Kun Fu est un jeune rappeur originaire de Vanves dans le 92. Passionné de rap britannique, c’est tout naturellement qu’il a choisi la drill pour se lancer en solo. Ses textes froids martelés sur des prod° étouffées et sombres sont d’une terrible efficacité. Déjà validé par Booba, il compte bien se faire une place et donner à la drill française ses lettres de noblesse. Entretien. 

Interview : Dorian Lacour

iHH™ : Salut Kun Fu. Alors est-ce-que tu pourrais rapidement te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ? 

Moi c’est Kun Fu, aka le Kun. Je rappe depuis trois ou quatre ans. Initialement, j’étais dans un groupe, la partie solo de ma carrière a commencé vraiment en 2020. Je suis inspiré par la scène UK : la drill essentiellement, mais pas que ça. En ce moment, j’envoie des formats single avec clip, je ne suis pas encore sur un format de projet. Le solo, c’est nouveau pour moi. Je fais les choses petit à petit, je me développe et j’essaye de présenter mon univers autour de la drill. 

iHH™ : Tu viens de le dire tu fais de la drill, et on sent que tes inspirations sont britanniques plus qu’américaines. Quels artistes t’influencent ? 

En France on va pas se mentir beaucoup de rappeurs sont arrivés par le drill ou se sont mis à en faire. Beaucoup sont influencés par Pop Smoke et c’est normal. Je dis pas qu’il ne m’a pas influencé, mais j’ai surtout été inspiré par des Skepta, Headie One ou Dutchavelli. Au niveau des beats, du flow agressif. Dans la drill UK c’est plus du kickage alors que le cainris qui sont dans la gimmick et la topline. J’ai commencé à écrire très tôt, c’est l’écriture mon inspiration dans le rap. À l’époque c’était pas autotune, mélo et topline, fallait savoir placer, être technique. Avec le temps j’ai évolué, mais je trouve que dans la drill UK il y a davantage de codes qui m’ont rappelé ma culture, mon éducation rap. Après aujourd’hui il faut trouver l’équilibre entre kickage et topline parce que ça plait au public, la drill c’est devenu mainstream.

iHH™ : Tu es originaire du 92, c’est un département très important dans l’histoire du rap en France. Est-ce-que c’est de grandir dans cet environnement qui t’a poussé à faire du rap ? 

Oui je pense, honnêtement ça a été un facteur motivant. Je suis de Vanves, c’est pas la plus grosse ville du 92 mais quand j’étais jeune il y avait déjà des rappeurs, ils se produisaient aux Fêtes de la musique et tout. Mais dans les Hauts-de-Seine à l’époque comme aujourd’hui il y avait des places fortes. Des gars comme Salif, LIM, Booba, ça nous a influencé forcément. Le rap est venu assez naturellement pour moi. Au début c’était un peu pour rigoler entre potes et c’est devenu sérieux au fil des années. Je suis un passionné de rap.

iHH™ : Tu étais assez discret avant de vraiment devenir très prolifique cette année. C’était le bon moment pour faire décoller ta carrière ? 

Honnêtement c’est un peu ça, par la force des choses c’est le moment. En groupe on a fait des choses très formatrices, ça a été bénéfique. J’ai appris à distribuer ma musique, on a envoyé un ou deux EPs, on a fait plusieurs scènes. En solo j’ai développé ma musique, mon univers, j’ai pu apprendre me connaitre. Sur ce que j’ai sorti pour le moment il y a eu aussi des bons échos. On en est pas au million de vues mais il y a eu des bon retours. Ça me conforte et ça me donne envie de continuer. 

iHH™ : En dehors des prod°, la patte drill se ressent aussi dans tes paroles. Comment est-ce-que ça se passe quand tu écris ?

Généralement je vais commencer par trouver des instrus. Quand j’ai le coup de cœur pour une prod°, généralement elles ont une humeur, une couleur, et ça influence mon écriture. Mes paroles sont le fruit de l’instru et du mood au moment où j’écris. Mes lyrics sont plutôt froides et percutantes, c’est très drill.  

iHH™ : J’ai l’impression que tu transposes toujours ta réalité dans ce que tu dis. Il y a des débats qui disent qu’on ne peut pas faire de drill si on ne respecte pas tous les codes amenés par des pionniers comme Chief Keef ou Lil Reese. Tu en penses quoi ? 

Je pense que c’est pas faux, parce que les américains sont précurseurs sur la trap et sur une certaine drill. Après je pense que c’est l’avis de personnes fortement influencées par Chief Keef ou Pop Smoke plus récemment. Ça correspond à une partie du public qui est complètement influencée par cette drill-là. C’est normal aussi que ce genre de débat arrive en France parce que la musique UK nous touche moins que les US, tout style confondu. Des artistes comme Headie One ou Dutchavelli sont écoutés et connus un peu en France, mais ils ont beaucoup moins d’impact qu’un Chief Keef à l’époque ou qu’un Pop Smoke aujourd’hui. Je peux comprendre ceux qui sont axés cainri et qui veulent que la drill française ressemble à la drill américaine, tout comme je peux comprendre que certains soient plus influencés par la culture britannique. Il y a ces deux courants, et pour moi personne n’a tort dans ce débat, j’accepte tous les avis. 

iHH™ : Est-ce-que tu penses qu’on puisse développer une drill française, émancipée des influences américaines ou britanniques ? 

Alors déjà je pense que c’est pas encore le cas, mais je pense que le truc n’est pas encore arrivé à maturité. Une marge de progression que je vois pour la drill en France, et je parle pour moi comme pour les autres, c’est qu’on devrait essayer d’amener une couleur particulière, une “french touch” à la drill. Ça on ne l’a pas encore. Le mouvement va prendre en maturité, musicalement on peut encore progresser. Pour l’instant les prod° drill françaises se ressemblent un peu toutes, on peut ramener plus de singularité. Ça va être le défi pour 2021, pour moi et pour les autres. 

iHH™ : Parle-moi de ta série de morceaux “#GRABUGE” que tu as envoyé sur YouTube au long de l’année. Qu’est-ce-que tu voulais montrer avec ces morceaux ? 

J’ai commencé cette série début 2020, mon premier clip c’est celui du morceau “Dix balles“. Si tu veux fidéliser un public il faut lui donner une continuité. C’est pour ça que j’ai envoyé quatre clips différents mais qui restent dans un même univers. Il faut que visuellement ces quatre clips puissent me décrire. Après avoir vu ça il faut que les gens puissent parler de moi, se dire “Kun Fu il est inspiré par le rétro, il aime bien cellophaner des bagnoles, il est pas trop survêt de Chelsea il est plutôt veste en cuir…” C’est des choses comme ça qu’on retient. Pour revenir à ta question, je voulais présenter mon identité avec quatre morceaux tous dispos en streaming et avec les clips. “#GRABUGE” c’était un peu une manière de décrire ma drill, ça faisait u, peu agressif je trouvais que ça sonnait bien.

iHH™ : D’ailleurs, tu les as numérotés de 3 à 0, comme pour signifier un décollage. Je me fais des films ou c’était l’idée derrière ça ? 

Non tu as complètent raison. J’étais dans une optique de compte à rebours, un “3-2-1-0”. C’est aussi une première prise de contact avec le milieu. J’aurais pu arrivera avec un EP mais je me suis dit que quatre clips c’est fort aussi comme première impression. 

iHH™ : Le morceau “Bonbonne” a suscité pas mal de réactions. On a vu Booba le partager. Étant donné son importance dans la scène rap française, comment est-ce-que tu as réagi quand tu as vu qu’il te “validait” ?

Je pense que le succès d’un morceau se mesure aux chiffres mais aussi à l’écho, en vrai c’est important. Un relais de Booba c’est fort, ça ramène de la lumière et c’est aussi encourageant parce que c’est une référence du rap français. Qu’il te donne de la force ça veut dire ce que tu fais est cohérent, ça te conforte dans l’idée que ce tu fais c’est bien. D’un point de vue visibilité c’était vraiment bénéfique. Pour le côté 92 aussi c’est super cohérent, c’est parlant.

iHH™ : Et justement, ce morceau est entré dans la playlist “Validé” de Booba et DJ Medi Med. Pour un artiste en développement comme toi, est-ce-qu’intégrer une playlist comme ça est un vrai coup de pouce ? 

Par la force des choses “Bonbonne” est arrivé un peu en même temps que la première playlist “Validé” en fait. Après il y a eu Mehdi Maïzi qui a parlé de moi aussi, ça montre que je vais dans la bonne direction. Les gens n’aiment pas être les seuls à kiffer un son. Si toi et moi on est seuls à kiffer un son c’est bien, mais pour la viralité du morceau c’est pas ouf. Être relayé par des gens influents c’est cool pour ceux qui connaissent déjà parce qu’ils se disent “regardez même eux valident, moi je connais depuis longtemps !” Ça apporte un tampon, un cachet, ça rend crédible.

iHH™ : Parle-moi du freestyle “Drill Prince” avec Djibz. Il est lui aussi dans la drill et il vient du 92. La connexion est explosive. Comment est-ce-que ce morceau a vu le jour ? 

En fait avec Djibz on était ensemble dans le même groupe, ça veut dire qu’on a commencé à rapper ensemble. Il a fait ses morceaux en solo, moi les miens, et on a décidé de se retrouver avec plus de maturité. On a des bons automatismes naturellement, lui et moi on est dans la drill. On s’est dit que c’était peut-être le bon moment pour poser ensemble sur de la drill. L’instru à la base c’est celle de Headie One et Drake [“Only You Freestyle” – NDLR], un morceau où les deux envoient des couplets incroyables. On s’est dit qu’on allait nous aussi faire une performance, sans refrain avec un long couplet, du flow, des lyrics, du rap comme on aime. 

iHH™ : Dans ce morceau tu as intégré des sous-titres en anglais. On sait que beaucoup d’artistes drill le font. Mais est-ce-que, pour toi, ça veut dire que la drill française peut vraiment s’exporter à l’international ? 

On sait que beaucoup de genres musicaux français ne s’exportent que très peu dans le monde anglophone, excepté un ou deux artistes qui ont passé des frontières… Je pense que c’est possible, on a encore du taff mais ça peut arriver. C’est à nous d’être bons dans les flows vu qu’ils ne comprennent pas les paroles, il y a des codes universels dans la musique. En vrai les américains je sais pas s’ils écoutent de la drill française, mais avec les anglais je pense qu’au fur et à mesure des connexions ça peut se faire, notre drill peut s’exporter là-bas. 

Kun Fu, par @ber2ki

iHH™ : On sent l’engouement autour de toi. Les médias commencent à parler de ce que tu fais, comme on l’a dit tu rentres en playlist, d’autres artistes parlent de toi, tes clips font des très bons scores… Tu sens que quelque chose se passe ? 

Franchement c’est difficile à quantifier. D’un côté des relais comme Booba ou Dosseh ça donne une validation et ça encourage dans la démarche mais d’un autre côté le public c’est encore quelque chose que je dois réussir à séduire. En 2020 j’ai touché pas mal de gens. Être validé c’est super cool, c’est une grosse force, mais c’est pas une fin en soi. Tu as tout un travail de séduction du public qui reste à faire. Après la validation il faut confirmer. Des buzz peuvent durer 24h, 48h ou même deux semaines mais pour garder un buzz plusieurs années il faut charbonner. Les playlists m’ont mis en avant mais il faut pas se dire que maintenant je fais du son juste pour les intégrer. Je dois bosser sur la qualité de mon son, de mon visuel et sur le travail de comm’ autour de moi pour vraiment m’installer. 

iHH™ : Je voulais aussi revenir sur “Hors D’œuvre” que tu as envoyé sur Instagram au printemps et que tu as mis sur les plateformes le mois dernier. Un mini-projet de trois minutes c’est assez audacieux. Pourquoi avoir fait ça ? 

On est entre le single et le mini-EP. C’est pas vraiment un EP, j’ai pas envie de le qualifier comme tel. En fait comme tu l’as dit au printemps j’avais sorti trois freestyles Instagram clippés. La stratégie c’était de balancer ces freestyles entre deux clips “#GRABUGE”, pour faire attendre le public. Ce qu’il s’est passé c’est que ces morceaux ont beaucoup plu, et il n’y avait pas moyen de les consommer sauf depuis Instagram, c’était pas pratique. Je me suis dit que c’était important de les donner aux gens en streaming, et j’en suis satisfait, d’autant que les titres ont bien marché. 

iHH™ : D’ailleurs dans le morceau “Sully”, tu dis être “moins près d’être célèbre que d’la délinquance”. C’est très efficace mais assez pessimiste quand on y pense parce que tu dis être encore très loin de la célébrité, et plus proche des mauvais aspects de la vie. Tu pourrais m’expliquer cette phase ? 

Je suis tout à fait d’accord avec ton interprétation, mais en vrai c’est plus de l’egotrip que du pessimisme. Ce que je veux dire c’est que c’est plus simple d’aller vers la délinquance que d’aller dans un projet quelconque, musical ou non, réussir là-dedans et devenir célèbre. On va dire que quand tu baignes dans la vie de quartier, sans dire que je suis un bandit, c’est plus simple d’être tenté par plusieurs genre de vices et par l’argent facile plutôt que de se dire que demain on va être une star. Mais c’était pas pour dire que je suis à deux doigts d’aller au shtar, c’était pas une forme de pessimisme. C’était vraiment de l’egotrip. 

iHH™ : Je voulais parler aussi du morceau “Profil qui est sorti aujourd’hui. C’est une nouvelle fois un bon banger où tu dis que tu as “toujours eu le mauvais profil”. C’est quoi avoir le mauvais profil ?

Le mauvais profil ça colle à tous les niveaux. Dans la musique avoir le mauvais profil c’est pour dire que tu fais un bon rap de qualité mais quand tu te confrontes à la réalité du milieu tu te rends compte que c’est dur. Avoir le mauvais profil c’est être bon dans son truc mais pas réussir à ouvrir les portes. C’est être handicapé par son environnent. Ce rapport à l’autre où tu es désavantagé pour des raisons assez abstraites.

iHH™ : Tu relayes aussi énormément d’artistes sur tes réseaux sociaux, c’est important pour toi de donner de la force ? 

C’est très important. Tout le monde a son orgueil, mais je me dis que que tu sois connu ou en développement tu as toujours besoin de force. On doit avoir une mentalité d’entraide communautaire plutôt que chacun son chacun. On devrait se serrer les coudes plutôt que se mettre des bâtons dans les roues ou ne pas se calculer. Si je partage un artiste c’est que j’aime son travail. Et peut-être que moi demain je serai partagé, c’est du réseau. On m’a partagé, je vois pas pourquoi je le ferais pas pour d’autres en fait. 

iHH™ : Donc là, pour résumer, tu as eu une année 2020 très productive, et un nouveau single vient de sortir. C’est quoi la suite pour toi ? 

Je vais continuer. J’envoie des morceaux tous les mois avec des clips, je suis dans cette démarche d’accroitre ma fanbase et de me faire connaitre. Rapidement, peut-être au premier semestre 2021, je présenterai un EP. On va pas aller plus vite que la musique. Je suis des formats singles, des clips, j’essaye d’être innovant. Dès que je sens que l’engouement autour de moi est assez gros je vais me pencher sur un projet, peut-être avant l’été prochain. Mais d’ici là il y aura toujours du Kun Fu, en playlists, sur YouTube, sur les réseaux. Ça va arriver. 


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