Adama Traoré est mort le 19 juillet 2016 dans la cour de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise, menotté dans le dos. Il avait 24 ans. C’était le jour de son anniversaire. Il était Noir. Il est mort de “syndrome asphyxique”. Tout cela est indéniable. Depuis, sa famille et ses proches se battent contre la machine d’État pour que la vérité soit dite sur les circonstances réelles de sa mort et que les gendarmes responsables soient mis en examen.

Dans notre dernier numéro, nous avons apporté notre humble contribution à ce combat, en donnant longuement la parole aux premiers concernés : Assa Traoré, sa sœur, porte-parole du Comité Adama ; son frère Youssouf et deux de ses meilleurs amis, Adel et Lotfi, que nous avions rencontré dans leur quartier au mois d’octobre. Et puis nous avons demandé à quelques rappeurs qui prennent position (dont Guizmo et Jo Le Phéno) leur sentiment sur cette mort insupportable et ce que le rap pourrait selon eux apporter à la lutte contre la violence policière.

Il y a quelques semaines, nos camarades du site Quartiers XXI ont rédigé et commencé à faire signer par des personnalités du monde du spectacle un appel intitulé : “La mort d’Adama Traoré nous concerne tous », Appel des artistes contre l’impunité des violences policières”. C’était peu avant le viol de Théo en pleine rue par une bande de 4 miliciens portant uniforme siglé “République Française”, qui a eu lieu le jour-même du beau concert en hommage à Adama à La Cigale, où étaient présents entre autres Médine, Kery James, Mac Tyer, Sofiane, Youssoupha…

Nous sommes régulièrement en lien avec des membres de l’équipe de Quartiers XXI, “site d’information sur les quartiers populaires, fondé et géré par un comité de rédaction vivant ou travaillant dans les quartiers populaires” pour reprendre leur propre définition . Nous avions déjà publié ensemble cette interview fleuve de Dee Nasty, pour transmettre son message et sa mémoire du mouvement hip-hop au plus grand nombre. Ils font un travail sérieux et sincère, en toute indépendance, sans jamais verser dans le sensationnel.

Si nous nous sommes joints à leur projet en réunissant notamment des signatures dans le milieu rap, c’est parce que leur texte voulait mettre en lumière l’âpre combat mené par la famille, les proches, le quartier, contre une violence systémique qui frappe en premier lieu, et mortellement parfois, les quartiers populaires. Il revenait longuement sur l’histoire d’Adama et la lutte menée depuis sa mort par les proches. Il ne prétendait pas parler à leur place, mais simplement leur donner un peu d’écho, affirmer son soutien. Et dire avec eux qu’il fallait que ça cesse.

Extrait de l’appel de Quartiers XXI

Parce que Adama est hélas un mort parmi tant d’autres, étouffés, “suicidés”, abattus… Et ce qu’a subi Théo révèle au grand jour la violence d’une police qui humilie, blesse, éborgne, viole, mutile. Quotidiennement. Avec pour cible “privilégiée” les habitants des quartiers populaires, jeunes et non-blancs de préférence, toujours dans l’impunité la plus totale. Les rares membres des forces dites “de l’ordre” qui finissent par passer devant un tribunal – toujours après des années de lutte des proches et de leurs soutiens – sont le plus souvent acquittés ou condamnés à du sursis… Reconduisant ainsi l’immunité de la police, sa toute puissance, et réaffirmant la légitimité de la violence et du racisme d’État.

Dans la continuité du combat mené entre autres par le MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues) du début des années 1980 aux années 2000, de nombreux rappeurs ont répondu présent pour prendre position et affirmer leur solidarité dans le combat mené par ceux et celles qui sont frappés par la violence d’État. Merci à eux, les premiers signataires et ceux qui les ont rejoints depuis. Il y a maintenant plus de 550 signataires (artistes, sportifs, universitaires, militants). Nous sommes bien conscients que ce n’est là qu’une goutte d’eau. Cet Appel s’est fait sans illusion, comme une simple tentative de donner un peu d’écho à celles et ceux qui se battent chaque jour dans l’ombre. Nous savons que la lutte est longue et qu’elle repose avant tout sur la force des premiers concernés, dont nous saluons encore le courage et la détermination.

Premiers Signataires rap :

 Alivor, Sameer Ahmad, Akhenaton, Beucé, Black M, Casey, Cenza, Cerna, Chinese Man, C2C, D’ de Kabal, Disiz, Elom 20ce, Fianso, Fik’s Niavo, Flynt, Fresh Gordon, Georgio, Grain d’Sable, Gringe, Hocus Pocus, IAM, Jeff le Nerf, Jow L., JR O Chrome, Kohndo, Krista, La Canaille, La Jonction, La Rumeur, Le Doc, Le Sous-Marin, Lino, Liqid, Maître Madj, JP Manova, MC Metis, Missy Ness, Mokobe, Nodja, Nasme, Nekfeu, Nodey, Noruff, DJ Pone, Rocé, Ryaam, Saïdou, Saké, Sages Poètes de la Rue, Scred Connexion, Archie Shepp, Singe des Rues, Sitou Koudadjé, Skalpel, Solo Dicko, DJ Stresh, Tekilatex, Tonytoxic, Vîrus, Wira, Veekash

Suivis de :

Lyric 38, Altez, La Gale, Ricson 91, Sanzio, Kahi, Tosmah – Le Traitement, CRSKP, L.O.A.S, Rachid Wallas, Lisko, Cardri, Swen L’Humain, Fspecial & Odas, Kaiman Lanimal, Alien K, Gaïden, Godié, DJ Nels, Kiddam, Tideux, Laas, Cut Killer, Ruff, Brav, Médine, Raan Rashane, Djamhellvice, Tiers Monde, Soledad, Jo Le Phéno, El Diablo Cartel, Original Tonio, Sako, Sticky Snake…

L’appel est toujours ouvert à signature. Écrivez à : ensemblepouradama@gmail.com

Précision :

Certains dans l’équipe étaient très réservés à l’idée que cet “Appel” paraisse à la une du quotidien Libération. Nous n’accordons aucun crédit à ce média, comme la plupart totalement soumis à l’unique loi du marché (rappelons que son propriétaire est le milliardaire à crédit – 50 milliards de dettes ! – Patrick Drahi, via son groupe Numéricable-SFR, également propriétaire de SFR, BFM-TV, L’Express ou encore Stratégies…).

Nous savons à quel point l’idéologie distillée dans ses pages alimente le terreau du racisme et du mépris de classe où pousse l’extrême-droite – par ailleurs fort bien représentée dans les rangs de la police –, à quel point il accompagne la droitisation d’une société qui glisse dangereusement vers le fascisme. Nous savions bien qu’il ne s’agissait pour ces pisse-papiers que de se refaire une belle image à peu de frais, à un moment où la question de la violence policière fait les gros titres grâce aux révoltes des quartiers populaires qui ont suivi le viol de Théo et la mise en liberté des flics impliqués. Mais le but étant de mettre en lumière la lutte acharnée menée par les collectifs de proches et familles de victimes, il a semblé que c’était un risque à prendre.

La mise en page de Libération en a choqué beaucoup, à raison. En plaçant côte à côte deux textes aux points de vue totalement différents – pour ne pas dire opposés –, en les mêlant en une avec une longue liste de signataires qui semblaient ainsi s’associer aux deux textes, Libé a entretenu une malsaine confusion tendant à dépolitiser totalement le contenu de l’appel, à le faire passer pour une énième indignation éphémère du petit monde du show-biz, bien loin des réalités. Le titre en a d’ailleurs été modifié, au profit d’un indécent “Ils s’engagent” : les proches et les militants de terrain connaissent trop le prix de l’engagement pour supporter un tel raccourci de langage. Quant au texte prétendument en soutien à Théo, il n’était qu’une évidente tentative de récupération par le PS (dont on rappelle qu’il est au pouvoir), signé entre autres par le président de SOS Racisme – arme qui fut créée par le dit PS pour tenter de neutraliser les luttes issues des quartiers dans les années 80. Nos camarades de Quartiers XXI ne connaissaient pas la teneur de ce texte, ils ont été piégés, tout comme nous et les artistes signataires. Ils ont déjà fait leur propre mise au point, mais nous tenions à clarifier notre position.

Libérez Bagui. Solidarité avec les accusés des révoltes contre l’impunité policière. Abandon des poursuites contre Jo le Phéno.

L’équipe d’iHH Magazine

Publié dans : News