Texte : Maude Jonvaux et Sébastien Muzi
En ce weekend de finale de coupe du monde et de sacre de la France, quoi de mieux qu’un festival… en Hollande ?
Pour sa cinquième édition, le festival hollandais du Woo Hah! continue de renforcer sa programmation déjà imparable (il accueillait notamment en 2017 Gucci Mane, Mac Miller, G-Eazy, Nas, Rae Sremmund, Post Malone et même Roméo Elvis et le Motel) et nous propose une affiche à peine croyable regroupant la scène rap US la plus actuelle qui soit, l’enfer ! On s’est dit qu’il fallait bien que quelqu’un de l’équipe se sacrifie pour vous ramener de ce festival un live report digne de ce nom… Le voici, en s’assurant de ne rien oublier de ce long weekend chargé en bonnes ondes hiphop !
A peine arrivés à Hilvarenbeek, en province de Tillburg, force est de constater qu’il s’agit là d’un festival de grande ampleur, intégralement consacré au hip-hop. Le public de festival est d’ordinaire très hétéroclite. Qu’il s’agisse d’âge, de préférence musicale et même de style vestimentaire, tous les goûts sont dans la nature et c’est certainement l’un des aspects plaisants de ce genre de réunion.
Ici, l’ambiance est tout autre et la foule s’en trouve harmonisée, fédérée. A chaque mètre parcouru, c’est un nouveau battle de style, les afficionados de sneakers exclusives n’auront que leurs yeux pour pleurer. Le chemin vers le camping (en pleine forêt, donc ombragé !) est parsemé de cliques d’amis en train d’écouter de la musique, du rap, bien sûr, du rap partout, et c’est tant surprenant qu’appréciable. L’immensité du site parait presque négligeable face à tant de familiarité. La tranche d’âge n’est pas si large et couvre une population de 18 à 35 ans maximum. Le Woo Hah! possède cette particularité presque déroutante de se destiner à un public exclusivement hiphop, étonnamment très large en nombre (32 000 personnes pour chaque jour du weekend).
Le festival s’organise autour d’un lac, c’est pourquoi il faut bien compter vingt minutes entre le camping et les plus grosses scènes ce qui reste tout à fait raisonnable. Organisation et rigueur seront nécessaires pour ne rien manquer de l’effervescence du Woo Hah! Une fois la logistique assurée, direction le premier concert de la journée : c’est Ty Dolla Sign qui se chargera de notre accueil, jusque là pas trop de quoi se plaindre. Le rappeur californien, qui semble être présent partout cette année, assure un show chaleureux qui colle parfaitement au climat de la journée. Ty Dolla prend le temps de revenir sur ses featurings les plus récents : les derniers projets de Kanye West, l’album du couple The Carters. Des gens du public montent sur scène, accolades et partage de substances, légales pour le coup, Hollande oblige. D’autres festivaliers profitent même du spectacle depuis la plage sur le côté de la main stage. Ce festival respire les bonnes ondes.
On enchaine rapidement avec A$AP Twelvyy à 18h45, les sets s’enchainent et le temps file, on approche doucement de 20h, et là ça ne rigole plus. La soirée de ce samedi 14 juillet ne nous laissera pas de répit, avec consécutivement Migos, 6lack, A$AP Rocky, Joey Bada$$ et Cashmere Cat.
La très bonne surprise du soir est à n’en pas douter le rappeur d’Atlanta 6lack, pas encore très reconnu en France. Fort pour l’instant d’un unique projet sorti fin 2016: « Free 6lack » et de hits comme « Prblms », 6lack assume un vrai live d’une heure et s’accompagne d’un batteur qui ajoute forcément une puissance aux morceaux. Set maitrisé et vrai émotion, on sent que le rappeur n’est pas dans une démarche toujours joyeuse au fil de ses titres, mais il fait montre d’une véritable substance qui le mènera loin, on a hâte de tâter une nouvelle palette de morceaux !
Temps fort de la soirée, à 22h30 la foule immense s’agglutine pour la venue du natif d’Harlem, et plus éminent membre du Mob : A$AP Rocky. Dès son arrivée, le public toujours aussi connaisseur reprend religieusement les paroles de Distorted Records et A$AP Forever (deux titres issus du tout frais Testing, paru le 25 mai 2018). Sur scène, des voitures accidentées comme dans le clip de A$AP Forever, des bandes jaunes quadrillent l’espace. A$AP débarque sur scène entre deux jets de flammes dans un spectacle pyrotechnique flamboyant, il fait chaud
dans le crash photo ! Le public se métamorphose en une masse de fans prêts à en découdre et qui reprennent en coeur chaque morceau à la virgule près. Il fait chaud, très chaud, et les évacuations au premier rang sont nombreuses mais se font dans le calme avec un service de sécurité très alerte et réactif. Il faut vraiment reconnaitre l’appui inébranlable de la foule car sans elle, le constat est amer, le rappeur n’y met franchement pas du sien et se contente surtout de backer ses propres paroles en criant par dessus entre deux explosions et un jet de flamme. La générosité du public (en feu, lui aussi) ne suffira pas à sauver cette « performance », c’est dommage certes, mais la soirée n’est pas terminée !
Il est grand temps donc de se rediriger vers la Forest Stage pour Joey Bada$$, venu défendre le très politique « All-Amerikkkan Badass »,
deuxième album paru en 2017 du new-yorkais de 23 ans à peine. Premier constat, la scénographie est impeccable, c’est un plaisir d’assister à une réelle entrée sur scène, avec des lights rappelant des sirènes de police et une vraie montée en tension. Bada$$ s’avère extrêmement présent et assuré sur scène, c’est là que se crée le fossé entre les rappeurs expérimentés sur scène, et ceux dont le succès a été fulgurant et qui du coup ne suivent pas sur la prestation scénique. Le morceau coup de poing « Rockabye Baby » (en featuring avec Schoolboy Q sur l’album) ouvre magistralement le set et le ton est donné. Joey Bada$$ sait faire de la noirceur de ses morceaux (héritée peut-être de son bagage de Brooklyn) un élément qui le dénote des autres sur scène. Le concert se termine sur « Devastated », morceau devenu quasi-hymne pour les fans de Bada$$, franche réussite.
L’heure tourne, il est passé minuit, le temps de passer voir Cashmere Cat sur une scène un plus loin, puis retourner vers le camping.
Le dimanche commence par nous tirer du sommeil avec un soleil de titane, c’est l’occasion de faire un tour sur la plage du camping. Encore une fois, le Woo Hah! sait recevoir. On se croirait dans le sud sur cette plage de sable fin ! Pourtant une grosse journée s’annonce, c’est le calme avant la tempête…
A 15h30, Rejjie Snow démarre les festivités et emporte un public relativement mince avec des morceaux efficaces comme le très bon « Egyptian Luvr » ou encore le gainsbourien « Désolé ». A chaque rappeur qui monte sur scène depuis la veille, une question nous taraude : très bien le style, les sweat-shirts Suprême, les manteaux et les couches superposées, mais ils ont planqués des climatiseurs dans les retours pour que leurs looks soient supportables par 35 degrés ?
L’excitation pour la centaine de festivaliers français présents se fait de plus en plus sentir, on voit poindre des drapeaux tricolores, l’événement est suffisamment historique pour que nous prenions le temps de nous joindre à nos compatriotes pour cette victoire symbolique, 20 ans après. Le Woo Hah! a tout prévu et un écran géant est installé non loin de la Snipes Stage. Sympa !
A 19h, Denzel Curry prend d’assaut la Forest Stage et les fauves sont lâchés. Le natif de Floride se frotte à un public extrêmement motivé, rapidement la foule déclenche une série de pogos faisant s’élever le sable dans les airs. Les tourbillons de poussière instaurent une ambiance d’apocalypse, et créent un raccord parfait avec l’énergie déployée sur scène. On se croirait dans Madmax ! La setlist fait office d’annonce pour l’album TA1300 (sorti le 27 juillet), le tout entrecoupé d’hommages à feu XXXTENTACION, et aux toujours très vivants membres de System Of A Down. Denzel Curry fait d’ailleurs preuve d’une maitrise surprenante du flow de Serj Tankian sur sa reprise de “Chop Suey“, on valide. « Black Metal Terrorist » vient conclure ce show puissant, laissant le public à la fois éreinté, poussiéreux et surtout… remonté à bloc.
On enchaine sans niaiser avec Lil Pump sur la gigantesque Snipes Stage. Le rappeur arrive avec une bonne demie-heure de retard, ce qui n’écorche en rien la volonté de fer du public d’en découdre, encore et toujours. Le set de celui-ci sera tout de même assez court, avec une dizaine de morceaux, dont un énième hommage à X, mettant la foule au diapason, les bras en croix levés vers un ciel bleu de carte postale. L’hymne rap de 2018: « Esskeetit » nous gratifie d’un bel unisson, avec des milliers de personnes calées sur un BPM à 140.
Il est 21h, c’est l’heure de reprendre des forces en appréciant de loin Juice Wrld, venu assuré le show en lieu et place d’Action Bronson et Tekashi 6ix9ine, respectivement blessé et incarcéré. La pause était nécessaire car à 22h arrive le point d’orgue de ce festival ultra dense.
Sans une seconde de retard, J. Cole et son band montent sur scène. L’équipe de Dreamville met rapidement tout le monde d’accord. Le show est calibré, les musiciens et les choristes fonctionnent bien entre eux, et J. Cole distille sa plume au coup de cymbale près sur l’instrumentale de « Window Pain », outro de l’album « KOD », paru en avril dernier. Au fil du concert, Cole revisite ses hits les plus solides, se promène sur ses albums autant que sur scène, l’espace est occupé à merveille. On enchaine « A Tale of 2 Cities » avec le titre ultra actuel « ATM », qui fait bouger les têtes à chaque « Count It Up » du rappeur. La prestation monte en puissance, avec « Kevin’s Hart », « Work Out », le très personnel et inspiré « Neighbors », puis l’apothéose avec « Love Yourz », morceau pour lequel Cole prend le temps de s’asseoir face à son assistance, fait s’élever des milliers de flashs de téléphone dans les airs et l’instru diminue pour mettre en exergue les paroles chargées en introspection et en spiritualité.
Savoir faire naviguer son public à travers plusieurs états durant un concert n’est pas donné à tout le monde, mais J. Cole maitrise cet art. Avec près de 20 morceaux complets sur scène, le fil rouge se dévoile clairement. C’est donc avec excitation qu’on s’attaque aux morceaux emblématiques venant refermer le spectacle. Tout y est, « Wet Dreamz », « G.O.M.D. », une version a capella de « 1985 », titre adressé aux rappeurs de la nouvelle génération que Cole observe avec la légitimité que lui confèrent ses dix années de carrière, et enfin « No Role Modelz » qui ne peut faire que résonner plus fort que jamais en clôture du show.
Le festival est si dense que nous n’avons pu que peu profiter de la bonne dizaine d’autres activités qu’offrait le Woo Hah! en parallèle de chaque concert : rampes de skate et rollers ambiancées par des DJ toute la journée et showcases le soir, pédalos mis à disposition, petit club presque caché dans les bois pour écouter les dernières tendances mixées sur platines, foodtrucks à n’en plus savoir quoi manger et boire, stands de merchandising Snipes, hamacs disséminés un peu partout sur le site pour piquer un petit somme et baignade dans le lac. Il va falloir revenir et refaire d’autres choix l’an prochain pour ne pas en perdre une miette. La messe est dite, les sens ont été poussé dans leurs derniers retranchements durant ce weekend et il faut maintenant reprendre la route, rentrer au pays en chantant : « We Are The Champions », même s’il faut reconnaître que le Woo Hah! gagne haut la main son trophée de l’organisation et de l’ambiance.
A l’année prochaine Woo Hah!, c’était parfait !
Toutes les photos du WOO HAH 2018 sont disponibles en HD !!!
Pour revivre avec nous la journée du samedi (Ty Dolla Sign, A$AP Twelvyy, Migos, 6lack, A$AP Rocky, Joey Bada$$) c’est par ici.
Et si tu préfères celle du dimanche (Rejjie Snow, Denzel Curry, Lil Pump, Juice Wrld, et J.Cole), c’est par là !
Enfin, si tu as un ami anglophone qui souhaite connaitre tout du Woo Hah!, on a pensé à lui et ça se lit ici.