Le pionnier de la scène rap de Montréal-Nord, Og Cyrus, est revenu le 8 janvier 2021 avec son dernier projet, “Intersection”. Mêlant plusieurs influences, cet album s’annonce comme une renaissance pour le MC québécois. iHH™ Magazine s’est entretenu avec cet authentique vétéran.
Interview : Dorian Lacour
iHH™ : Salut Og Cyrus. Ton dixième album en carrière, “Intersection”, est sorti le 8 janvier dernier. Déjà, est-ce-que tu pourrais m’expliquer le titre de cet album ?
En gros, l’idée derrière tout ça, c’est que je suis arrivé dans une période de ma carrière où j’ai développé beaucoup de choses. Tu vois quand tu arrives sur une intersection tu peux aller tout droit, à gauche, à droite ou revenir sur tes pas. C’était un peu pareil dans ma carrière. Je peux tout faire : chanter, rapper, prendre tous les chemins où je suis à l’aise. Je n’ai pas de chemin précis dans ma tête, c’est l’idée d’une intersection.
iHH™ : Comment vois-tu ton évolution, depuis le début de ta carrière ?
Au tout début, j’étais plus du côté du rap engagé, de la street, parce que j’ai grandi dans un quartier assez chaud à Montréal-Nord. Avec le temps, vu que j’ai mon studio à la maison, ça m’a permis de pouvoir essayer plusieurs trucs, de développer d’autres choses. J’ai commencé à composer aussi : je suis artiste, auteur et compositeur.
iHH™ : “Intersection” est dispo depuis maintenant quelques jours, j’imagine que tu as déjà eu des retours. Qu’est-ce-que ça donne ?
Pour le moment les gens sont très réceptifs. J’avais fait une précommande sur mon site avant la sortie, on a eu une bonne réponse, quand même 455 personnes qui ont acheté l’album en ligne ! Je remercie tous ceux qui ont poussé, on continue à développer ça. Des gens s’attendaient à ce que je rappe un peu plus, mais en général les retours sont vraiment bons.
iHH™ : Tu as voulu offrir beaucoup de sonorités différentes sur ce projet, de morceaux caribéens à une trap plus classique. Pourquoi ça ?
En fait, c’est juste un mode de vie. Chaque jour, on vit des situations différentes. Pour la réalisation de cet album, j’ai parlé avec beaucoup de femmes, plus qu’avec des hommes en fait. J’ai touché d’autres horizons, j’ai exploré d’autres univers et j’ai vu que ça faisait partie de moi. J’ai suivi mon instinct, avec des vibes plus dansantes, caribéennes. Ça collait à ma peau, je suis Haïtien même si je suis né au Québec. À la fin de la journée, je pense que la musique est juste une question de rythmique, pas un style précis. C’est pour ça que je propose des choses différentes.
iHH™ : Quelles sont les personnes qui inspirent ta musique ?
Au tout début, j’écoutais beaucoup de rap US avec mon frère qui me ramenait des cassettes audio des États-Unis, les old school rappers. Aujourd’hui, sincèrement, je n’écoute pas de rap. Je n’écoute pas vraiment de musique en fait. J’écoutais pas mal de rap français quand j’étais plus jeune : IAM, le Secteur Ä, Lunatic… Mais en vieillissant, j’ai un peu arrêté. Maintenant, j’ai de la misère parce que je ne connais pas vraiment les nouveaux. En vrai, mon inspiration ne vient pas de ce qu’il se passe sur la scène rap en France ou aux US. C’est un mélange de ce que je suis, de ce que j’ai vécu.
iHH™ : Tu es en plus seul à la réalisation, de l’enregistrement au mastering. Qu’est-ce-que ça t’apporte de contrôler ton travail de A à Z ?
Pour ce projet-là c’était très personnel. J’étais dans une bulle, je n’avais pas beaucoup de relations avec les autres suite au décès de ma mère. C’était une aventure, et je ne voulais pas collaborer avec quiconque sur le projet. L’idée, c’était de tout contrôler pour donner le ressenti que je voulais vraiment. Ça a bien marché, c’est pas le son top-notch, mais c’est ma saveur, je suis satisfait du résultat. Mais quand même, il y a d’autres personnes qui vont se rajouter dans la réalisation future. Warren Market notamment, avec qui j’ai travaillé sur des compos : on fait beaucoup brainstorms tous les deux.
iHH™ : Tu a décidé de clipper l’intro de l’album. Pourquoi ce choix ?
Comme je te disais, c’est un projet très personnel. Pour moi, l’intro c’est un peu un regroupement de tout ça, de mon ressenti quand je faisais l’album. C’était important de poser ça en premier. Ce n’était pas un calcul marketing en me disant que j’allais clipper une chanson plus dansante. C’est un ressenti et l’intro résumait ce que je ressentais. Ce morceau c’est une rétrospective de ma vie, que je ramène jusqu’à aujourd’hui. Je parle du confinement qui nous apprend à nous ennuyer, et je dis aussi “éducation à coups de ceinturon”. J’explique le parcours quoi.
iHH™ : Il y a le morceau “Fu vous” qui dépeint bien une lassitude. Qu’est-ce-que tu voulais exprimer avec ce titre ?
C’est un petit peu tout ce qu’il se passe, ce que les gens pensent. Tu fais un truc, les gens vont mettre le doigt dessus, te dire quoi faire, quoi ne pas faire. À la fin de la journée, laisse-moi faire ce que j’ai à faire, mêle-toi de tes affaires. C’est pas “fuck tout le monde”, je parle pour les gens qui viennent te juger, te dicter tes choix. C’est la dernière chanson que j’ai finalisée du projet en vrai.
“La culture hip-hop […] est comme retenue, pas exposée à Montréal”
iHH™ : Tu dis dans ce titre que “les rois ne se voient pas dans les nominés”. Cette phrase, elle parle du rap ou c’est un constat général ?
C’est ça, c’est général, un roi reste un roi. C’est un petit peu métaphorique, c’est pas que sur le rap, il y a une profondeur dans mon propos. Des fois j’ai le goût d’expliquer et des fois j’ai le goût que les gens réfléchissent et tirent leurs conclusions par eux-mêmes. Cette phrase va parler à plusieurs gens, de plusieurs façons. C’est pareil sur le morceau “Super Wine“, je dis juste que quand tu es belle et que tu sors, fais attention aux rôdeurs, par contre tu peux venir danser avec moi, il y a de la chaleur et pas de mauvaise vie. Mais il y a des gens qui vont interpréter ce morceau d’une autre manière, et c’est très bien.
iHH™ : On parle beaucoup de rois sans couronnes en France… Tu penses en être un ?
Oui, définitivement ! Mais en fait, oui et non. Oui pour le travail que j’ai fait et non parce que justement, très souvent, le travail que j’ai réalisé, je ne l’ai pas mis en valeur. J’ai sorti beaucoup de projets et direct après, je bougeais sur autre chose. Je n’étais pas concentré à 100 % dans ma musique. Ça a été des flops, mais parce que je ne les ai pas bien amenés.
iHH™ : Parle-moi du morceau “2030”, comment t’est venue l’inspiration ?
J’avais pas la tête à la musique, et ma fille me guide beaucoup dans mon art, elle connait tous mes morceaux. À chaque fois je lui faisais écouter des petits trucs, elle me disait toujours que c’était bon ! Je me demandais si elle exagérait pas. Sauf qu’à un moment elle m’a dit que c’était moins bon, j’ai vu qu’elle était objective. Si je fais cet album c’est pas pour mes potes, c’est pour ma file, c’est elle qui m’a donné le goût de faire le projet. Pour ce qui est du morceau, c’est triste à dire mais dans ma tête c’est comme si je calculais mon espérance de vie. C’est un peu sombre mais c’est ça l’énergie, le spirit, c’est beaucoup de choses. Ça vient du fond du cœur. C’est une chanson plus difficile que les autres, ça m’a demandé plus de concentration, je devais vraiment me creuser la tête.
iHH™ : Pour parler de la scène de Montréal, et québécoise plus largement, on discutait avec Connaisseur Ticaso l’autre jour et il disait être très optimiste pour vous à l’avenir. Qu’en penses-tu ?
Moi ce que je pense de la scène québécoise c’est qu’elle est très talentueuse. Très américanisée aussi, parce qu’on est américains à 100% nous. Je crois que le talent et le potentiel sont là, c’est juste une question de temps, de maturité. Tout le monde doit faire son travail, se tenir la main. Tôt ou tard les barrières vont finir par tomber. Je crois qu’il a y une barrière à Montréal encore, qui fait que pas beaucoup d’artistes explosent.
iHH™ : Comment est-ce-que tu expliquerais cette barrière qui existe encore ?
Je crois que c’est la culture hip-hop qui n’est pas mise en avant, elle est comme retenue, pas exposée à Montréal. On parle pas trop de rap dans les radios, les médias, mais tranquillement ces barrières-là tombent. On entend plus de rap à la radio, une fois que ça va être bien implanté, bien installé, on pourra laisser la musique et le talent parler.
iHH™ : D’ailleurs, on te retrouvait sur le morceau “Hustle” du Connaisseur. La connexion entre vous, comment s’est-elle faite ?
En fait on a beaucoup de connaissances en commun, et c’est un artiste qui est dans le rap depuis longtemps comme moi. Quand Connaisseur a lancé son collectif Blok B, j’étais supposé être le troisième membre, mais pour plein de raisons, je n’ai pas pu rentrer dedans. Ils ont fait leur album [“Bienvenue Dans Mon Blok Vol.1” – NDLR], moi j’ai sorti l’album “Conférence Est“. Mais on se croisait, on se parlait toujours. En 2017, je l’ai invité sur mon album “OG” [sur le morceau “Mélange pas mon vibe” – NDLR], et c’était son retour officiel parce qu’il n’avait rien sorti depuis longtemps avant ça. Connaisseur Ticaso, c’est un pote, on se parle très souvent.
iHH™ : Au Québec, les rappeurs semblent être prêts à collaborer et se donner de la force. Ça peut rappeler la Belgique qui est devenue une scène francophone majeure. Tu trouves que le parallèle se justifie ?
Je suis d’accord sur cette mentalité de partage. Sur “Intersection”, il n’y a pas de featurings mais par la suite on va avoir des projets avec des collabs. Je suis quelqu’un qui, au long de ma carrière, a collaboré avec beaucoup d’artistes. On a fait une compil’ France x Canada [“R Force Canada & France, Vol. 1” – NDLR] avec Calbo, Grödash, Demi Portion… J’ai collaboré avec tous ces artistes, avec beaucoup de québécois aussi. Je crois que l’union fait la force, vraiment.
iHH™ : Dans le morceau “2030”, tu dis : “90% du temps mon spirit est dans une autre ville”. Qu’est-ce-que ça veut dire ? Que Montréal c’est trop petit pour toi ?
Non, ce n’est pas nécessairement que Montréal est trop petit, c’est que je suis quelqu’un qui voyage beaucoup. Même quand je suis sur place, je voyage et j’ai beaucoup voyagé dans ma vie. Je suis de Montréal, mais mon esprit voyage tout le temps. Je ne reste jamais à la même place, c’est ça la définition de la line.
iHH™ : En parlant de voyages, est-ce-que tu penses à te développer sur le marché français ?
En fait, ce que je fais c’est de la musique. Je me dis encore que mon spirit se promène dans toutes les villes. Je veux juste que mon ressenti voyage le plus loin possible, dans des villes francophones ou anglophones. Même aux États-Unis, dans certaines villes, ils écoutent beaucoup de rap en Français. Ce n’est pas un calcul business de me développer en France ou en Europe, mais faire voyager mon art, c’est toujours l’objectif.
iHH™ : Donc “Intersection” était ton 10e album en carrière. Qu’est-ce-que tu prévois pour la suite ?
Déjà, pour sûr, il y a des clips qui vont être faits, dont celui de “Crazy” qui est disponible. J’envisage aussi de clipper d’autres morceaux, je vais essayer de faire pas mal de clips. Pour les tournées on est encore dans le COVID-19, on est en couvre-feu donc c’est compliqué, on verra comment ça évolue. Mais pour les projets futurs, en revanche, c’est loin d’être la fin. Je commence à avoir un autre style d’énergie, d’inspiration, et ça promet. Je suis souvent en studio et je ne fais que préparer des affaires.
Vous pouvez écouter l’album “Intersection” d’Og Cyrus juste ici :