Texte : Sébastien Muzi
Photos : Corentin Collin
Pour cette dernière soirée du Nancy Jazz Pulsations, la rédaction se scinde en deux : une partie au chapiteau de la Pépinière pour Bonnie Banane, Thomas de Pourquery et Woodkid et l’autre au théâtre de la Manufacture de Nancy pour Faraj Suleiman et Mammal Hands.
Le théâtre de la Manufacture abrite ce soir un beau plateau, à la fois cohérent de par l’émotion et varié de par l’exécution. Deux formations virtuoses et empruntes de mélancolie : Faraj Suleiman et Mammal Hands.
Faraj Suleiman
C’est le pianiste d’origine palestinienne qui monte sur scène en ouverture. Il présente ce soir des titres enregistrés durant le Montreux Jazz Festival 2018. Des œuvres très personnelles qu’il interprète d’ailleurs en piano solo, sans paroles. Une plongée instrumentale dans l’univers onirique de Faraj Suleiman.
L’ambiance invite à l’intimité, le public est très attentif et écoute religieusement. Les morceaux sont teintés de néo-classique, de mélancolie et de notes orientales. Le grand piano sobrement éclairé donne presque l’impression d’une indiscrétion, comme si chaque auditeur s’immisçait dans les rêveries de l’artiste.
Faraj Suleiman parvient à manier son piano avec une telle virtuosité que l’on peut percevoir des mélodies héritées de la tradition arabe. Un tour de force puisque le piano n’est pas forcément, de base, l’instrument qui se prête le plus aux gammes et notes orientales. On perçoit également l’héritage solide du jazz occidental, avec des sonorités qui rappellent Keith Jarrett ou Satie.
Cette incursion en solo du pianiste est une réussite complète, chaque morceau raconte une histoire avec des rebondissements, des péripéties puis des retours au calme. Il se dégage un romantisme sublime de ces envolées, c’est un conte mis en musique. On en voudrait davantage, mais il faut faire place à la suite !
Mammal Hands
Après l’entracte, et un passage remarqué de l’accordeur de piano sur scène, c’est au tour du trio britannique Mammal Hands de prendre la scène.
Les trois premiers morceaux du set sont issus du dernier album de la formation : « Captured Spirits » (2020, Gondwana Records). C’est très énergique, le batteur est incisif et épatant de justesse. Quelques titres plus anciens comme « Kudu » ou « Quiet Fire » (présents sur l’album « Floa » paru chez Gondwana Records en 2016) rappellent leur efficacité sur scène et laissent toujours une part belle aux improvisations de chaque musicien.
La saveur particulière du groupe réside dans sa capacité à mélanger des sonorités très douces et mélancoliques jouées au grand piano avec des plages de notes de saxophone ou de clarinette basse renforcées par des pédales d’effets et des échos mystiques.
Jordan Smart (au piano) et Nick Smart (au saxophone, clarinette) se suivent et s’allient sur le début de plusieurs morceaux, puis prennent des voies divergentes pour faire éclater la sublime de chaque instrument. Nick jongle entre sa clarinette basse, son saxophone et un second saxophone bien plus petit et plus aigu. Les mélodies sont tout en crescendo, la complicité des musiciens est palpable. Tout résonne, on passe d’un ressenti plutôt froid à quelque chose de chaleureux.
Il faut enfin (re)faire une mention très spéciale au batteur Jesse Barrett, vraiment excellent et hallucinant d’aisance. Celui-ci s’amuse sincèrement sur scène et expérimente avec une pléthore d’éléments ajoutés à sa batterie (de petites cloches, des grelots, des baguettes balais, etc…). L’ensemble apporte des sonorités bruitistes aux titres et trouve le moyen de se marier parfaitement aux mélodies du piano et des cuivres.
C’est là tout le savoir-faire de Mammal Hands, pousser leur musique hors des sentiers battus, et y greffer une vision inimitable. Le trio déborde de créativité, mais parvient à la distiller subtilement.
Cette ultime soirée du Nancy Jazz Pulsations clôture en beauté le festival. Un grand bravo à l’équipe de programmation pour la richesse du line-up et les découvertes ! A l’année prochaine.