I.N.C.H à Paris, le 05/11/2019. © Michel Rubinel

Pourvoyeur discret mais incontournable de pistes instrumentales tourmentées, I.N.C.H a depuis vingt ans collaboré avec le gotha du rap français. À 39 ans, le beatmaker néo-Toulousain ne saurait être résumé au hip-hop avec lequel il prend ses distances. Du moins, en apparence.

Vous parlez le Kobaïen ? I.N.C.H non plus. Pourtant, son amour de la musique est né à l’écoute de The Last Seven Minutes, du groupe de rock alternatif Magma. OVNI musical à la basse désarticulée, à la batterie saccadée presque hors-tempo et chanté en Kobaïen, idéolangue propre au groupe, le morceau laisse perplexe. « Tu n’arrives pas à le classifier, donc ça commence à te poser des questions. […] En fait tu te rends compte qu’il y a encore beaucoup d’autres portes à ouvrir », se souvient le beatmaker encore rêveur. Assez loin des standards du hip-hop, c’est dans la diversité musicale que le presque quarantenaire a trouvé son unicité. Il énumère pêle-mêle ses sources d’inspiration : Rage Against The Machine, John Coltrane, Lionel Richie, Jean-Jacques Goldman, Pink Floyd et – plus surprenant – « un dessin-animé qui s’appelait Robin, un truc méconnu dans lequel il y avait toujours une musique en fond, quelque chose d’un peu spécial. »

Ce matin de février, la météo se fait métaphore de la musique de I.N.C.H, le soleil boursoufflant une maussade couche nuageuse synonyme d’averse. Dans son spacieux appartement à la déco bariolée du nord de Toulouse, où se chamaillent son chien et son chat, le beatmaker est détendu. Il arbore un sourire malicieux qui ne le quittera jamais durant notre heure d’entretien. On est bien loin, en somme, de ses compositions torturées. Pour mieux comprendre, il faut rembobiner le fil de sa vie.

Entre Brooklyn et Chêne-Arnoult

Arrivé dans l’Essonne à l’âge de 5 ans, I.N.C.H doit très vite composer avec le divorce de ses parents. Ce sont eux qui, malgré la séparation, lui ont transmis leur goût commun de la musique. Après avoir écumé le conservatoire, où il prend des cours de piano « parce que la prof de guitare (le) faisait flipper », le beatmaker poursuit l’aventure hors du cadre académique. La batterie, « plus intuitive que le piano », trouve rapidement grâce à ses yeux et lui permet de recracher sa fougue adolescente.

Le rap arrive dans sa vie au milieu des années 1990, par l’intermédiaire de son ami d’enfance O’Sabio, également rappeur au sein de Fresh Out Da Box. Quel morceau lui a donné envie de composer pour le hip-hop ? Après quelques secondes de réflexion, la réponse tombe comme une évidence : « ‘Meilleurs Vœux’ de G-Kill, Kery James, Namor et Gued-1 ! » Friand de chansons mélancoliques, I.N.C.H trouve ici la preuve que le rap français peut, lui aussi, être larmoyant. Il marque un temps d’arrêt, presque cérémonieux, lorsqu’on mentionne le légendaire MC new-yorkais Ol’ Dirty Bastard. « Son album Return to the 36 Chambers, c’est l’un des premiers que j’ai acheté, je l’ai tellement écouté, je l’ai décortiqué note par note, la manière dont il a été enregistré me fascine… », s’enthousiasme le beatmaker.

En dehors de ses éminentes influences, les productions de I.N.C.H trouvent peut-être leur essence ailleurs, dans un petit village de l’Yonne. « Je passais pas mal de temps dans la maison de campagne de mes grands-parents à Chêne-Arnoult, un bled paumé », se remémore-t-il sans joie aucune. Il poursuit : « Je détestais y aller. […] Mes grands-parents me faisaient un peu la misère. » Toujours est-il que, de son propre aveu, cette « vieille bicoque qui craque » lui a permis de développer son imagination et d’affronter ses peurs. En plus, de façon un peu masochiste, d’accroître son intérêt pour les films d’horreur. Intérêt qui se traduit en musique. O’Sabio vante l’approche « très cinématographique » de son « frère » beatmaker. Il cite John Carpenter et Paul Verhoeven, maestros de l’effroi devenus modèles vivants pour les deux musiciens.

Adieu bientôt

Depuis une vingtaine d’années, I.N.C.H est devenu un pilier de la scène hip-hop française. Vald, Seth Gueko, Oxmo Puccino, Alkpote, Hugo TSR, Limsa d’Aulnay… La liste de ses collaborations, trop longue à dresser exhaustivement, ferait pâlir d’envie plus d’un beatmaker expérimenté. Sa musique est le prolongement de lui-même. « D’une manière générale si un truc ne me ressemble pas, ça me fait chier d’y associer mon nom », admet-il. Petite nuance toutefois lorsqu’il rappe, puisque ses textes n’imagent pas – toujours – le fond de sa pensée. « Si c’est juste pour faire des multi-syllabiques crados, on s’en fout de savoir si c’est vrai ou pas, vu que c’est pour se marrer », sourit-il. « Quand je pense à I.N.C.H, je vois une palette, un tableau », explique O’Sabio conscient du talent de son ami « capable de tirer le meilleur de l’artiste avec qui il bosse ».

Le rap, I.N.C.H lui a tout donné. Il avoue sans ambages s’en détourner. Un désamour qui coïncide avec son arrivée à Toulouse, peu avant le premier confinement. Désormais, il aimerait que sa musique habille des films, des séries ou des pièces de théâtre. Nouvelle ville, nouvelle vie ? Pas si vite. Au fil de la discussion, cette affirmation craquèle, comme les riffs de guitare d’un morceau de Magma. Le beatmaker explique qu’il lui reste « six ou sept albums » bien au chaud dans ses disques durs. Il parle de L’appât, son EP commun avec le rappeur toulousain Seyad, sorti le 15 octobre dernier, puis s’emmêle les pinceaux en détaillant ses collaborations à venir. Il marque une pause : « J’arrête jamais en fait. » De toute manière, on n’y avait pas vraiment cru.


Dorian Lacour