Ponctuation”. Je trouvais que c’était une manière d’être clair, pour que les gens s’approprient les personnages, leur dire de regarder la ponctuation à la fin de chaque titres pour qu’ils sachent à quel personnage ils ont à faire. 

iHH™ : Je voulais t’en parler d’ailleurs, tu as poussé le délire encore plus loin parce que chaque titre se termine par le signe de ponctuation qui correspond au personnage qui rappe la majorité du morceau…

C’est un truc qui restera, j’ai eu l’idée de faire ça très rapidement. C’est important aussi parce que des gens ne vont aimer que Suspension, d’autres que Interrogation, donc ça permet d’avoir un code. Mais par exemple sur la mixtape il y a un morceau qui s’appelle “S’il vous plaît..!” qui regroupe deux personnages et qui a donc les deux ponctuations qui leur sont propres. On va faire des feats entre les personnages de plus en plus souvent.

iHH™ : Mais dis-moi, c’est pas un peu bizarre de faire un featuring avec soi-même ? 

Alors c’est très bizarre au début. En studio c’est particulier et ça a demandé une préparation bien plus poussée que sur les autres morceaux, parce qu’il faut enregistrer des maquettes avec chaque personnage et se répondre. Pour l’entrainement aussi chez moi c’est assez schyzo, je change de voix en fonction du personnage, mes colocs me prennent pour un fou ! Mais c’est bien parce que ça ouvre le champ des possibles, et ça permet de faire des passe-passe. J’ai toujours rêvé d’avoir un crew et mes potes ne rappent pas, ils me soutiennent énormément mais ce ne sont pas des rappeurs, donc je nourris cette envie d’avoir un crew en faisant des passe-passe entre mes personnages. C’est toujours impressionnant, par exemple je suis les Y-Bros et je trouve ça trop fort ce qu’ils font. 

De gauche à droite, Interrogation, Exclamation et Suspension, par Edouard Ducos

iHH™ : Chaque personnage est associé à une émotion, ça te facilite l’écriture ? 

Disons que quand j’écris, des fois je me dis que j’écris pour tel personnage mais bien souvent c’est à la fin, quand je regarde le texte après avoir écouté la prod° que je décide qui va rapper quoi. Effectivement un texte hyper en colère je ne vais pas le donner Suspension, mais ça peut devenir un feat justement. Si je trouve qu’il y a un peu de lumière dans un morceau sombre je peux faire ça. D’ailleurs je ne les considère pas comme une schizophrénie, mais comme des triplets. Pour moi ces personnages ne sont pas une maladie mais plus des traits de caractère que l’on a tous au fond de nous.

iHH™ : Il y a une particularité, c’est que de nombreux morceaux de “Ponctuation” créditent les beatmakers en featuring. C’est une démarche assez rare dans le rap français, pourquoi avoir choisi de le faire ? 

Parce que dès le début je n’ai jamais acheté une prod° sur Internet à un gars que je ne connaissais pas. Je viens de la musique rock et à la base c’est un ensemble de musiciens qui donne un bon morceau. Que le rappeur prenne toute la lumière je trouve pas ça normal, quand on fait une collaboration avec un rappeur ou chanteur il est crédité alors pourquoi pas le beatmaker ? La question ne s’est pas posée, ils font 50% du taff donc c’est normal en fait. Tous les beatmakers avec qui je travaille sont devenus des amis, des fois ils ne veulent pas apparaitre, mais s’ils le souhaitent c’est tout à fait normal qu’on les mentionne. Le rap a effacé les compositeurs en fait, les rappeurs prennent toute la gloire, c’est dommage. Je n’aime pas trop cet aspect de la culture rap, moi si je peux mettre dans la lumière les beatmakers c’est important parce que sans eux il n’y a pas de HYL. 

iHH™ : En parlant de beatmakers, le morceau “J’sais pas…” produit par Ødyssee a rencontré un joli succès sur YouTube, il est vu plus de 20 000 fois au moment où on parle. Tu t’attendais à ce que le plus gros succès soit un morceau très mélancolique ? 

Tu m’aurais posé la question il y a un an je t’aurais dit non. Maintenant, après pas mal de concerts et de nombreux retours, je vois que le personnage Suspension marche beaucoup. Je suis apprécié pour mon écriture et c’est le personnage où elle est la plus poussée, même si je me trouve plus facile sur des prod° old school hyper souriantes. Pour répondre à ta question, ça ne me surprend pas.

iHH™ : Et justement, tu as choisi de présenter chacun de tes trois personnages dans des singles avec l’enchainement “Parce que!” “Pourquoi ?” “J’sais pas…”, en fait ces morceaux sont pensés comme des portraits ? 

Oui et je suis allé dans un certain extrême sur chacun, le premier [“Parce que !” – NDLR] est sur une instru funk electro, c’est limite même plus du rap. Pour Interrogation c’est de la trap vraiment crade, et le dernier, Suspension, plonge dans un univers hyper triste avec les dessins animés sombres… Je voulais aller dans des univers très marqués, pour que les gens comprennent qu’il y a trois personnages complètement différents.

iHH™ : Comment est-ce que ton audience réagit, tu sens qu’une de tes personnalités tire davantage son épingle du jeu ? 

Volontairement il y a Exclamation qui ressort plus que les autres parce que c’est le rap que j’ai eu le plus facilement. Il est plus présent que les deux autres, je l’utilise souvent pour faire un feat avec les autres d’ailleurs, c’est lui un peu le chef de file. Quand je rentre sur scène je suis comme ça et quand je sors de scène je suis comme ça, entre temps les deux autres apparaissent. Le plus naturel c’est Exclamation, même si Suspension est très apprécié c’est pas pour ça qu’il prendra le lead. 

iHH™ : Tu écris aussi facilement les textes des trois, où y en a-t-il sur lequel tu as plus de difficultés ? 

J’écris aussi facilement pour Exclamation et Suspension. Interrogation un peu moins parce que c’est des trucs plus techniques, souvent des bouts de phrases que je superpose. À l’inverse des deux autres j’ai envie qu’il soit moins présent, qu’il soit un peu comme l’ombre qui fait peur et qui apparait de temps en temps. 

iHH™ : Il y a aussi une très grande variété de prod° et de flows sur ton album, tu ne te cantonnes pas à la trap. C’est essentiel pour toi de ne pas se fermer dans un style de hip-hop ? 

Oui mais ça peut être dangereux, on m’a déjà mis en garde parce que je faisais quelque chose de super éclectique. Je pense qu’aujourd’hui vu la quantité de sorties rap les gens écoutent vraiment de tout. J’ai envie qu’on dise que quand tu écoutes du HYL tu ne sais pas à quoi t’attendre. Le rap a cet avantage de mettre des mots sur n’importe quel style de musique, c’est pas impossible qu’un jour je fasse un feat avec des artistes hard rock. Les gens sont prêts, ils ont l’habitude d’entendre du rap de 36 000 façons différentes. 

HYL sous les traits d’Exclamation, en live au FGO-Barbara (Paris 18e), par Martina Bica

iHH™ : Je voulais aussi parler de la pochette, tu travailles avec Nick Pearce que tu as déjà évoqué, et qui a une patte très cartoonesque…

Oui c’est ça, son nom d’artiste c’est @nopants_man et on réfléchit tout ensemble. Je suis admiratif de son travail, il y a quelques temps j’avais un projet avec Hoodie Boy qu’on a depuis retiré de toutes les plateformes et je lui avais déjà demandé de voir pour la pochette alors qu’on ne se connaissait pas vraiment. C’est ça qui a été le début de notre collaboration, il garde cet aspect visuel afin que tout soit identifiable. Du dessin dans le rap il y en a moins en ce moment et nous on baigne là-dedans, on est deux graphistes, lui en plus est dessinateur pro donc c’est essentiel d’avoir cette identité visuelle forte.

iHH™ : Comment est-ce-qu’on fait, en tant qu’artiste en développement qui plus est pas signé en label, pour se faire remarquer ? 

Si j’avais le secret je le garderais pour moi ! Franchement je n’ai pas la solution, je m’arrache la tête, je bosse dessus tous les jours, c’est que des rencontres, des coups de chance, des tonnes et des tonnes de mails envoyés pour peu de réponse. J’ai des potes qui me soutiennent et une communauté sur Instagram qui donne de la force, c’est eux le principal média aujourd’hui. Les tremplins comme le prix Nougaro ou le Play It Indie m’ont aussi donné de la force, et la sauce prend petit à petit. J’ai la chance d’avoir une équipe de potes qui me soutient alors qu’on est pas en maison de disque. C’est un travail d’acharnés pour peu de résultats, c’est souvent frustrant, mais tant qu’on y croit il faut y aller, on gagne du terrain petit bout par petit bout

iHH™ : Qu’est-ce-que tu souhaites avec cette mixtape ? 

C’était important d’avoir un projet dispo partout, déjà pour qu’à la fin des concerts les gens aient quelque chose à écouter. Ensuite, s’impliquer au maximum dans l’EP qui arrive en 2021, toujours faire des efforts dans les clips parce que ça c’est une vraie force qu’on a. On espère que ça va toucher des pros, on ne prétend pas vouloir rester en indé indéfiniment, on espère que ça va ouvrir des portes. L’EP va encore appuyer ça, on s’applique vraiment pour faire les choses bien. 


Vous pouvez écouter la mixtape “Ponctuation” de HYL juste ici :