Avec “Enchanté”, Alvin Chris ajoute une pierre de plus à son édifice. Un projet court et parfaitement maitrisé qui montre que l’artiste, fort de son expérience, sait exactement où il veut aller. Alors que la rentrée est arrivée à grands pas, voilà un EP ensoleillé qui devrait vous accompagner sur le chemin du travail. 

Interview : Dorian Lacour

iHH™ : Salut ! Tu fais de la musique depuis un bon moment maintenant, est-ce-que tu penses qu’avec l’EP “Enchanté” tu as franchi un cap ? 

Oui je pense effectivement, je pense qu’à chaque projet je franchis un cap. Pour un artiste c’est normal de se renouveler. Entre celui-là et mon dernier projet [l’album “Besoin Cruel“, en 2018 – NDLR] j’ai rien sorti, enfin juste des singles, j’ai évolué sur plein d’aspects. Musicalement on me retrouve à la prod° sur trois titres, je suis allé dans une direction qui me correspond plus. Mon but c’est de m’installer, me faire ma place, c’est un six titres et aucun ne se ressemble, je pense que c’est le bon choix. 

iHH™ : Tu es très attaché au hip-hop des années 1990, non ?

À la toute base je suis un rappeur old school, un puriste. Il y a pas très longtemps je rappais que sur du boom bap, mon crédo c’était “si y a pas de sample de jazz, c’est pas une bonne musique”. C’est ridicule parce qu’à côté de ça j’écoutais toute sorte de musique, mais je mettais une barrière entre ce que j’écoutais et le rap en général, j’étais un peu dans ce délire de puriste. Au fur et à mesure des projets j’ai essayé de m’en détacher, à partir du moment où la trap est arrivée. Même si je n’en fait pas à proprement parler ça m’a poussé à tester d’autres choses, aussi dans l’écriture, moi qui étais très à cheval là-dessus je me suis rendu compte que c’était possible d’en dire plus en écrivant moins. La mélodie c’est une langue à part entière. 

iHH™ : Ton rap a également évolué, j’ai l’impression que tu t’es ouvert à une musicalité que tu avais moins sur tes anciens projets, je me trompe ? 

Non pas du tout ! Par exemple même mon process de création a complètement changé. Avant je recevais une instru, j’écrivais un texte et j’allais au studio pour enregistrer. Maintenant ce que je fais c’est que j’écris en m’enregistrant, je ne sépare plus la phase d’écriture de la phase d’interprétation. Je compose les paroles en même temps que la mélodie, c’est plus authentique et je me suis rendu compte que j’étais capable de faire ça. Au début je fais des yaourts, j’ai une phrase qui vient, puis une deuxième, ça donne plus de corps, c’est plus homogène.

iHH™ : Tu vas piocher dans diverses références, hip-hop, R&B… Qui sont les artistes qui t’influencent ?

Sur cet EP il y a des influences très diverses. J’ai beaucoup écouté Anderson .Paak, Kaytranada et GoldLink. Je pense au morceau “Baskets blanches” qui a une couleur house, c’est une couleur qui me parle depuis un moment, c’est un type de musique qui m’a influencé. Burna Boy aussi m’a inspiré sur des tracks comme “Question de temps“, je me suis pris la scène nigériane depuis quelques années et l’afropop, et après j’ai des références hip-hop des 90’s ancrées en moi, par exemple un titre comme “Coucou c’est encore moi” dans le flow et les intonations il y a un peu de MC Solaar, je sais qu’il m’a beaucoup influencé. Pour en citer un dernier qui n’a strictement rien à voir c’est Matthieu Chedid que j’aime beaucoup. Dans un morceau comme “Verre de trop” j’ai décidé de pousser la barrière entre culture rap et musique que j’écoute, je me suis mis à chanter comme les chanteurs que j’apprécie. 

iHH™ : Tu débutes le projet avec “Coucou c’est encore moi”, qui a un peu été le morceau qui t’a révélé à un plus grand public. Ce morceau pour toi, c’était une évidence ? 

Oui je trouvais ça marrant, c’est un contrepied aussi parce que l’EP va s’appeler “Enchanté” et je commence le projet en disant “Coucou c’est encore moi”. C’est une belle intro qui fait le lien je trouve entre ce que je faisais avant et ce que je propose maintenant. En même temps je sais que c’est un EP qui va être suivi par des gens qui m’ont écouté avant, c’est aussi un repère pour que les gens ne soient pas perdus. 

iHH™ : Justement, dans ce morceau tu dis “j’ai rien de spécial à te dire”, c’est audacieux pour amorcer un projet non ? 

C’est ça, j’ai rien de spécial à te dire, ce titre-là a été fait de manière très spontanée. À la base je faisais une série de freestyles “Je rap comme je respire” et je me disais que j’étais capable de faire quelque chose de bien en 30 minutes. Je n’étais pas forcément dans le calcul. C’est une manière de montrer que je ne me prend pas trop au sérieux. Puis à la fin du morceau je dis “j’te l’accorde, j’me suis éparpillé pour quelqu’un qui avait pas grand chose à dire”. 

iHH™ : Quelque chose me frappe, c’est que tu racontes quelque chose de très réel dans ta musique. J’ai l’impression que tu n’es pas dans l’artifice pour rendre ça plus sexy… 

Oui c’est vrai qu’il y a pas d’egotrip, c’est un projet où j’ai voulu me présenter, j’ai envie que quand tu finisses d’écouter tu saches qui est Alvin Chris. Que tu te fasses une idée de ce à quoi je ressemble, de mon univers musical, mes propositions. Je pense que musicalement c’est ce qui me correspondait le mieux, et puis j’ai envie d’amener mon univers, d’essayer de l’imposer. 

iHH™ : Tu racontes donc souvent des histoires vraies, ou qui sont inspirées de choses que tu as vécues ? 

Oui complètement, je pense que la meilleure façon de parler aux gens c’est de parler de soi. Même si ça peut paraitre anodin je m’inspire de la vie réelle. Une chanson est réussie quand elle relate des émotions, j’ai essayé que chaque titre relate une émotion précise. Je n’ai vraiment pas d’autres inspirations que le réel, la vie de tous les jours.

iHH™ : Parle-moi du titre “Verre de trop”. On sent que tu as envie de t’ouvrir au public aussi, de ne pas forcément masquer des sentiments, je me trompe ? 

Le fait que j’écrive des choses réelles, c’est pas forcément une volonté. Je sais juste que je vais être inspiré par des images que j’ai vécues. Je me rappelle de trucs comme d’une relation un peu toxique où l’ego prenait beaucoup de place, quand j’ai cette image en tête c’est difficile de m’en détacher. L’inspiration vient de choses que j’ai vécues. Après coup je me rends compte que j’ai raconté des choses personnelles, mais je n’ai pas l’impression que je me suis trop livré. J’ai le recul de voir que j’écris une chanson donc j’essaye de ne pas être impudique.

iHH™ : Tu pars sur une prod° bien plus mélodieuse voire dansante avec le titre “Question de temps”, en plus les paroles sont vachement positives. Tu as voulu un feel good song ?

Oui c’est ça, complètement. La musique me parlait d’elle-même, ça m’a inspiré un truc positif, ça devait être une musique qui donne la banane. Elle est beaucoup moins sombre que “Verre de trop”, ça parle d’amour d’une toute autre manière. Quand on doute on peut se rassurer en se disant que ça va s’améliorer, c’est de cette idée que part cette chanson. 

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iHH™ : Dans ce son tu dis en parlant du rap “non monsieur j’en vis pas, mais je ne peux pas vivre sans, tu vois l’genre de terrain glissant”. Comment est-ce-que tu gardes la motivation ? 

Je pense que c’est un truc dont les artistes parlent pas assez, c’est dur de vivre de sa musique aujourd’hui. Moi à titre personnel le rap a toujours été une passion, c’est peut-être un truc qui se perd aujourd’hui. Tu vois je parlais de mon délire boom bap, je suis arrivé quand c’était pas forcément à la mode d’être rappeur. En 2007-2008 quand j’écoutais Youssoupha et Sefyu le rap n’était pas à la mode, j’étais pas dans un délire de faire carrière. Je pense que peut-être aujourd’hui avec les réseaux sociaux et la génération actuelle on veut tout un petit peu tout de suite. J’ai aucune honte à être l’artiste que je suis devenu, la musique que je fais aujourd’hui. Pour me rassurer je me dis que Jay Z a sorti son premier album à 27 ans, si le but est de construire un projet artistique puissant il vaut mieux prendre le temps. Je serais plus rassuré de sortir un projet avec 10 ans d’expérience plutôt qu’un buzz sur Internet. J’ai vraiment une vraie passion pour le rap, peu importe ce qu’il se passe à-côté c’est un kiff complet.

iHH™ : Depuis combien de temps est-ce-que tu bosses sur ton EP ? 

Cet EP a été construit assez bizarrement parce que beaucoup de titres n’étaient pas destinés à être dans un EP. Ces titres ont été faits dans la période où je sortais beaucoup de freestyles. Le morceau qui a été fait le plus anciennement c’est “Baskets blanches“, quatre titres ont été enregistrés entre octobre et décembre dernier. Le dernier morceau c’est “Verre de trop“, en février. La période entre le premier et le dernier a été assez longue mais j’ai fait chaque titre rapidement.

iHH™ : Qu’est-ce-que ça t’apporte de composer toi-même tes morceaux ? 

J’ai la possibilité d’aller dans une direction musicale sans dépendre de quelqu’un. J’avais envie d’un morceau afrobeat pour “Question de temps” et je suis quand même attaché à une certaine musicalité. Le but c’était un morceau afro qui ne sonne pas plastique ou artificiel, alors on a mis des cuivres, c’était chaleureux. Je me disais qu’il fallait que ça colle à mon univers même si c’était connoté tube, je pense pas que j’aurais pu demander ça à des beatmakers, ça me donne de l’autonomie. Quand j’ai envie de faire du son j’attends pas qu’on m’envoie quelque chose, je me pose et je compose. Après pour “Question de temps” je me suis fait aider par Tigerz, un ingé son qui est aussi compositeur, parce que le danger quand tu composes et écris en même temps c’est que tu peux manquer de recul. Il m’a aidé sur les guitares et sur les refrains, il a ajouté une touche de rythme. Mais ce que ça m’apporte vraiment c’est que j’ai l’impression d’aller au bout de ma démarche artistique. 

iHH™ : Tu ne travailles pas seul pour autant, de qui t’es-tu entouré et que t’ont-ils apporté ? 

Pour “Coucou c’est encore moi” j’ai bossé avec Xander Strunk, un de mes grands amis avec qui je bosse depuis très longtemps, on a un collectif d’artistes. Lui est beatmaker et DJ sur scène, on sort pas de projet en tant que collectif mais on s’accompagne, on se donne de la force. Comme il me connait il sait produire quelque chose qui me correspond. Ensuite on retrouve des beatmakers avec qui j’ai connecté par Internet, je pense à Dran Fresh, c’est des coups de cœur musicaux. Je reste dans ce truc où j’écoute tout ce qu’on m’envoie, sur Insta il y a mon mail, je sais que beaucoup d’artistes ne travaillent pas avec tout le monde mais quand on m’envoie des instrus je les écoute c’est la moindre des choses.

iHH™ : Justement, il y a aussi le titre “Psycho” qui a rencontré son public, il est aussi issu de ta série de freestyles, et il détonne un peu. Pourquoi l’avoir choisi dans l’EP ? 

Pour l’anecdote, j’étais dans ce délire de “Je rap comme je respire” tous les lundis je sortais un freestyle, c’étaient des créations courtes qui donnent lieu à des morceaux. J’avais rendez-vous avec mon pote qui me filmait, j’étais en retard et j’avais pas eu d’inspi dans la semaine. Le jour même j’écoute ce que j’ai en stock, et Dran Fresh m’avait envoyé cette instru qui s’appelait “Psyché”, tout de suite je me dis qu’il y a quelque chose avec “Psycho“. Je commence à enregistrer, je savais qu’on enregistrait sur fond blanc donc j’ai demandé à mon pote s’il avait des camisoles, une fois que j’avais l’image et le titre j’avais le dessin complet face à moi, je savais exactement ce que ça allait donner.

iHH™ : Justement, tu dis que “la première prison c’est l’esprit”, est-ce-que la musique te permet de te libérer de cette prison ? 

Complètement, complètement. Quand je dis ça c’est une manière de dire que notre premier ennemi c’est nous-même, la seule personne qui t’empêche d’aller plus loin c’est toi si tu ne t’en donnes pas les moyens. On est capables d’aller chercher ce qu’on veut quand on en a envie, avec notre esprit, la musique pour moi est un exutoire, l’écriture un moyen de donner vie à mes émotions.

iHH™ : Pourquoi t’être limité à six titres ? Tu aurais pu en envoyer beaucoup plus, non ? 

En fait je suis encore en développement de carrière. On est dans une ère où il faut énormément de contenu, et j’ai remarqué que du contenu sur les réseaux sociaux c’est une chose mais arriver sur les plateformes c’est autre chose. Si je balance un 12 titres je ne suis pas convaincu que tout le monde accroche, je préfère plus de qualité avec moins de titres, ça permet de tenir les gens en haleine. Par exemple sur “Besoin Cruel” je sors un projet où je fais de la promo, dans ma tête c’était acquis que les gens écoutaient en entier, alors que six mois après je sors un clip et on me félicite pour le morceau ! Je me dis qu’avec un format court tu es plus efficace, et je sacralise encore un peu le long format, je me dis qu’il vaut mieux se préparer avant d’envoyer. 

iHH™ : Qu’est-ce-que tu voulais offrir à ton public avec cet EP ? 

Mon but en fait avec cet EP c’est vraiment qu’on ne me mette pas dans une case. Entre “Coucou c’est encore moi”, “Psycho” ou “Baskets blanches” c’est une palette de titres qui ne ressemblent pas, l’idée c’est de faire comprendre aux gens que je suis capable de tout faire, qu’ils ne soient pas surpris. Je me dis que si quelqu’un se prend l’EP et valide tous les titres alors j’ai réussi. Je pense à un Kanye West un peu, quand il sort un truc on s’attend à tout et n’importe quoi mais on sait qu’il a une vraie démarche artistique derrière. 

iHH™ : Tu pense que ce projet va pouvoir toucher une base de public plus large ? 

En tout cas il me semble calibré pour… En tant qu’auditeur je suis conscient que je fais une musique qui peut toucher un public large du fait que mes horizons musicaux ne soient pas fermés. Maintenant est-ce-que je vais y arriver ? Je ne peux pas le dire, ça va dépendre de la chance, si elle est de mon côté, ça va dépendre de si on sort des bons visuels, qu’on a des bons relais, la suite c’est le public qui choisit. Je pense que j’ai pas encore assez d’expérience, puisque avant “Coucou c’est encore moi” mes titres étaient écoutés par une petite communauté. Quand un titre sans prétention explose comme ça, ça s’apparente à ce que le grand public pourrait apprécier, donc pour l’instant j’avoue que je suis encore en recherche. 

iHH™ : Donc maintenant, l’objectif c’est quoi ? Qu’est-ce-qu’on peut attendre de toi dans les semaines ou les mois à venir ? 

Pour la suite il y a des visuels, le premier c’est “Question de temps” puis “Verre de trop” après, ensuite je vais remonter sur scène si tout se passe bien, et pour la suite on va enchainer avec un deuxième volet, réfléchi et pensé en amont avec “Enchanté”, une sorte de suite, début 2021.