Depuis plus de dix ans, Fadah laisse libre cours à ses émotions dans son rap. Avec “Chaudar”, son dernier album sorti le 2 avril 2021, il est enfin parvenu à être en paix avec lui-même. À cette occasion, il a pris le temps de discuter avec iHH™ Magazine, de ses inspirations, de la scène toulousaine, ou encore d’une anecdote assez folle concernant la cover de son dernier projet.

Interview : Dorian Lacour

iHH™ : Salut Fadah. Dans un premier temps, je voudrais revenir sur le titre de ton nouvel album, “Chaudar”. Tu pourrais me l’expliquer ?

C’est un gimmick que j’utilise beaucoup dans ma vie de tous les jours, pour exprimer un kiff, une forme de motivation. Ce mot traînait dans ma tête depuis un moment, parce que juste avant la sortie de “Furieux“, mon album précédent, j’avais fait une série de freestyles, les “Fêlé“, et j’hésitais déjà avec le mot chaudard. Vu la philosophie que j’avais en entamant le projet, c’était logique que ça s’appelle comme ça. “Chaudard”, je l’ai créé moins dans la mélancolie que “Furieux”, avec plus de fraîcheur, en suivant mes impressions, en étant plus spontané. Ce mot traduisait bien l’état d’esprit, la mentalité. Ça ne veut pas forcément dire y aller comme un bourrin, c’est plutôt une manière d’être avisé dans l’énergie, d’avoir une énergie plus apaisée, plus contrôlée. Il y a aussi tout le côté lié à la chaleur, que tu retrouves sur la cover. L’idée c’était vraiment de faire table rase, avec ce projet. 

iHH™ : Tu as pris un virage avec cet album. Par rapport à ton projet précédent, “Furieux”, je trouve qu’il y a davantage d’entrain, dans les prod° notamment. Comment tu l’expliquerais ?

En fait, il y a un peu une suite logique à “Furieux“. Si tu écoutes bien, la fin de ce projet était calculée. Tu sens qu’en arrivent dans les derniers morceaux, les sonorités s’ouvrent et il y a une musicalité plus présente. En fait, c’est un truc que j’avais envie de faire depuis longtemps, de mettre plus en avant la musicalité. Avant, je partais du texte, maintenant je pars de la prod°. Ce qu’on m’a envoyé à ce moment-là correspondait bien à mon humeur. Le premier single de l’album c’était “Lovely“. C’est un morceau dans lequel j’ai eu une forme de lâcher prise, je me suis posé moins de questions, et je me suis un peu plus fait confiance, sur ce refrain léger, mais qui garde un propos de fond. Le fait d’avoir le confinement m’a amené à bosser autrement. Je m’étais acheté du matos, je pouvais tout faire depuis chez moi, je n’avais pas d’excuse. On devait faire une tournée pour “Furieux” en 2020, un gros truc, avec deux premières parties d’IAM, leur management avait insisté pour que ce soit moi, des gros festivals pendant l’été… Il a fallu que je change ma manière de travailler la musique. Comme je te disais, avant je partais du texte, maintenant je m’y prends d’une manière différente, en posant un yaourt, une mélo sur les prod° que je reçois.

iHH™ : L’autre jour je discutais de ça avec Pess, qui vient de la même école que toi, celle du texte, et qui s’ouvre aussi à cette nouvelle manière de penser le rap. Il me disait que ce n’était au final pas si simple de faire la transition. Tu en penses quoi ?

En effet, c’est pas si facile. Il y a eu un temps de gestation, d’entrainement, c’est vraiment du travail. Je prétends pas inventer l’eau chaude avec cette façon de travailler, mais c’est quelque chose de différent c’est sûr. En fait tu te rends assez vite compte que tu fais la même chose en partant du texte, en réadaptant tes rimes pour coller à la prod°, mais là tu fais le choix de te focaliser sur l’air dans un premier temps. C’est pas que c’est vraiment plus compliqué, mais c’est pas si simple de faire quelque chose de simplifié. Il faut réussir à aérer les choses, trouver des rimes judicieuses, faire passer une idée avec quelques mots, réduire un paragraphe en une phrase. Ça demande un entrainement, mais si tu regardes, entre “Cet Art“, “Furieux” et “Chaudar“, tu verras qu’il y a du boulot, dans mon parcours.

iHH™ : Tu as décidé de l’offrir à ton public au compte-goutte, par une série de singles clippés. Pourquoi avoir fait cela ?

Ça rejoint l’énergie de base de “Chaudar”, quand je commence à m’y mettre, dans un premier temps, je ne pense pas nécessairement à un projet fini, à un album. Je voulais garder ce plaisir que j’ai à créer dans l’instantané, dans la rapidité, parce que ça a été beaucoup plus rapide que “Furieux” qui m’avait pris deux ans. “Chaudar” c’est six mois de création. J’avais grave envie de conserver cette spontanéité que j’ai eu durant la création. Dès que tu cherches à travailler de ouf un morceau, tu perds un peu de ça. Le meilleur moyen, c’était donc de balancer les clips un par un, et de travailler les morceaux un par un. On a réussi à mettre en avant chaque morceau, et pas une tracklist dans laquelle les gens vont faire leur choix. Au fur et à mesure de la construction du projet, cette stratégie s’est dessinée dans ma tête. Je sais que je prends un risque, parce que je dévoile une grosse partie de la tracklist avant même la sortie du projet…

iHH™ : Je voulais t’en parler justement. Tu n’as pas peur, étant donné que huit des morceaux étaient dispos avant la sortie de “Chaudar”, que ça ne fasse diminuer l’audience de l’album ?

En fait si, un peu, on a cette réflexion tête. Mais il y a une stratégie bossée derrière, l’idée c’était d’être présent sur une longue période, ne pas relâcher la pression entamée en octobre dernier. Sur le projet, il y a trois titres inédits qui s’ajoutent aux huit singles déjà envoyés. Ça va créer une frustration, je le sais, mais c’est ce que je veux, parce que c’est pas terminé. Pour l’instant je n’en dis pas plus, mais l’année est loin d’être finie, et “Chaudar” n’a pas encore complètement atteint sa forme finale.

iHH™ : Dans “Hiver Noir”, tu dis “on nous empêche de respirer en pleine crise d’asthme”. Bien sûr l’image est évidente, mais en pleine période de COVID elle a une double résonance. Il y a un rapport, ou c’est juste une coïncidence ?

Non clairement c’est pas une coïncidence. C’était vraiment l’image bête et méchante du masque, de l’hyperventilation, le côté oppressant. Ensuite, si tu vas chercher un peu plus loin, je suis pas du tout branché politique ou quoi, mais quand tu regardes, déjà que la situation économique du pays était terrible, là c’est encore pire. Cette phase, c’est vraiment l’image de la suffocation. Les gens ont déjà la tête sous l’eau, et on leur rajoute un masque.

iHH™ : Dans tes textes, il y a une dichotomie entre des phases très poétiques et d’autres typiques egotrip. Je pense à, “si la raison tue bah l’horizon s’meure / va laver ton cœur va laver ton cul”. Comment tu procèdes, pour écrire un morceau ?

Franchement, au moment d’écrire cette punchline, j’avais la phonétique en tête. Le début du paragraphe, avec les “eur” et les “u”, je cherchais ma construction. En fait, je me rends compte que j’aime autant les images ultra-travaillées que la poésie de bas étage. Un Damso est génial là-dedans, à la première lecture tu te dis qu’un gamin de sept ans aurait pu écrire ça, mais si tu cherches derrière, tu te rends compte qu’il y a un putain de truc. Cette punchline, sans prétention aucune, c’est un peu cette idée. “Va laver ton cœur, va laver ton cul”, ça fait référence à l’amour propre. T’as envie de commencer à pouvoir t’aimer ? Déjà regarde ce qu’il y a derrière toi, et va laver ton cul quoi.

iHH™ : Je t’en parlais tout à l’heure, mais dans les prod° il y a je trouve un réel travail. On pourrait sans soucis en retrouver sur des albums de rappeurs multiples platines. Tu as convié BLV, Devil, Wisko, Rakma… Comment les as-tu choisis ?

Les beatmakers c’est quasiment les mêmes que sur “Furieux”, à l’exception de Weedim. C’est des mecs qui ont ont su me convaincre de ouf sur l’album précédent, alors quoi de plus normal que de faire appel à eux pour la suite. Ils sont au charbon tout le temps, ils m’envoient des palettes, ils mettent des type beats en ligne en permanence, je guette ce qu’ils font. Tu vois, par exemple, pour le morceau “AMR“, l’instru de Wisko est d’abord sortie sur YouTube. Je tombe dessus par hasard et je pète ma tête. On essaye d’en bricoler une autre, dans le même style, avec un a cappella, mais on y arrivait pas. Alors on a retiré la vidéo de YouTube pour que je puisse avoir cette prod°.  C’est clairement de l’affect, mais je travaille pas avec eux juste pour ça, c’est aussi parce qu’ils sont très chauds. Tous les beatmakers du projet ont la dalle, et ils font parler d’eux. À l’exception de Rakma peut-être, qui est un peu plus confidentiel. Il faisait partie de Kids Of Crackling à l’époque, donc il était bien identifié en tant que beatmaker, mais maintenant c’est quelque chose qu’il fait juste pour son kiff. Il est chef de projet chez Sony, donc il a un taff qui lui prend tout son temps, et dans lequel il s’épanouit. Il continue juste à proder parce qu’il adore ça, donc c’est un peu le seul qui est “confidentiel”.

iHH™ : Le morceau “Lovely”, qui a d’ailleurs servi de premier single, est co-produit par Nerod et DJ Weedim. On sait l’importance de Weedim dans le hip-hop français, comment est-ce-que tu t’es retrouvé avec une de ses prod° ?

En fait, c’est mon ancien chef de projet de chez Urban [PIAS] qui nous a connectés, sur “Boulangerie française, Vol.4“. Un premier morceau commun est sorti, “Dans le mille“. Mais au moment où Weedim m’envoie les prod° pour sa tape, je retiens celle de “Lovely” et je lui demande si je peux l’avoir pour mon projet. Il a accepté tout de suite. Gros big up aussi à Nerod, qui co-produit, sur la partie mélodique, alors que Weedim est plus sur les drums. En plus, je trouvais ça intéressant, parce que si tu fais gaffe on a pas souvent entendu des prod° comme ça de la part de Weedim, d’habitude c’est plus des gros bangers. Depuis “Furieux”, j’ai créé un véritable cercle de travail de mecs qui ont la dalle, une dalle positive, et je n’ai pas l’intention de m’en écarter.

iHH™ : Ensuite c’est Sheety qui a géré le mix et le master. On le connait pour avoir travaillé avec la “nouvelle scène” parisienne du débat des années 2010, la Sexion d’Assaut et l’Entourage notamment. Comment s’est fait la connexion entre vous ?

Sheety, c’est le mec chez qui j’ai enregistré mon tout premier morceau de rap. Ça remonte à quelque chose comme 2007, si je dis pas de bêtises. Il est du 91 comme moi, j’étais sur Les Ulis, lui sur Massy-Palaiseau, et on s’est rencontrés par l’intermédiaire d’un pote, quand j’étais dans mon premier groupe, Saydatyph. Directement j’ai accroché, en plus d’être un ingé son hors pairs, c’est aussi un beatmaker de talent. Il a un peu un rôle de mentor, c’est lui qui m’a appris à bien poser sur une prod°, à faire des backs comme il faut. Il est casse-couilles, mais dans le bon sens du terme, parce qu’il veut que tu fasses les choses bien. Ensuite nos routes se sont un peu séparées, il bossait déjà avec la Sexion avait que je le rencontre, mais ensuite il a commencé à taffer avec l’Entourage, Jazzy Bazz, Davodka aussi. Ensuite il a fait un projet avec Rmak et Kema [“Super Héros“, sorti en 2013 – NDLR], que je trouve vraiment incroyable. Je vois tout ça sortir de loin, mais on reste toujours en contact avec Sheety. Au moment de “Furieux”, je suis de nouveau sur Paris, je prends la décision de retourner en studio, et je fais rapidement appel à lui parce que c’est l’un des meilleurs dans ce qu’il fait. Pour l’anecdote, il s’est formé avec Nk.F, il a été son assistant pendant deux ans, donc en terme de mix et de master, si tu veux, il sait de quoi il parle. Cette expertise-là, c’est ce que je recherche, parce qu’il fait bien plus que du mix et du mastering, il fait aussi de la réal, ça lui arrive même de reprendre des prod°. C’est du boulot de passionnés, de la recherche, de l’expérimentation, en plus Sheety, de par son expérience, connait très bien le milieu. Il sait comment s’y prendre avec les maisons de disque, les labels… Notre relation, elle va bien plus loin que la musique. 

iHH™ : Tu es à Toulouse depuis un petit moment maintenant, et tu t’es implanté dans cette scène locale. Comment est-ce-que tu vois son évolution ?

J’ai une longue histoire avec Toulouse. La première fois que je descends, c’est en 2005, ensuite je reviens sur Paris. Je redescends en 2011 et j’y reste jusqu’en 2016. Après je vais au Canada, et là ça fait environ un an que je me suis réinstallé à Toulouse. C’est ma ville de cœur, mes premières scènes c’était ici, c’est là que j’ai fait mes premiers pas de manière sérieuse dans le son. Je n’ai jamais été dans un délire de représenter un code postal, mais plus ça avance, plus je me sens investi d’un certain rôle vis-à-vis de Toulouse, déjà parce que le public me le rend très bien. On a fait une release party au Rex pour “Furieux”, la salle était blindée, ça fait des années que les gens sont là et ils soutiennent toujours. C’est peut-être un grand mot de dire que je me sens investi, mais moi qui pensais que j’appartenais à nulle part, au fil du temps je me rends compte qu’un peu, quand même. Quand je reviens ici, il y a un an, j’étais pas vraiment au fait de ce qu’il se passait, et en arrivant je me reprends une claque, je rencontre au taquet de monde, et ça me booste. Il y a une vraie scène, sur laquelle je porte un regard très bienveillant, à développer ici. J’ai un peu envie de participer à quelque chose à Toulouse, mettre ou remettre cette ville sur la carte une bonne fois pour toutes. Évidemment, je pense à Bigflo & Oli, qui ont fait le taff de ouf. Je ne les mets pas du tout en dehors de cette scène toulousaine, comme certains peuvent le faire, mais ils ont pris une telle ascension que je pense qu’eux-même te diraient peut-être qu’ils n’ont pas eu assez le temps de représenter leur ville plus que ça. Ils ont de suite été mis dans leur image de “jeunes rappeurs de province” et pas de “jeunes rappeurs toulousains”. Si je peux prendre position parmi les chefs de file de cette scène, ce serait avec plaisir. J’aimerais énormément faire la Grünt Toulouse, et si un jour j’ai cette chance, la Grünt elle va être épique. Il y a des équipes de l’ombre ici. On parlait de SCH avant l’interview, mais pour bosser ses projets, il vient à Toulouse, parce qu’il y a Guilty. Il y a I.N.C.H, un frérot qui est de Paris à la base mais qui vient de débarquer, il y a Al’Tarba, Furax bien sûr, Melan, Logilo… Il y a une putain de scène, qui est ce qu’elle est encore aujourd’hui, mais ça va venir, il y a des choses qui ne trompent pas.

iHH™ : D’ailleurs, Furax a ghostwrité pour le dernier album de SCH. C’est assez fou quand on y pense quand même…

Ouais ! C’est un boulot qu’il avait déjà fait sur “JVLIVS I“, au niveau des interludes, j’étais au courant de tout ça. En même temps, qu’est-ce-que c’est logique, ça tue. Si demain Furax m’écrit un texte, je serais ravi de le rapper. C’est pas la première fois qu’on vient le chercher pour sa plume. Et puis SCH, quand je le découvre par l’intermédiaire de mes frérots de Marseille, on est tous butés à Furax, donc on se retrouve à kiffer sur les mêmes souches, ça nous parle comme style de rap. Toulouse est une terre de talent, y a pas à chier. 

iHH™ : Parle-moi du morceau “Chaudar”. J’y ai perçu aussi une déclaration d’amour au hip-hop, en sous-texte. Je me trompe ?

Je comprends que tu l’aies compris comme ça. C’est pas forcément ce que j’ai en tête au moment de l’écrire, mais y a le côté “j’ai ça dans le sang” en effet. La musique et l’écriture c’est quelque chose que j’ai en moi, et la seule chose qui m’a permis de traduire ça dans ma vie, c’est le rap. Ce morceau, c’est aussi typiquement l’apaisement dont je te parlais, dans l’état d’esprit “Chaudar”. J’ai l’impression que j’ai beaucoup moins de choses à me prouver aujourd’hui, je suis complètement en paix avec moi-même. Dans la tracklist, il est juste après “EN.VIE” et “AMR“, donc tu arrives un peu au climax du mal-être. Il y a plusieurs phases dans l’album, comme pour un deuil, mais par rapport à une relation. Ça commence avec “Lovely“, qui caractérise le manque. Ensuite il y a le côté déni, violence, rejet, avec “EN.VIE” et “AMR“. Puis vient l’apaisement avec “Chaudar“, une fois que t’es sorti de tes gonds, que t’as crié que t’allais pas bien, c’est l’heure de te poser les bonnes questions. Enfin, on arrive sur “Autre chose“, qui est dans la résilience. Les premiers morceaux du projet traduisent mon état d’esprit avant le début du travail, et le morceau “Chaudar” représente là où j’en suis au moment de commencer la création de l’album, cette forme plus lumineuse, plus apaisée. Pour revenir à la question, ce morceau a une souche rap de fou, c’est plus chantant, mais il y a un coté démonstration de flows. De toute façon, je suis un rappeur et pas autre chose.

iHH™ : Depuis combien de temps est-ce-que tu travailles sur ce projet ? Les divers confinements de 2020 t’ont-ils donné un coup de boost ?

Oui, ça m’a fait du bien de ouf. Je pense qu’à ce moment-là, j’avais le besoin de m’enfermer. C’est bien tombé, parce que sans le confinement, le fait de revenir sur Toulouse, de reconnecter avec des amis, de retrouver la douceur de la vie du sud, ça aurait été compliqué et je me serais vite dispersé, je pense. Tant d’un point de vue artistique qu’humain, j’avais besoin de me retrouver avec moi-même. Je sais que ça n’a pas été facile pour tout le monde, mais je m’estime chanceux. C’était paradoxal aussi, parce que dans un premier temps je me prends le gros coup de masse de la tournée annulée. Je sais que je vais pas percer en playlist, ma musique elle se diffuse par la scène, parce que c’est ce que je fais de mieux. Donc le premier coup a été compliqué à encaisser, mais très vite la force des choses a fait que je n’avais rien d’autre à faire que de la musique. En plus, j’ai tout ce qu’il faut à la maison, donc j’ai aucune excuse. Le confinement m’a permis de ne pas m’éparpiller, et d’aller creuser plus loin dans ma musique.

iHH™ : En revanche, ça t’a privé, comme tous les artistes, des scènes. J’imagine que ce n’est pas simple à vivre pour toi…

Non, pas du tout. Mais encore une fois je m’estime ultra-chanceux, j’ai eu beaucoup de choses pour m’occuper en 2020. La création du projet en tant que telle, faire les maquettes chez moi, puis le passage au studio avec mon équipe, ça prend du temps. J’ai changé d’équipe aussi, avant j’étais avec Urban [PIAS], et notre entente s’est terminée l’année dernière. À ce moment-là, je repartais un peu avec ma bite et mon couteau. Quand tu as goûté au budget d’un gros label, et qu’il faut réussir à rebondir, c’est pas évident. Heureusement, je suis bien entouré ici. J’ai rencontré l’équipe Regarts, qui sont à la base une boite de booking, mais qui font aussi un travail de label avec les artistes. Il a fallu qu’ils revoient leur économie, parce que leur source n°1 de revenus c’est la scène, et ça fait un an qu’il n’y en a plus. Ils m’ont proposé de s’investir dans le projet, dans la co-production, de payer les clips, les mixes… Bien évidemment, c’est chiant de ne pas avoir pu défendre “Furieux” sur scène, mais en vrai j’ai pas à me plaindre. J’ai un projet sorti, une équipe qui croit en moi. Depuis le début de l’année, après 10 ans de charbon, c’est la première fois que je vis de la musique, et c’est une vraie chance. Je trouverais ça bizarre de me plaindre de ma condition, ça ne m’empêche pas de vivre, et de bien vivre. Attention, il faut pas non plus oublier que la situation des intermittents du spectacle est très grave, par exemple, et que ça n’a pas été simple pour tout le monde, mais de mon côté je ne peux pas me plaindre. Je me dis qu’on a jamais été aussi proches du but, qu’il faut encore serrer les dents un peu, et que ça ira mieux. Au moment de la reprise, il y aura de bons moments à vivre avec les gens, le public et les artistes n’attendent que ça.

iHH™ : Quand tu travaillais sur “Chaudar”, qu’est-ce-que tu écoutais ?

Je suis revenu à des vieux amours, beaucoup. Du rap, évidemment, parce que je reste avant tout un auditeur passionné. Là je suis revenu dans mes vieux classiques, toute la souche du hip-hop entre 1995 et 2010 on va dire, on les connait tous. Il y a ce qui sort actuellement aussi, j’ai kiffé “LMF” de Freeze Corleone, et la “don dada mixtape“. J’ai vraiment adoré “QALF” de Damso, il fait exactement ce que j’aimerais faire, musicalement parlant il y a de la recherche, le propos est fou, il fait un album d’adulte et ses choix font grave écho en moi. Dernièrement c’était SCH, avec “JVLIVS II“, une grosse claque aussi. Après, c’est marrant, parce que c’est la première année où je reviens à ce que m’ont fait écouter mes parents, et de manière complètement décomplexée. J’ai écouté énormément Maxime Le Forestier, Maurane, Alain Souchon, Laurent Voulzy, Barbara. Ça m’a permis de comprendre trop de trucs dans ma musique. Je me suis aussi refait Radiohead, Gorillaz, des kiffs comme ça. Je reste un baisé de rap, mais dans les moments où je suis avec moi-même, je refais le tour de plein de choses, et je me fais plaisir.

iHH™ : Parle-moi aussi de la cover ultra-visuelle du projet. Qui l’a réalisée ? Et c’était quoi l’idée derrière ?

La cover c’est David Delaplace, comme sur “Furieux“. L’idée de cette cover est arrivée très tard. Dans mon entourage proche ici sur Toulouse, il y a Youss qui est photographe et aussi rappeur, il m’accompagne sur scène. Il était vraiment investi dans cette pochette, il voulait développer l’idée avec moi. On avait en tête une idée de braise, mais je voulais pas, à la base, mettre du feu. J’avais peur que ça fasse kitsch, je voulais pas faire une Johnny tu vois. Quand j’y repense, cette pochette, c’est un délire vraiment. En gros, on devait tourner le clip de “Chaudar“, fin décembre, le morceau devait sortir autour du 8 janvier, et on s’était dit que ce serait bien qu’à la fin du clip on révèle la cover. Avec les fêtes et tout, on arrive vite à début janvier, et là tout s’est calculé en quatre jours. J’appelle David, parce que dans le temps qui nous était imparti, ça aurait été compliqué de faire ça avec quelqu’un d’autre. Je lui dis que j’ai le projet “Chaudar” qui arrive, et que je n’ai aucune idée en tête pour la pochette. Pour “Furieux”, j’avais absolument toutes mes idées en arrivant, et on avait bien galéré. Cette fois, je lui ai simplement dit de faire ce qui le ferait le plus kiffer. Deux jours après il me rappelle, et il m’envoie une image avec un mec qui a la tête en flamme, mais c’était du boulot 3D. Moi je connais David, je sais qu’il est photographe et pas graphiste, arriver à ce résultat avec des effets spéciaux aurait été trop compliqué. Il me dit “on va te mettre le feu à la tête frère !” Dans un premier temps je refuse, mais je lui demande quand même d’expliquer son truc, et il arrive à me convaincre. De là j’appelle Esskahipé, le réalisateur des clips, je cale le shooting sur Paris, et je lui dis qu’on va filmer le road trip puis la réalisation de la cover, et que ça fera un clip parfait pour “Chaudar”. Il valide l’idée, on part avec Rémi, qui est photographe et qui s’est chargé de faire toutes les photos plateau.

On rejoint David dans le 91, on a une demi-heure d’installation pour le shooting, alors qu’il va durer 20 secondes. On fait des tests, d’abord sur ma main, et assez vite je sens ma peau qui chauffe, donc je me dis que ça va peut-être pas le faire, mais David est sûr de son idée. On essaye avec une couche de protection supplémentaire, ma main prend feu et je sens rien pendant plus de 30 secondes. À ce moment-là, je suis déterminé, je me mets dans l’état d’esprit nécessaire, il n’y avait plus de retour en arrière possible dans ma tête. Pour assurer le truc, on met trois couches de protection autour de mon crâne. On avait prévu toute la sécurité nécessaire, avec un extincteur et tout, mais quand on l’a essayé, l’extincteur ne marchait plus… Moi, j’étais enfermé sous les couches de protection, j’entendais et je voyais quasiment rien. En plus j’avais les pieds dans un lac, qui était glacial, mais d’un côté ça me rassurait. Et là, d’un coup, on me met le feu à la tête. Je ne sens rien, j’entends juste le crépitement du produit, et au bout de 25-27 secondes, je sens que ça chauffe sur mes pommettes. Je décide d’arrêter le shooting, par précaution, même si je n’ai pas eu mal. Au final on était hyper fiers, Youss était trop content du résultat, David aussi. Je ressors de là avec un clip qui tue, une pochette qui tue, et un souvenir de malade. On revient de ce tournage complètement lessivés avec Esskahipé et Rémi, mais on se dit qu’on a fait un truc vraiment bien.

iHH™ : L’album se conclue sur le morceau “Jamais”. On y ressent beaucoup de mélancolie, un constat un peu amer sur la situation en ce moment. C’était une évidence pour toi de terminer comme ça ? 

Non, c’était pas évident du tout. À la base, je pensais terminer sur “Autre chose“. En fait, “Jamais” se retrouve à cette place parce que c’est le morceau le plus récent, et c’est aussi celui que je trouve le plus solide. Pour moi, il se tient très bien, de bout en bout, la mélodie est bien amenée. Tout s’est fait très facilement pour ce morceau, et c’est vrai qu’il est assez mélancolique. À la base, les couplets sont rappés et pas chantés, sur un type beat encore plus triste. Une fois que j’avais posé l’a cappella, BLV était de passage sur Toulouse. On s’est enfermés en studio et on a créé le morceau. La seule directive que je lui avais donnée, c’était de mettre de la guitare. Ce morceau, c’est typiquement le bon mélange de “Chaudar”, le côté ultra-mélancolique, sur une couleur différente, plus chaude. C’est marrant, parce que tout à l’heure je t’expliquais le “menu” de “Chaudar”, avec les phases de deuil et au final l’acceptation. Placer “Jamais” juste après ça, c’est aussi une manière de dire que les problèmes, au final, ils sont jamais complètement finis. J’ai compris que les trucs qui te pèsent, que ce soit une histoire d’amour, un deuil, des conneries que t’as pu faire, des regrets sur certaines choses, tu allais les trainer toute ta vie. La question c’est pas de savoir comment tu vas réussir à les passer sous silence, mais comment tu vas réussir à vivre avec et à accepter le fait que tu ne vas jamais t’en défaire. Accepte cette mélancolie, cette facette plus sombre de toi-même. Apprend à les embellir, et avance.


Vous pouvez écouter “Chaudar” de Fadah juste ici :