Cela fait quelques années que le nom de Bakari revient sur la scène belge. C’est assez récemment qu’il a pris une autre ampleur, grâce à des singles très efficaces. Extrêmement polyvalent, le rappeur originaire de Liège compte bien marquer le rap francophone de son nom. Il s’est entretenu avec iHH™ MAGAZiNE.
Interview : Dorian Lacour
iHH™ : Salut Bakari, alors je voudrais revenir sur ta carrière. Tu as commencé à faire parler de toi il y a quelques années sur la scène belge, avant une éclosion avec “Kaléidoscope” en 2018. Quel souvenir est-ce-que tu gardes de ce moment ?
Franchement c’était dur, on était en indépendant et on a tout fait tout seuls. “Kaléidoscope” c’était le projet qui allait définir si je continuais ou si j’arrêtais le rap. Je me suis dit : “j’ai 22 piges et je sais faire que ça donc je mets tout dessus, si ça prend ça prend sinon tant pis.” Dieu merci, ça s’est bien passé et j’ai pu continuer dans le rap. Ça m’a permis de signer en maison de disques, d’envoyer des clips et de commencer à faire parler de moi.
iHH™ : Tu es issu de la scène belge, et tu fais partie de cette nouvelle génération de talents belges qui succède aux “pionniers”. Même si tu ne penses pas forcément à ça, devoir faire au moins aussi bien que tes aînés, ça ajoute une pression sur tes épaules ?
Non pas du tout, je me dis que c’est chacun son tour, chacun sa destinée. Je n’ai pas de pression vis-à-vis de ça. Je fais ma musique, et si ça plait aux gens, c’est cool. J’aime bien ce que je fais, c’est le public qui décide si je dois péter plus que d’autres ou pas.
iHH™ : On sait que la scène belge est très dense, et que les connexions sont nombreuses. Tu as featé avec Isha sur “Ailleurs”, comment est-ce-que ça s’est fait ?
En fait on avait des gens en commun. À la base, celui qui s’occupait de moi est une personne qui a grandi avec Isha. Ça fait un moment que j’écoutais ce qu’il faisait, alors je me suis dit : pourquoi ne pas tenter ? Ça a été l’histoire d’un coup de fil en fait, on s’est connecté, on s’est vu en studio, on a un peu discuté et ça s’est fait. Cette connexion, elle était inattendue un peu pour les gens. Le succès d’estime, les retours, c’était vraiment super.
iHH™ : Tu viens de Liège, on sait que cette scène est un peu plus en retrait que Bruxelles. Ça change vraiment de venir de là-bas ?
Ouais ça change de ouf ! À Liège il y a rien pour nous, il y a rien ici. À Bruxelles il y a 2-3 structures, des studios, quelques majors, mais à Liège non. Si un gars d’ici veut péter il doit se connecter avec des gars de Bruxelles ou de Paris. En fait, si tu ne sors pas de ta ville, il n’y a rien…
iHH™ : Tu es revenu dernièrement avec une série de freestyles “Bienvenue dans le stud’”. Comment as-tu eu cette idée ?
Je cherchais une manière de montrer aux gens mon univers musical. On me dit souvent que ma sonorité est différente et on me demande ce que j’écoutais dans ma jeunesse. C’est parti de là, j’ai juste voulu montrer ce que j’écoutais.
iHH™ : Le premier épisode était chantonné, sur un sample de System Of A Down si je ne me trompe pas. Ils ont fait partie de tes influences musicales ?
De fou, de fou, au même titre que le 113 et que les Red Hot Chili Peppers. System Of A Down font partie des gens que j’ai énormément écoutés. Dès que j’ai du réfléchir à des samples, celui-là m’est venu directement en tête. C’était presque une évidence.
iHH™ : Le deuxième épisode est une déclaration d’amour au hip-hop français : tu as samplé le 113 et tu as un flow boom-bap. Comment tu expliquerais ce changement de couleur entre les deux freestyles ?
La prod°, le sample qu’on m’a envoyé, m’inspirait de rapper, alors j’ai rappé. À la base, je suis un rappeur, dans mon premier projet au niveau de la forme tu le sens. Mon école, c’est le rap, je suis obligé.
iHH™ : Justement, c’est en écoutant du rap français, et en particulier Booba, que tu es tombé là-dedans. Après cette première découverte, tu pourrais me raconter comment tu t’es mis au rap ?
En fait, c’est le truc qui était là quand je suis arrivé en Belgique, tout le monde écoutait ça. C’est des choses que je comprenais, des trucs que je voyais et que je vivais. Ça me permettait de me dire que les gars étaient proches de moi. C’est pour ça que dans ma musique j’essaye de rester le plus vrai possible. Je ne vais pas te parler de gros gamos, de magnums et de meufs : ma réalité n’est pas comme ça. Ma réalité, c’est la débrouille, et je sais que la majorité des gens dehors sont comme moi.
iHH™ : Tu voulais donner quoi aux gens avec ces freestyles qui s’achèvent avec le troisième épisode ?
En fait, j’ai essayé de piocher entre chaque style musical que j’écoute. Je voulais des sons que même les gens qui n’écoutent pas de rap captent. Je me suis dit : “OK, j’écoute du rock, qu’est-ce-qu’il y a que j’aime bien ? Les Red Hot Chili Peppers. Du metal ? System Of A Down. En rap, bien sûr il y avait Booba, mais c’était trop simple, alors j’ai pensé à la Mafia K’1 Fry et puis au 113, c’est venu direct.
iHH™ : Aujourd’hui de quels artistes te sens-tu proche, musicalement ou humainement ?
Franchement pour moi la musique doit décrire qui tu es dans la vraie vie. Il y a des rappeurs qui me parlent beaucoup, un DA Uzi ou un Jul par exemple. Quand j’écoute Jul, j’ai l’impression de passer une journée avec lui dans son quartier. C’est pareil pour PNL en vérité. Je me sens proche d’eux musicalement.
iHH™ : Ça tombe bien que tu en parles. Dans le freestyle n°1, tu dis que tu vas tout baiser comme Nabil et Tarik. On sent bien sûr l’egotrip, mais tu places une petite dédicace à PNL. Ils font partie des artistes qui t’inspirent ou c’est juste un shoutout comme ça ?
Ce sont des gens dont je respecte beaucoup la démarche. Ne pas se mélanger, rester qu’en famille, ce n’est pas un truc que je vais pousser à l’extrême comme eux, mais c’est quelque chose que j’admire. Faire ce qu’ils ont fait, c’est énorme, sans feats, sans médias, sans rien, c’est fort.
iHH™ : On sait que tu as des influences diverses et variées, pas seulement rap, mais aujourd’hui qu’est-ce-qui figure dans ta playlist ?
Lolo Zouaï, Summer Walker, Burna Boy, Abra Cadabra c’est un anglais qui fait de la drill que je trouve chaud… Il y a le projet “13 Organisé“, du Ray Charles, du Dylan Washington… plein d’autres.
iHH™ : Tu es pour moi très polyvalent, dans le sens où tu laisses sur certains morceaux la mélodie prendre le dessus alors que tu es tout à fait capable de kicker. Cette double facette, dans le rap en 2020, c’est essentiel pour toi ?
Je ne sais pas, c’est juste une volonté de montrer ce que je sais faire en vérité. Je ne réfléchis pas à ça en vrai. Dans ma démarche artistique, si un truc m’inspire le rap, je vais rapper. Et si un truc m’inspire le chant, je vais chanter.
iHH™ : Et justement, ton duo avec Obeeone dans Nü Pi t’a permis de t’ouvrir à cette musicalité. Je me trompe ?
Non, justement c’est après, c’est pour ça que j’ai quitté le groupe. Dans un groupe, tu te mets beaucoup de barrières. Je n’étais pas libre donc j’ai préféré repartir naviguer en solo. C’est en creusant ma musique en solo que j’ai découvert que j’aimais chanter. Ça m’a forcé à écouter d’autres styles de sons. Maintenant, les flows que je trouve le plus rapidement, ce sont les flows chantés parce que les flows rap ont déjà été exploités mille et une fois. Je suis plus libre sur les flows chantés, les mélodies.
iHH™ : Parle-moi du morceau “N’Da Blocka” sorti en juillet dernier. C’était quoi l’idée avec ce morceau ?
Ce morceau je l’ai bossé avec Le Side (Aloïs Zandry, Machynist et Some1ne – NDLR). L’idée, c’était de faire un morceau pour ma ville, d’où le fait que dans le refrain je dise “j’suis dans l’4000“. Tu vois, 4000, c’est notre code postal ici à Liège. Je suis allé dans mes quartiers, les quartiers de mes potes, pour montrer qu’ici aussi il y a la rue. Parce que quand j’arrive à Paname, les gens ne savent pas qu’il y a des quartiers en Belgique. Sinon, c’est un morceau qui a beaucoup plu aux gens, je le vois dans les streams, ça fait vraiment plaisir.
iHH™ : Tu étais passé au Planète Rap de Larry justement pour l’interpréter. Comment la connexion s’est-elle faite entre vous et que gardes-tu de ton passage sur Skyrock ?
Avec Larry, on est sur le même label en fait. On a déjà passé plusieurs journées à chiller ensemble. Quand il est venu à Bruxelles, il m’a invité, on s’entend bien. Pour le Planète Rap, je t’avoue que c’était un peu stressant quand même. Tu sais que tout Liège te regarde. Mais c’est un très bon souvenir franchement.
iHH™ : Tu insistes dans ton deuxième freestyle sur le fait que le fond et la forme, c’est par ici. Tu entends quoi par ça ? Que tu es parvenu à allier technique et mélodie dans ton rap ?
Ça veut dire qu’on maîtrise tout. Je peux te faire un guitare-voix, un piano-voix, un son afro, même de l’electro je peux le faire ! Malgré que la forme change, je ferais toujours gaffe au fond quand même. Après, cette phase c’est de l’egotrip, mais c’est important pour moi de dire quelque chose dans mon rap.
iHH™ : Tu as tweeté récemment que tu étais à fond sur “Doudou” d’Aya Nakamura. Tu penses à une connexion avec elle ? Ça pourrait être chan-mé non ?
Ça pourrait, ouais, c’est certain qu’on ferait du sale ! Mais le morceau “Doudou” est lourd. J’ai déjà bossé avec l’équipe de Aya et ils sont super. Si j’apprécie le morceau, je le dis, y a rien c’est de la musique.
iHH™ : Tu penses, après plusieurs années dans le rap, que tu as trouvé ta formule ?
Franchement, oui. Je suis arrivé à une phase de ma carrière où j’ai réussi à trouver ma patte, mon truc à moi. Avec le temps, ça peut encore s’améliorer, mais je suis dans la bonne démarche là.
iHH™ : Donc à quoi peut-on s’attendre de ta part dans les semaines ou les mois à venir ?
Là, sur Instagram, on est presque à 10 000 followers. Une fois les 10K passés, une petite surprise va arriver sur les réseaux. Il faut booster ça. Il y aura une surprise, une facette que les gens n’ont pas vue de moi, un petit changement d’ambiance par rapport à ce que j’ai déjà proposé. Restez à l’affût.
(NB : l’interview a été réalisée avant la sortie du single “Groupie Love” sur lequel Bakari est en featuring avec Jäde, mais vous pouvez l’écouter ici)