Après plusieurs années dans le rap, des projets de groupe et de multiples apparitions en featuring, Abou Tall se lance dans le grand bain avec son premier album solo “Ghetto Chic”. Bien entouré et sûr de lui, l’artiste originaire du 9e arrondissement de Paris compte bien affirmer son identité musicale. Il a pris le temps d’en discuter avec iHH™ MAGAZiNE.

Interview : Dorian Lacour

iHH™ : Alors 2020 semble être l’année où les chose s’accélèrent pour toi. L’EP “#SESSIONS” et maintenant “Ghetto Chic”, on est sur une bonne dynamique ! 

Oui c’était l’année de la lancée d’Abou Tall ! Après il y a eu tout un travail en amont qui s’est lancé en 2018, mais ça prend forme concrètement aujourd’hui. 

iHH™ : Tu débutes l’album avec une intro instrumentale d’Amine D1, qui avait enflammé les réseaux avec ses reprises hip-hop au violon. Pourquoi l’avoir choisi ?

En fait, déjà j’ai vu le travail d’Amine depuis longtemps, je le suis sur les réseaux et j’aime énormément ce qu’il fait. Quand on a décidé de bosser sur une intro musicale, on a décidé de mettre des violons. Et vu qu’il a cette fibre urbaine, on a tout de suite pensé à lui. C’est la première fois qu’on enregistrait des chords, c’était peut-être la meilleure expérience qui me soit arrivée en studio. En plus dans le rap français, c’est rare. Ce sont des choses uniques, jamais entendues ailleurs.

iHH™ : Dès le deuxième morceau, tu te places dans la peau d’un autre et tu te demandes : “n’es-tu pas jaloux, n’es-tu pas blessé depuis que Dadju t’a laissé ?”. C’est vraiment une question qu’on te pose ?

Bien sûr, j’ai fait partie de Shin Sekaï. Du coup, depuis la fin du groupe en 2016, les gens ne m’ont pas trop vu avec lui. Ils me disent : “Dadju ça pète, toi pas, pourquoi ?” C’est des questions normales parce que c’est des gens qui veulent que je réussisse, j’avais besoin d’en parler parce qu’on me l’a demandé très souvent. 

iHH™ : Et justement, on voit bien que cette question est infondée avec le titre “Cadenas”, un bel échange entre vous deux, vous avez toujours une belle alchimie. C’était évident pour toi de l’avoir sur le projet ? 

Bah oui, c’était évident. On a fait plusieurs projets ensemble, se retrouver en studio avec une personne avec qui tu as fait des centaines de morceaux c’est toujours un kif. Puis comme Dadju ça pète, il y a beaucoup de gens qui demandent : “c’est comment Shin Sekaï ?”. Ça leur fera plaisir de nous voir à nouveau ensemble. 

iHH™ : Pour rester sur les featurings, tu as invité S.Pri Noir sur “Eau de Cologne”, vu près de 600 000 fois sur YouTube. Comment as-tu pensé à lui pour ce single ? 

J’ai fait ce morceau qui est, je trouve, grave ghetto chic. Parce que l’eau de cologne, c’est chic, mais en même temps le morceau c’est du gros rap. “Eau de Cologne” a cette fibre urbaine et à la fois très classe. 

iHH™ : D’ailleurs, tu l’as invité sur un registre de kickeurs alors qu’il est connu pour ses envolées autotunées, c’était aussi une évidence pour toi ?

Il est plus connu pour ça c’est vrai mais S.Pri Noir je le connais depuis 12 ou 13 ans. On fait du rap parisien, on s’est connus sur un freestyle dans la rue où ça kickait fort. On vient tous les deux de cette formation de kickage, donc on a pas pensé ça comme un contrepied. Peut-être qu’avec la tendance actuelle, ça l’est, mais ce n’était pas souhaité. Ça s’est vraiment fait naturellement, on est nés là-dedans, on a été éduqués comme ça, c’était logique. 

iHH™ : On retrouve aussi Lefa sur “Fermer la Porte”. Tu étais présent sur “3 du mat” et sur “FAME” où tu avais carrément un morceau entier. Comment as-tu pensé à lui pour ce morceau ?

La connexion, elle remonte vraiment, Lefa c’est mon grand frère. On s’apprécie énormément et c’est mon grand. Je me souviens quand j’étais plus jeune, il essayait de me développer artistiquement. Il avait un petit home studio, on s’y retrouvait souvent et il me donnait plein de conseils. Il y a un grand lien d’amitié entre nous, c’est pour ça que je l’ai appelé, en fait je l’imaginais dessus. Je bosse beaucoup avec un compositeur qui s’appelle MKL et il travaille souvent avec Lefa. C’est pas lui qui a produit le track, c’est un autre compositeur qui s’appelle BlackDoe, mais un jour MKL était en studio avec Lefa et il lui a fait écouter le morceau. Il a kiffé et voilà : let’s go !

iHH™ : Enfin, Lynda sur “Next Level”, une belle ballade romantique. Elle remonte à longtemps la connexion entre vous, vous êtes toujours restés proches artistiquement ? 

Bien sûr, on est toujours restés proches artistiquement, je connais énormément de gens de son équipe. Pour mon premier projet je voulais inviter les gens de mon cercle, et Lynda en fait partie depuis très longtemps. Quand j’ai fait ce morceau, j’avais l’idée de la mélodie, des accords, de la progression et je voulais le faire avec une fille. Lynda a une voix incroyable, donc ça tombait parfaitement bien. En fait dans l’album je ne voulais que des personnes avec qui j’ai un vrai lien, avec qui je m’entends bien et qui sont faciles d’accès aussi. Parce que quand c’est ton premier projet, les artistes peuvent être un peu craintifs.

Abou Tall dans les locaux de Wagram Music le 1er septembre 2020, par Michel Rubinel

iHH™ : Tu tenais à montrer sur cet album les deux versants de ton rap, entre flow cadencé sur prod° trap et flow chantant sur une instru délicate ? 

C’est réellement ce que je suis, j’ai commencé par le rap parce que c’était l’opportunité qui se présentait à moi, mais peut-être que si j’avais grandi dans un autre milieu j’aurais fait autre chose parce que j’aime la musique, tous les styles de musique. Ça se ressent dans mon approche musicale et dans mes projets. 

iHH™ : Quelles sont tes influences ? 

Mes influences sont vraiment variées, j’ai grandi sur du rap français et américain, puis j’ai affiné mon oreille sur de la bossa nova, j’ai bossé mes textes en écoutant du Serge Gainsbourg… J’oublie plein de choses, mais c’est vraiment varié en tout cas. 

iHH™ : Tu penses que tu as trouvé ta formule dans le rap, après ces années de maturation du projet ? 

Oui, je pense que je l’ai trouvée, et ce projet va me permettre aussi de l’affiner. Je vais voir ce que les gens aiment, mais au vu des premiers retours, ils apprécient les deux aspects de ma musique, aussi bien le mélodique que le kickage. 

iHH™ : Tu as aussi la science du morceau triste sur une prod° joyeuse, comme sur “Rat des Villes”. Pour toi, c’est important de garder une touche de gaieté dans la musique ?

Rat des Villes“, c’est un de mes morceaux les plus touchants, et je pense dans la musique, quand tu mélanges les émotions, ça donne quelque chose d’assez joli. Ça m’est venu spontanément au début du projet cette idée de faire un morceau où j’ai essayé d’être sincère envers les gens de ma zone, les habitants des ghettos chics. Après, je n’ai pas voulu faire un son particulièrement triste parce que nous autres, les rats des villes, on n’est pas particulièrement tristes. On n’est pas nés dans la soie, certes, mais j’ai pas voulu m’apitoyer sur notre sort. 

iHH™ : Je voulais revenir sur le morceau “Je Veux de toi”, avec ce sample entêtant de “J’aime les filles” de Jacques Dutronc. Raconte-moi sa création…

C’est de la chance ! Il y a aussi le morceau “La clé” qui est un sample de la musique du film “Un homme et une femme[de Claude Lelouch, Palme d’Or à Cannes en 1966 – NDLR]. À un moment donné, j’écoutais énormément de chansons françaises des années 70-80, et donc on se retrouve avec studio avec mon compo qui s’appelle Nyadjiko et je lui ai dit : “vas-y on tente”. On s’est dit qu’on le faisait pour rien, que jamais ils ne nous permettraient de clearer ça. Mais merci Nyadjiko, on s’est dit  : “on le fait pour l’art” et on a eu la chance d’avoir l’autorisation pour utiliser ces samples. Les cainris se permettent de sampler leurs propres sons et nous, en France, on ne peut pas, alors que je pense que c’est une belle chose que d’utiliser notre patrimoine musical pour créer une identité en s’inspirant de la musique d’avant. 

iHH™ : Effectivement, les samples ont une grande place dans ton album. C’est important dans ta sélection de prod° de choisir des samples ?

Le sample, ça te donne quelque chose que tu ne peux pas avoir dans la compo, ça donne une texture qu’on obtient que par le sample. C’est important pour moi parce que j’ai grandi dans un hip-hop très riche en samples. Quand je vois The Alchemist ou Havoc de Mobb Deep, ça sonnait comme une évidence. J’avais grave la crainte de ne pas pouvoir les sortir, et je suis vraiment honoré que de pouvoir utiliser de tels morceaux. 

iHH™ : Un autre des singles est le morceau “Mona Moore”, avec un clip superbe de Christopher Hanany qui montre que tu accordes de l’importance à l’image. C’est important de développer aussi un univers visuel lorsqu’on est rappeur ? 

Bien sûr, voire plus que l’univers musical. Avec les réseaux sociaux, les gens ont besoin de te voir. Il y a des artistes qui n’ont pas besoin des se montrer mais ça reste des exceptions, on est dans une ère où l’image est aussi importante que la musique. Au-delà de ça, la sape et tout, c’est ce que je kiffe. Je veux faire honneur au concept de ghetto chic, être soigné et frais tant dans la musique que dans les visuels. 

iHH™ : Parle-moi du morceau “Ghetto Chic” justement. La prod° de BBP et Dolor est incroyable, à mi-chemin entre boom-bap et trap…

Exactement, c’est le premier morceau que j’ai fait de l’album, il y a très longtemps. Il y a vraiment un univers qui se dégage, j’ai rappé avec beaucoup de sincérité, j’ai parlé des frustrations de mon adolescence, de l’univers dans lequel j’ai grandi, c’est un morceau qui transpire mon état d’esprit, j’en suis vraiment fier. 

iHH™ : Alors il y a deux versions de l’album, une physique et une digitale, c’est quelque chose d’assez rare au final. Pourquoi avoir fait ça ? 

Pour faire plaisir aux gens, plus y a de musique et plus les gens sont contents. Ça fait longtemps que je leur devais un album, là ils en ont deux avec des titres inédits sur chaque support !

iHH™ : En plus, je trouve que les morceaux de la version digitale sont plus doux que ceux de la version physique. C’est un hasard ou c’est fait exprès ? 

Non non c’est fait exprès, pour les gens qui m’ont découvert avec le rap en 2010 ou 2011, je sais que ces gens-là vont acheter des CDs. Je me suis dit qu’ils allaient s’y retrouver et puis de toute manière, ils consomment sûrement aussi la musique en streaming, donc ils pourront écouter les deux morceaux de la version digitale. 

Abou Tall dans les locaux de Wagram Music le 1er septembre 2020, par Michel Rubinel

iHH™ : C’est quoi tes objectifs avec ce projet ?

Déjà, de faire plaisir à mon public dans un premier temps, que les gens rentrent dans mon univers parce que j’ai jamais sorti de projets solo alors que ça fait des années que je rappe. Un autre gros objectif, c’est d’éventuellement faire une tournée si le COVID-19 nous laisse tranquille.

iHH™ : Je rebondis là-dessus, alors qu’on sentait que tu étais paré au décollage, le COVID-19 a tout détraqué. On ne perd pas un peu de motivation dans ces moments-là ?

Franchement, la motivation, non. Ça m’a ralenti, évidemment, mais en terme de motivation, si je ne suis pas motivé l’année où mon disque sort, c’est que je ne mérite pas tout l’amour qu’on me donne, je ne mérite pas tout le travail des gens autour de moi ! Ça m’a ralenti mais jamais démotivé. 

iHH™ : Qu’est-ce-qu’on peut attendre de toi, tu nous prépare des visuels, autre chose ?

J’ai des clips de prêts bien sûr, et disons que l’album n’est pas fini. J’ai encore des surprises à donner, beaucoup de clips et de contenus exclusifs. L’album n’est pas fini…


Écoutez l’album “Ghetto Chic” d’Abou Tall juste ici :