Magnifiques retrouvailles avec le groupe phare du rap conscient hexagonal. La Rumeur revient en beauté avec l’incandescent album “Comment Rester Propre ?” (un chef-d’œuvre !), le film “Rue Des Dames” (en salle le 13 décembre 2023) et une tournée. Des rendez-vous qui appliquent un baume consolateur sur nos esprits meurtris par l’actualité.

Photo : © Cebos Nalcakan

Dans leur 3e long métrage, “Rue des Dames” (avec Garance Marillier et Sandor Funtek), Ekoué et Hamé, deux des MCs de La Rumeur, nous replongent dans le 18e arrondissement, quartier prolétaire où le collectif a installé son QG à la fin de la décennie 1990 et dont la gentrification a peu à peu exclu nombre des habitants originels. “Ce Paris a été la proie de toutes les spéculations immobilières, constate Ekoué, avec déchirement. Nous avons tourné le film après le confinement. Aujourd’hui, quand je me pose sur une terrasse dans le 18e, j’observe une paupérisation du quartier”. L’héroïne du film, Mia, 25 ans, enceinte et employée dans un petit salon de manucure du 18e, est contrainte de retrouver au plus vite un logement. Angoisse de finir à la rue… Mia bascule dans la débrouille. Les mots incrustés dans la bande-annonce ébranlent par leur vérité simple et dense : “Filmer la rue, c’est filmer le peuple, les mal-aimés. C’est chercher l’essentiel, dans des vies qui semblent n’être rien”

“RUE DES DAMES”, Bande-annonce officielle du long-métrage (The Jokers)

C’est la charismatique Garance Marillier qui joue le rôle de Mia. La jeune comédienne a été nominée en 2018 aux César dans la catégorie du “Meilleur espoir féminin” pour “Grave”, de Julia Ducournau. “Mia possède un instinct de survie aussi puissant que le puits sans fond qui pourrait l’aspirer”, souligne Ekoué. “Rue des Dames”, un film à découvrir absolument, dès le 13 décembre. La Rumeur, sur la brèche depuis 28 ans, mérite notre confiance, notre soutien. En allant voir en grand nombre son film dès les premières dates de projection, nous assumons notre responsabilité de spectateur citoyen, cela pourrait aider à maintenir à l’écran cette œuvre indépendante.

Allitérations affûtées, émotion psalmodiée, cri d’alerte

En attendant que nous vous reparlions de “Rue des Dames”, ruez-vous sur un des chefs-d’œuvre de 2023, le cinquième album studio d’Ekoué, Le Bavar et Hamé, “Comment rester propre ?”. Le titre nous questionne, sans ambages. Au milieu des ruines et des cendres qui endeuillent les quatre coins de la planète, comment rester propre ? Dans cette suprématie systémique où fric et algocratie imposent leur loi, et où, tous les jours, la violence du plus fort viole la dignité des humbles, des fragiles, comment rester propre ?

Dans le clip du titre éponyme, remarquablement réalisé par Mohamed Bourokba (alias Hamé) et produit par La Rumeur Filme, la question est répétée, à la manière d’un cri d’alerte. “Derrière l’urgence d’une indigence volontaire / D’un profilage à la lueur des lanternes, d’un climat délétère / Entre ces murs, entre ces barrières, entre ces peines qu’on écope / Entre les drames, entre nous / Comment rester propre ?”, interroge implacablement Le Bavar, qui, d’un flow d’airain, assène ses métaphores affûtées.

Et Hamé enfonce le clou, sur le pilori de cette prosodie percutante dont il a le secret : “Cette course, ces pièges, ces vainqueurs aux dents blanches / Ces morts de faim, ces pillards et mes jambes qui flanchent (…) Ce trou, ses fous, ses damnés, et ma soif de revanche (…) Comment n’pas se faire mettre les fers ? / Comment rester propre ?”. La science du clair-obscur, que manie magistralement le trio, file des frissons ; c’est ce que l’on ressent lorsque la voix de Hamé soudain s’adoucit et psalmodie presque : “Mon âme, mon amour, prendras-tu soin de mes os ? / De mes colères, mes cocards, mes chemises de guérillero ?”.

Le clip de “Comment rester propre ?” / Prod° : F.A.S. Beats

Ces rimes tranchantes comme la colère écarlate, elles sont portées par une musique qui relève de la pure orfèvrerie et, à la fois, d’une haute fusion crachée au chalumeau. Tandis que les films de La Rumeur recèlent une musicalité intérieure et un sens du rythme qui leur sont propres, les instrus de l’album constituent de véritables courts métrages sonores. Fignolés par SOUL G (compositeur historique du groupe) et par F.A.S (qui a signé la majorité des productions), ces petits bijoux de contraste et de suspense combinent intimement la grande culture musicale du groupe, son amour pour le hip hop et, finement architecturée, une électro qui ouvre encore davantage l’horizon. Dans la composition de SOUL G pour “Rossignol Du Matin”, le sample d’un extrait de la très ancienne chanson française “Rossignol Du Vert Bocage” dispense comme un écho décalé, une insolite fragrance.

Des vers qui jamais ne courbent le dos

Dans “Saturé”, dont le clip dépasse le million de vues sur YouTube, les beats oppressants nous tombent dessus, drus, terrassants. “Quelque part dans des sales draps / Mes dièses sous le matelas / Mes braises à l’abri du froid / Enchaîné au franc CFA / À l’origine du feu /Étincelle après étincelle / Fin d’la lune de miel / Ce s’ra nous contre eux”, fulmine Ekoué. Parmi les nombreux commentaires de la vidéo, l’internaute Steevedg8475 s’enthousiasme : “Louuurd ! Ça fait du bien le retour d’un groupe à l’ancienne !”.

Le clip de “Saturé”, premier extrait du nouvel album de La Rumeur / Prod° : F.A.S Beats

“Durer a un prix”, scande La Rumeur, dans “Capharnaüm”. Depuis 1995, les trois poètes sèment des vers qui jamais ne courbent le dos, des rimes qui triment d’arrache-pied, pour dénoncer, avec âpreté, l’inacceptable. Aujourd’hui, j’écoute leur espoir en cavale, et je chiale. Dans ce bourbier général, comment rester propre ?

Pourtant, aucun nihilisme de la part du trio. Sidérant : sur le fil tendu d’un hémistiche, surgit une lumière étrange et pénétrante qui, s’échappant de leur art tourmenté, nous éclaire subitement. De même que l’intransigeante poésie de Léo Ferré, Louis Aragon, Aimé Césaire ou Mahmoud Darwich nous illumine, la clarté jaillit de la générosité nichée au cœur de la démarche développée par La Rumeur, elle jaillit de la fulgurance de son verbe – par son propos autant que par son lyrisme brûlant.

À écouter d’urgence et à offrir sans compter !

Alors, ne pas se priver de ces rais de soleil. Et aller puiser des forces en se rendant aux concerts (voir dates ci-dessous). Celui donné à guichets fermés à la Cigale (Paris), le 2 décembre dernier, a embrasé le public. Il y a 12 ans, dans la même salle, La Rumeur fêtait, en osmose avec son auditoire, sa victoire dans le procès qui l’avait opposé à l’État durant une huitaine de rudes années. En effet, le Ministère de l’Intérieur, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, avait initié en 2002 une action en justice pour “diffamation publique envers la Police Nationale”, suite à des déclarations de Hamé publiés dans le fanzine du groupe accompagnant l’album devenu légendaire ” L’Ombre Sur La Mesure ». Après deux appels, deux cassations, une vaillance à toute épreuve et l’inlassable soutien de son posse, Hamé avait été relaxé.

À la Cigale, La Rumeur n’a pas manqué de rendre hommage à Morad de la Scred Connexion, dont le décès avait été annoncé par son crew le 19 novembre dernier. Depuis 1997, La Rumeur, ses trois timbres de voix, ses trois sensibilités à fleur d’âme, savent se faire rares, précieux. Et nous tiennent en haleine. 11 ans après “Tout Brûle Déjà”, le foudroyant “Comment Rester Propre ? ” est à écouter d’urgence. Et à offrir sans compter !

La Rumeur, à La Cigale, le 02/12/2023

INFORMATIONS PRATIQUES :

Album “Comment Rester Propre ?” (La Rumeur Prod/ [PiAS])

En salles le 13 décembre, “Rue des Dames” (La Rumeur Filme – Mare e Monti – France 2 et participation de Canal+ / The Jokers), film de Hamé Bourokba et Ekoué Labitey. Avec Garance Marillier et Sandor Funtek.

Facebook : https://www.facebook.com/LaRumeurOfficielle

En tournée, notamment :

Vendredi 8 décembre, Le Sismographe, à Aurillac (15) 

Vendredi 19 janvier 2024, Grand Mix, à Tourcoing (59)

Samedi 10 février 2024, Victoire 2, à Saint-Jean De Vedas (34)