Bob Marlich n’est pas juste un rappeur, c’est avant tout un musicien, aux influences diverses et souvent éloignées du hip-hop. Son background musical lui permet de proposer, avec “Etirement”, un EP court mais terriblement efficace, qui devrait rythmer vos soirées estivales. iHH™ MAGAZiNE a pu s’entretenir avec l’artiste du Val-de-Marne.

Interview : Dorian Lacour

iHH™ : Salut Bob. Parle-moi de toi, tu n’es pas que rappeur, tu fais plein d’autres choses à-côté. Le rap, c’est quoi pour toi ? 

Depuis quatre ans j’aime bien dire que c’est mon exutoire, je fais plein d’autres choses, des vêtements, des soirées… Je me considère vraiment comme un artiste, dans deux ans peut-être que je ferai de la peinture, de la sculpture ! Le rap c’est une passion, ça fait longtemps que je traine avec des gens qui en font, c’est super important pour moi. 

iHH™ : Tu as donc sorti ton second projet “Etirement” le 12 mars, et il fait suite à “Echauffement” (son premier EP paru en 2017). On doit attendre l’”Engagement” ?

Tu sais je me suis dit pourquoi pas faire un “Jour de match” quand ce sera le moment ! C’est une façon d’arriver en toute humilité, peut-être que l’album sera quelque chose de plus affirmé, là on y va doucement. Quand j’ai sorti “Echauffement” c’était un délire avec mes potes, et j’étais le seul à me dire qu’il fallait le mettre sur les plateformes, j’ai poussé le truc encore plus loin.

iHH™ : Pour revenir à ton projet “Etirement”, même s’il est assez court il est très varié. Où est-ce-que tu es allé chercher tes inspirations ? 

C’est simple, ce sont des inspirations hyper personnelles. Le premier morceau après l’intro c’est “Chaloupe“. Pour ce morceau je suis allé voir Blasé [le beatmaker en charge du projet – NDLR] et je lui ai dit que j’aimerai bien qu’on utilise le gwo ka. C’est un style de musique guadeloupéen, une musique avec des tambours datant de l’époque des plantations. Ça me tenait à cœur de faire quelque chose de moderne inspiré de cette base-là, étant donné que je suis originaire de la Guadeloupe. Ensuite je me suis dit que pour chaque son j’allais ramener une inspi personnelle, faire un truc hybride à partir de ce qui m’inspire dans la vie. “Secoue” c’est un morceau inspiré de la New Orleans bounce, une musique locale super énergique, répétitive mais qui moi me touche. “Sans forcer” c’est un son de Kassav’ [un groupe de musique guadeloupéen – NDLR] qu’on a rejoué. Je suis très content du résultat, cet EP j’ai voulu qu’il fasse danser, balancer ça au DJ et voir comment ça pouvait prendre. Malheureusement il y a eu le confinement qui est passé par là…

iHH™ : On ne retrouve au final que très peu voire pas de tout de sonorités hip-hop dans ton EP ? 

Pas du tout, pas du tout, et je suis fier de ça, de pouvoir proposer quelque chose qui ne ressemble pas aux tendances et ni même à ce que j’écoute. Je présente un truc qui me ressemble vraiment, je pense que c’est une force, ça ne fait pas longtemps que je fais de la musique [quatre ans – NDLR], mais j’ai l’impression que je suis déjà en train de me trouver… Maintenant il y a une contrepartie à tout ça, quand tu fais un truc hybride les gens ont du mal à comprendre. J’ai du mal à entrer en playlist, il y a des blocages parce qu’on ne peut pas me mettre dans une case, je sens qu’on ne sait pas trop où me placer.

iHH™ : “Etirement” est produit par Blasé, du duo HAUTE, quels ont été ses apports ? 

En fait Blasé c’est un mec qui je connais par le biais d’un ami qui me l’a présenté, et moi je fonctionne beaucoup à l’affect. Avec Blasé ça a fonctionné, au niveau des énergies, humainement… Et vu qu’il a un background éclectique, il a fait de la trap, du R&B, de l’électro, c’est un mec qui m’a fait faire de la musique en fait ! C’est confortable de ne pas être bridé par les codes de la trap par exemple. Avec du recul ça s’entend, le projet est musical, j’ai trouvé ça vraiment kiffant de bosser avec un mec qui n’a pas peur de prendre des risques, qui ne propose pas la même prod. 808 que tout le monde connait. Pour ce qui est de son apport, je suis un peu têtu, donc au niveau vocal c’est moi qui ai décidé, même si bien sûr il y a eu un échange entre nous. Le truc c’est que tu es en face d’un être humain aux références différentes des tiennes et qu’il faut avancer ensemble, mais on s’est très bien complétés !

iHH™ : C’est plus simple de bosser sur un projet avec un seul et même beatmaker selon toi ? 

Ouais carrément, les mecs que j’ai kiffé fonctionnent comme ça. Scott Storch disait ça dernièrement, que les beatmakers devraient se focus sur un artiste parce que tu peux aller plus loin dans le délire plutôt que d’essayer de placer sur tous les gars à la mode. C’est plus humain et c’est un confort, j’en ai conscience. Il faut le trouver le mec qui va te supporter, avec qui tu vas être à l’aise de répéter trente fois le même son. Pour l’instant moi ça me va, j’ai fait deux projets avec un seul beatmaker [“Echauffement” avait été produit par Lekeus – NDLR], et j’aime fonctionner comme ça.

iHH™ : C’est une volonté pour toi de mixer les styles musicaux (gwo ka, NOLA bounce, zouk…) ?

C’est important, j’aime bien le mot “hybride”. Là où pour moi Blasé a été vraiment fort c’est que c’est très bien dosé, il a bien répondu à mes attentes, je ne pense pas que j’aurai pu le faire aussi facilement avec n’importe qui. Blasé a joué le jeu, il a été curieux, il faut trouver le mec qui a cette envie.

iHH™ : Cet EP a des sonorités très estivales, c’était quoi ton but avec ça ? Faire danser les gens ? 

Ouais, le but c’était que les gens dansent et aussi de faire que le projet me ressemble. “Chaloupe” est inspiré de la Guadeloupe, “Secoue” c’est La Nouvelle-Orléans, ma fille s’appelle Louisiana, c’est un lieu important pour moi. C’est vraiment un délire personnel, si tu es ouvert tu kiffes, si tu n’aimes pas c’est pas grave. En fait ce projet est venu suite à la perte d’un proche, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de joyeux, j’ai fait mon deuil en chantant… Je suis vraiment fier de ce projet.

Bob Marlich et sa fille Louisiana, par Daniel Regan

iHH™ : Parle-moi de la cover du projet. Elle a été réalisée par Daniel Regan, et elle se place en opposition avec le contenu de l’EP qui est très léger et dansant, parce qu’elle est grise, sombre, en plus tu as l’air énervé dessus… 

Si tu veux tout savoir la pochette ne devait pas être celle-là, j’en attendais une faite par Fifou depuis plusieurs mois. Daniel Regan c’est un ami à moi, il est anglais et à chaque fois qu’il vient en France il nous prend en photo avec ma fille. Au final, je reçois les photos de Dan, et moi j’ai un background de graphiste donc j’ouvre Photoshop et j’ai bouclé ça. Je suis un “papa célibataire poule” qui emmène sa fille partout, donc j’ai voulu prendre un truc qui me ressemble, et c’est cohérent avec le projet qui me ressemble aussi. Mais quand tu parles d’un contraste je trouve ça intéressant c’est vrai.

iHH™ : J’aurais souhaité parler des interludes, et notamment de la première, qui est en fait un enregistrement vocal de ta fille. Comment est-ce-que tu as pensé à ça ? 

En fait pendant qu’on enregistrait le projet l’an dernier, elle était partie en vacances, et c’était la première fois qu’elle partait sans ses parents. Un jour j’ai eu droit à ce message vocal qui à la base était beaucoup plus long, explicite et touchant… Avec ma fille on partage tout, elle a six ans mais je commence à sentir que ça lui plait, elle me demande des sons, elle parle de “Chaloupe”dans le mémo et ça me fait très plaisir.

iHH™ : On retrouve aussi Ronny Turiaf dans la seconde interlude. Inutile de le présenter pour les fans de basket, mais comment la connexion s’est-elle faite entre vous ? 

Je me fais kiffer, je suis fan de basket et des Lakers ! Pour tout te dire, mon meilleur ami gère un resto végétarien dans le 10e arrondissement, donc j’y suis souvent. À un moment je vois un grand mec qui arrive et qui se pose, je capte direct que c’est Ronny, je me suis dit que c’était l’occasion. Je l’ai laissé finir son repas et je suis allé lui parler, on a vite accroché et c’est devenu un ami. Quand je lui ai fait écouter “Chaloupe”, il m’a envoyé cette réaction, le message vocal hyper spontané et j’en ai fait une interlude. C’est un mec qui a du coeur et moi je suis assez spirituel, je fonctionne aux énergies. Un peu comme la phrase cliché de “vrais reconnaissent vrais”, là on s’est ressentis. Je l’ai intégré au projet et lui l’a très bien pris. Je ne l’ai pas fait pour un buzz, je suis fier de l’avoir fait.

iHH™ : On va revenir sur la longueur du projet. En tout il dure un peu moins d’un quart d’heure. Tu as souhaité faire ça parce que tu avais peur que ton propos ne soit trop dilué dans un format plus long ? 

C’était plutôt par rapport à la facilité de consommation, parce que j’ai conscience de comment les gens consomment la musique et j’ai conscience aussi que je n’ai pas encore une fanbase développée. Sur mon précédent projet, deux des huit titres sont entrés en playlist Spotify et ça a été les seuls à faire pas mal de streams… Je sais qu’aujourd’hui tout le monde consomme la musique très vite. Je suis né en 1989, j’ai connu l’époque où tu achetais un album de Snoop Dogg et tu l’écoutais pendant un an, aujourd’hui ça n’a plus rien à voir. Je me suis donc dit que je préférais laisser les gens sur leur faim plutôt que de les souler. C’est une stratégie, je ne dis pas que c’est la bonne mais c’est la mienne. J’ai appris de mon premier projet, ça fait de l’expérience.

iHH™ : J’ai l’impression que tu ne tiens pas particulièrement à t’intégrer pleinement au rap game français, je me trompe ? 

Non pas du tout, t’as tout capté. Tu vois l’exemple de Lil Wayne, c’est un mec qui est resté dans son monde et les gens ont fini par rentrer dans son monde. Je ne dis pas que dans quinze ans je vais faire un “Tha Carter II” mais je me dis que peut-être un jour Koba LaD va avoir envie de faire un feat avec moi, alors il viendra dans mon univers et pas l’inverse.

iHH™ : Tu as reçu du soutien de la part de Rim’K et Oxmo Puccino notamment. Qu’est-ce-que ça fait que des poids lourds comme eux te valident ? 

Ça fait tellement du bien, c’est ouf, je suis le premier à avoir conscience du fait que je n’ai rien à voir avec le rap game. Que des mecs qui ont une légitimé dans cet art me valident ça fait du bien, ça change rien à mon frigo tu vois mais ça fait du bien ! Ce sont des mecs que je respecte, que j’ai écouté. Je suis du 94, la Mafia K’1 Fry est hyper importante, le 113 je t’en parle même pas, Oxmo Puccino c’est pareil. J’ai l’impression d’être validé par les meilleurs un peu, c’est des petits éléments qui donnent beaucoup de confiance. Par exemple le premier projet Oxmo n’a pas du tout kiffé et il me l’a fait savoir. Le deuxième il a adoré et donc il m’a donné de sa force.

iHH™ : Tu ne penses pas à faire des collaborations avec eux par hasard ? 

J’aimerai bien faire quelque chose musicalement avec eux, mais je ne suis pas pressé, je ne veux pas le faire juste pour le faire. Il faut que ce soit hyper carré si ça se fait. 

iHH™ : Le projet est sorti il y a quelques temps maintenant, j’imagine que tu as pu avoir des retours, ils ont été positifs ? 

J’ai de bons retours. Je suis content parce que le lien du projet a fait autant de clics en deux mois que le lien du premier projet en trois ans, mais j’ai quand même eu l’impression qu’on m’a pas capté. Ça revient à tout ce qu’on disait par rapport à l’originalité, tu sais je suis sur Instagram tous les jours et je vois plein de gars qui ne jouent pas mes sons, c’est frustrant mais comme on dit “c’est le football”. Des fois tu as des attentes et tu es déçu, des fois tu n’attends rien et tu es surpris. J’ai quelques retours mais rien de fou, on a fait passer ma musique sur Radio Campus, c’est déjà ça !

iHH™ : Et pour la suite qu’est-ce-qu’on peut attendre ? 

Je suis en train de réfléchir pour clipper “La Meilleure“, sinon la suite ce serait un gros feat pour justement gagner en visibilité, parce que c’est dommage de proposer une musique de qualité mais qui n’est pas vraiment écoutée. Tu sais quand tu lances des projets en indé tu as la sensation de jeter une bouteille à la mer. Je ne suis pas pressé de ressortir un projet, c’est récent encore, le premier projet est entré playlist presque un an après sa sortie alors je me dis que j’ai le temps. Je veux voir ce que ça donne avec un clip, j’ai l’impression qu’il y a un cliché où si tu ne fais pas de clips on n’écoute pas ta musique… C’est dommage, mais il faut jouer le jeu, t’es obligé de faire ce que les gens veulent. En ce moment sur mon Instagram je fais des freestyle tous les jours aussi, ça me permet de parler de choses que je n’aborde pas forcément dans mes projets. En attendant, si les gens n’ont pas peur des différences musicales, qu’ils se jettent sur “Etirement” !