C’est presque devenu une tradition, chaque été depuis quelques années, un morceau de rap français devient un véritable tube de l’été. Jul, Booba, Soprano, Lartiste, Gims ou l’incontournable Vegedream font danser les foules sur des musiques légères mais diablement efficaces. Alors pourquoi n’avons nous pas eu de tube de l’été rap à proprement parler cette année ? iHH™ MAGAZiNE s’est posé la question, et a tenté de fournir quelques réponses.

Pour bien appréhender la question, il faut déjà savoir ce que l’on entend par tube de l’été. C’est l’éminent Boris Vian qui aurait, dès les années 1950, employé le mot “tube” pour désigner un morceau de musique qui rencontre un succès colossal. La mode du tube de l’été est apparue à la fin des années 1980 lorsque des contrats ont été signés entre les majors du disque et les principales chaînes de télé françaises (notamment TF1 et M6). Pour faire simple, les chaînes diffusaient abondamment un extrait ou l’intégralité d’un clip durant la période estivale plusieurs fois par jour pour en faire un succès d’audience. Les tubes de l’été, qui existaient depuis bien longtemps, étaient donc devenus de véritables enjeux commerciaux. Les années 2000 ont mis un coup d’arrêt à cette tendance, pour diverses raisons. Dans un premier temps, le CSA a durci les conditions de diffusion des clips musicaux, puis est arrivée la “crise du disque” avec l’explosion d’Internet et du téléchargement illégal. Mais même dans des circonstances plus délicates, les tubes de l’été ont perduré. 

La recette du tube de l’été est assez simple : une musique entraînante, dansante et feel good, des paroles relativement triviales et – surtout – qui restent en tête, le tout idéalement accompagné d’un clip paradisiaque baigné de soleil. Longtemps le tube de l’été a été réservé à la variété, plus à même de proposer un contenu léger et festif. Au milieu des années 2010 pourtant, le rap a commencé à prendre de plus en plus d’ampleur en France, si bien que c’est aujourd’hui le genre musical le plus écouté du pays. Logiquement donc, les rappeurs se sont mis à la recherche du tube de l’été, bien souvent synonyme d’une manne financière. Ainsi, des morceaux légers aux prod° et aux paroles aussi simples qu’elles sont efficaces ont commencé à voir le jour. Les nouveaux rois de l’été s’appellent Lartiste (presque 430 millions de vues pour “Chocolat” en featuring avec Awa Imani) et Vegedream avec les immanquables “Ramenez La Coupe À La Maison” et “Elle Est Bonne Sa Mère” en featuring avec Ninho. Chacun de ces morceaux est certifié single de diamant, et si vous étiez vivants ces trois dernières années, vous en avez très certainement au moins entendu parler. Alors, qu’en est-il de 2020 ?

Des prétendants, mais pas de champion.

Plusieurs morceaux peuvent prétendre au titre de tube de l’été rap 2020, mais aucun ne semble réellement en avoir le statut. On pense directement à “Angela”, l’hommage de Hatik au Saïan Supa Crew sorti l’été dernier qui est devenu un véritable hit cette année en partie grâce à l’impact de la série “Validé”. “Djomb” est aussi un candidat idéal, véritable buzz TikTok bien aidé lui aussi par la série de Franck Gastambide. C’est le titre qui a fait exploser Bosh. Les deux morceaux ont été certifiés singles de diamant et leur succès n’est plus à démontrer. Pourtant, le contexte fait qu’ils ne peuvent pas réellement être qualifiés de tubes de l’été. Ils ont connu un réel succès durant le confinement, dans une période très particulière et jamais vue, et semblent s’être – un peu – essoufflés une fois que l’été a réellement commencé. On pourrait presque parler de “tubes d’avant été”, surtout qu’ils n’ont pas pu bénéficier des moyens traditionnels de diffusion des fameux tubes de l’été qui les ont précédés.

Comme chaque année, plusieurs morceaux ont été pensés comme des hits de l’été. La connexion entre Naps et Ninho sur le morceau “6.3” en est un parfait exemple : paroles simples et refrain entêtant, instru dansante composée par DIIAS, clip aux tons estivaux, tout est réuni. Pourtant, cette alliance entre deux faiseurs de hits n’a pas non plus obtenu son statut de hit de l’été. Il en va de même pour des morceaux comme “Folie” de Jul, “Criminel” de Bramsito et Niska, “Macintosh” de Gambi, “Grand bain” de Dadju et Ninho ou encore “RS3” de Benab et Timal. Même le détonnant “So Maness” de Soso Maness n’est pas devenu un tube de l’été, bien qu’il ait été sans nul doute l’un des plus gros tubes du confinement. Chacun de ces morceaux a été un grand succès commercial, mais aucun n’a réussi à réellement se placer comme le tube que tout le monde chantonne une fois les beaux jours arrivés. Une raison évidente semble expliquer cela…

COVID-19… et lassitude ?

Jul, un autre habitué du tube de l’été, au Galaxie d’Amnéville en 2019, par Maude Jnvx

Le COVID-19 et le confinement ont été un véritable bouleversement pour l’industrie musicale. Plusieurs artistes ont décidé de repousser leurs projets à la rentrée, et contrairement à une croyance pré-confinement, ce dernier n’a pas du tout boosté les chiffres du streaming. Si les plateformes comme Spotify ou Apple Music ont vu leur chiffre d’affaire bondir grâce à diverses politiques de promotion et une augmentation du nombre d’abonnés payants à travers le monde, cela ne s’est pas ressenti sur le nombre de streams, du moins en France. Ainsi, certaines plateformes comme Deezer France estimaient que le volume d’écoute avait chuté de près de 10% lors de la première semaine du confinement. Les explications sont assez simples : le confinement a supprimé pour une immense majorité de Français les trajets entre le travail et le domicile, toujours propices à l’écoute de musique, ainsi que les soirées et la possibilité de se retrouver dans des bars ou des boîtes de nuit qui – logiquement – diffusent de la musique.

On retrouve là une cause majeure de l’absence de tube de l’été rap en 2020. Par essence, ce genre de morceau est pensé pour une diffusion massive, l’idée est que même si vous n’allez pas de vous même chercher le morceau il viendra à vous quoiqu’il arrive. La fermeture des bars puis leur réouverture timide à la mi-juin ainsi que la fermeture des boîtes de nuit et des clubs partout en France a plombé les tubes de l’été en devenir que nous citions plus haut. L’annulation des concerts et – surtout – des festivals va dans le même sens. Avec le COVID-19, tout est différent, et les moyens traditionnels de diffusion des tubes de l’été sont touchés de plein fouet, l’effet boule de neige – assez cocasse en été – bénéficiant à ce genre de morceau n’a pas eu lieu. Au-delà de la crise sanitaire, on peut également imaginer qu’une lassitude du public rap est venue à bout de ces tubes de l’été, qui ont, qu’on le veuille ou non, beaucoup de similarités puisqu’ils tendent vers la variété. Les codes que nous énoncions en début d’article ont été repris par les rappeurs, puisque ce sont désormais eux qui sont les artistes les plus en vue. Peut-être sommes-nous à l’aube d’une nouvelle ère musicale en France, et que le tube de l’été 2021 se sera émancipé des codes de la trap. Même si l’hypothèse d’une lassitude de l’auditoire est intéressante, elle semble tout de même peu probable puisque les principaux hits de cette année reprennent les codes habituels du rap à succès, il y a donc toujours un public pour ces morceaux. Il faudra donc attendre encore un peu pour qu’un morceau de Freeze Corleone ou de Ziak devienne un tube de l’été…

Dans tous les cas, même s’il n’a pas eu son tube de l’été, le rap français se porte à merveille. La rentrée musicale s’annonce extrêmement chargée, Booba et SCH (et peut-être Damso) devraient faire parler d’eux, Jul va envoyer un projet réunissant les rappeurs marseillais les plus emblématiques de ces 30 dernières années et l’underground, de Zesau à Lala &ce, est en train de faire parler de lui. Et pour ceux à qui les tubes de l’été manquent, pas d’inquiétude, Gims – un habitué du genre et désormais partie intégrante de TF1 Productions si on doit le rappeler – va proposer à ses fans un tutoriel vidéo pour réaliser un hit.