
C’est l’un de ces jours où le ciel semble vouloir rivaliser avec les artistes en haut des affiches. Samedi 8 juin, les Francofolies d’Esch-sur-Alzette ont déroulé leur plus belle journée de festival, baignée dans un soleil éclatant. Sur les hauteurs boisées du parc de Gaalgebierg, la chaleur écrasante n’a pourtant rien entamé de l’énergie d’un public venu en nombre célébrer la musique vivante.
Avec trois scènes disséminées dans l’écrin naturel du parc — la Grande Scène, la Clairière (nouvelle venue cette année), et le Jardin — la journée a offert une programmation riche et éclectique.
Symphonie musicale
Le coup d’envoi local est donné sur la nouvelle scène de la Clairière par Maz qui confirme sa mue artistique. Longtemps affilié à une scène hip-hop plus brute, il propose aujourd’hui un mélange à la croisée des genres, entre rap et rock emo des années 2000. On sent chez lui un désir de transcender les genres, de trouver une voix propre dans un paysage souvent formaté. Le public, curieux et réceptif, a répondu avec enthousiasme.
Sur la Grande Scène, la magie opère bientôt avec l’arrivée de Zaho de Sagazan. Pour sa première fois au Luxembourg, elle bouleverse un public déjà conquis. Toute en intensité contenue et en poésie vocale, la jeune artiste française a livré une prestation habitée. Des morceaux comme La symphonie des éclairs ont suscité de longs frissons collectifs. Une révélation pour beaucoup.
Autre moment fort de la soirée, le duo Black Lilys sur la scène du Jardin. Le duo frère-sœur, formé dans la douleur du deuil de leur mère, a livré un set indie pop d’une sensibilité rare. Leur musique, à la fois mélancolique et lumineuse, a flotté avec grâce dans les arbres du parc. Portée par la voix fragile et puissante de Camille et les textures soignées de Robin, leur prestation a touché droit au cœur un public suspendu à chaque mot. Un moment suspendu, comme hors du temps.
Changement radical d’atmosphère avec Meute, la fanfare techno venue de Hambourg qui prend possession de la Grande scène. Leur passage a transformé instantanément l’espace en club à ciel ouvert. Cuivres en feu, percussions martiales, chemises trempées, la fête bat son comble pour les petits comme pour les grands. On les connaît, mais on ne s’en lasse pas.
Puis nous retrouvons un autre local de cette journée, Them Lights, étoile montante de la scène luxembourgeoise. Oscillant entre électro-futuriste et soul planante, le set du producteur-chanteur a capté l’attention dès les premières notes. Avec une maîtrise impeccable de ses machines et une présence magnétique, il a su tisser une atmosphère envoûtante et nocturne malgré le soleil.
Un dernier tour de piste
Enfin, comme un orage attendu en fin de canicule, Shaka Ponk est monté sur scène dans un fracas d’énergie. L’une des dernières dates de leur ultime tournée, et l’émotion était palpable. Les décors sont impressionnants. Frah, toujours aussi électrique se jette dans la foule qui l’accueille à l’unisson. Sam, flamboyante comme à son habitude, déploie toute son énergie et convainc sans peine le public. Tout au long du show, le groupe a multiplié les clins d’œil à leur longue aventure collective. Des classiques comme My Name Is Stain ou I’m Picky ont soulevé la foule comme des hymnes de résistance joyeuse. Les problèmes techniques n’entraveront pas la fête et Shaka Ponk offre à son public une explosion d’énergie pure pour ce dernier tour de piste.
Et que dire du public, justement ? Mobile et enthousiaste, des premiers concerts de l’après-midi aux shows électrisants de fin de soirée, l’ambiance n’est jamais retombée. Une vraie communion, nourrie par la diversité des genres et la générosité des performances.
Car les Francofolies d’Esch, ce n’est pas qu’un festival luxembourgeois : c’est une carrefour culturel européen. À seulement 30 minutes d’Arlon (Belgique), 1h de Metz (France) ou 1h15 de Sarrebruck (Allemagne), le rendez-vous attire un public venu des quatre coins du continent. Les conversations en français, allemand, anglais ou luxembourgeois se croisent dans les allées.
Et pour faciliter cette convergence, un système de navettes particulièrement bien pensé a été mis en place : des bus spéciaux partent de Nancy, Metz, Thionville et Arlon, permettant aux festivaliers de profiter pleinement des concerts jusqu’au bout de la nuit, sans souci de retour. Une initiative saluée par les spectateurs, autant pour son confort que pour son impact écologique.
Quand les dernières basses ont résonné sous la canopée nocturne du Gaalgebierg, un souffle chaud flottait encore dans l’air, mélange de poussière, de bière renversée et d’euphorie. Ce samedi 8 juin restera comme un sommet — dans tous les sens du terme — pour les Francofolies d’Esch-sur-Alzette. Un moment suspendu, entre soleil et sons, entre racines locales et élans universels. Vivement la prochaine montée.
Sébastien Muzi