Depuis plus de 10 ans, 2zer sillonne le paysage du rap français, en groupe ou en solo. Fort de plusieurs années d’expérience, mais toujours à la pointe de la tendance, il a présenté son projet “Zerzer Vol. 1” vendredi dernier. Nous avons discuté avec lui à cette occasion, pour parler de la place de son équipe dans son rap, de ses influences et de son statut si particulier, entre deux générations. Entretien.

iHH™ : Salut 2zer. Pour commencer, je voudrais parler de ta carrière. Ça fait maintenant plus de 10 ans que tu es dans le rap, tu as vécu énormément de choses. Quand tu jettes un coup d’œil dans le rétro, qu’est-ce-que tu retiens ?

Déjà de la fierté de ouf. Qu’on soit encore là, après toutes ces années, à faire de la musique ensemble, à l’époque c’était vraiment pas dit. Quand on a commencé, le rap n’avait pas l’impact qu’il a aujourd’hui, c’était un combat plus dur. J’ai beaucoup de fierté, par rapport à nous, et par rapport aux gens, qui ont fait que le rap est devenu la musique n°1. On est toujours avec les mêmes personnes, Eff et Deen ont monté Saboteur, il y a Seine Zoo, on est beaucoup plus structurés. C’est une fierté, on a maîtrisé l’art de faire de la musique et de la diffuser.

iHH™ : On t’a énormément connu en groupe, mais depuis quelques années tu t’es lancé complètement en solo. Est-ce-que, concrètement, ça change quelque chose à ta façon de travailler ? 

Pas forcément, parce que j’ai toujours été un peu en solo, avant L’Entourage et S-Crew. C’est vrai que quand les choses ont émergé j’ai décidé de me concentrer sur le groupe, mais j’ai toujours fait des morceaux solo. En ce moment, je travaille beaucoup avec Hugz, qui réalise les morceaux et qui est beatmaker. Comme il fait des sons pour toute l’équipe, dès qu’une prod° m’inspire, je gratte dessus, mais je me dis pas forcément que je vais faire un solo. Si un autre membre de l’équipe accroche bien, c’est cool. On est toujours en groupe en fait, même quand les uns ne posent pas ils donnent des conseils, ils écoutent. Dans un contexte comme ça, t’as toujours envie de step up. Quand ton pote arrive avec un nouveau couplet et qu’il crache le feu, tu veux être au niveau.

iHH™ : J’ai l’impression que “Décisions”, que tu as sorti en 2019, était une sorte de prise de température, et que tu reviens cette année avec ton projet solo le plus abouti. Je me trompe ? 

Non, t’as en partie raison, mais c’est un peu plus complexe. Après “Destins liés”, l’album du S-Crew, j’avais des soucis de contrats mais j’ai toujours eu envie de sortir des sons en solo. Quand j’ai sorti “Décisions”, je savais pas du tout à quoi m’attendre. J’étais juste heureux que les gens aient du contenu à moi, en streaming, qu’ils puissent identifier mon blase. Je suis à fond sur ma carrière, mais c’est encore difficile pour les gens de m’identifier, donc c’était important de repartir à zéro avec “Décisions” en 2019, avant d’espérer pouvoir faire des scores, et avoir les même chiffres qu’en groupe.

iHH™ : Tu as profité des périodes de confinement pour bosser le projet, c’est ça ? 

C’était après “Décisions” que j’ai commencé à penser à ce projet. J’avais aussi à cœur de sortir des sons, les “Balle perdue”, qui ont un peu occupé le début d’année dernière. Juste après j’ai décidé de préparer un projet, “Zerzer Vol. 1”. Je fais toujours du son, de chez moi, j’ai au moins une cinquantaine de morceaux qui dorment. J’ai pioché dans ce que j’avais de plus chaud et dans ce que j’avais envie de partager avec les gens. Vraiment, pendant le premier confinement, où tout le monde avait peur de sortir, j’ai pu me concentrer à fond sur la musique, faire que ça de mes journées. Ça a été une force, j’en avais besoin, je pense que carrément ça a du influencer mes sons. Mais, je te mens pas, pendant les confinements d’après on est partis à Amsterdam et dans le sud de la France pour taffer.

iHH™ : On sent, dans les prod°, ton amour d’un rap old school, mais qui reste terriblement d’actualité, dans ton propos surtout. Où est-ce-que tu es allé piocher tes inspirations, pour ce projet ? 

Franchement, en général je m’inspire des gens qui sont autour de moi, de mon vécu, de certains trucs qui me foutent le seum aussi. Par exemple, s’il y a un truc qui s’est passé dans la journée et qu’il y une prod° lourde qui tombe, je vais gratter un texte c’est sûr. Il y a les films aussi, c’est clair. Je ne m’inspire pas vraiment de ce que font les autres rappeurs, mais ils ont trop forts franchement. J’ai l’impression que si un mec veut faire du boom bap, il en fait, s’il préfère la trap, il en fait, s’il est plus sur de la drill, il en fait. Je pourrais m’inspirer des rythmiques drill pour faire un bon truc. Tant que c’est original et honnête, c’est chaud.

iHH™ : Parle-moi aussi des prod°, de manière générale elles ont une très forte identité. C’est Hugz Hefner qui est là de A à Z ? 

Franchement, sans Hugz, je pourrais pas développer mon art à ce point. Il fait la direction artistique, il réalise, la plupart des prod° c’est de lui, sauf le son “Bulle” avec Gros Mo et Ratu$, ça c’est En’Zoo qui l’a faite. Hugz est là depuis longtemps. Il réalise un peu le morceau, il donne la couleur, il adapte la prod° au flow, il prépare tout pour que le mixeur reçoive un truc clair, et que ça sonne comme on veut. Si tu envoies une maquette, ça peut être dur pour les mixeurs de capter un délire, sans le travail de quelqu’un comme Hugz.  

iHH™ : Il y a, dans certains de tes morceaux, comme “Satoshi Nakamoto”, une arrogance, dans le flow et les lyrics. Ça démontre ton amour de l’egotrip, couplé à des phases qui donnent le sourire. Comment ça se passe, pour toi, quand tu écris un texte ?

Pour nous l’egotrip c’est la base. C’est un peu une manière de démontrer ce que tu peux faire, il faut pouvoir adapter tes rimes sur plein de thèmes, pour moi c’est toujours un performance. Pour ma façon d’écrire, en vrai, je suis dans mes notes, les phases qui me viennent en tête je les note toutes. Après, plus je reçois des prod° qui m’inspirent, plus je vais gratter un texte. J’essaye de donner une cohérence à mes morceaux, de ne pas trop faire de flows différents, pour que ce soit harmonieux. Des fois, écrire un morceau, ça peut prendre me prendre une heure, des fois une semaine, ça dépend.

iHH™ : Pour parler des deux singles déjà sortis, comment s’est fait le choix de “ViperGTS” en premier ? Et comment est-ce-que ton public a réagi ?

On l’a clippé avec Lokmane, celui-là c’est le plus énervé. Je voulais arriver pour découper, parce que ça faisait longtemps que j’avais pas envoyé comme ça. “ViperGTS” c’est comme une intro aussi, parce que le morceau est pas très long. Les gens, ils ont kiffé, et Lokmane a capté dans quelle vibe me mettre, sombre, avec le grain, genre années 90. Des gens m’ont souvent fait ce commentaire, que cette image correspondait au son, à l’univers, et ils ont kiffé que je découpe, comment ça kicke. 

iHH™ : Dans ce morceau, tu dis “T’as pas de team, pas d’équipe, tes meilleurs sons, c’est que des feats“. C’est de l’egotrip, mais en fait cette punchline elle décrit tout ce que tu ne veux pas devenir, je me trompe ?

T’as capté, exactement ! Ça me rend fou d’être dans un délire où t’es connu juste pour une collab. Il y a beaucoup d’artistes, pas forcément dans le rap, même dans la pop ou ailleurs, ils font un feat et après on entend plus parler d’eux. C’est le pire des scénarios. 

2zer – © DR

iHH™ : Tu as ensuite envoyé “Sans Demander” avec Framal, une connexion hyper efficace au vu de votre passé commun. L’avoir, lui, sur le projet, c’était une évidence ?

Bien sur, ce son s’est fait très naturellement. Hugz nous a envoyé la prod°, on a kiffé tous les deux, on s’est captés, Framal a lâché un pur couplet, ça passait grave bien dans le délire du son. C’est le S-Crew ça, on a cette facilité à sortir un morceau lourd sans se prendre la tête trop longtemps. 

iHH™ : Tu t’ouvres davantage dans le morceau “Dis Leur”, en parlant d’amour, d’une relation compliquée. Est-ce-que c’est plus compliqué pour toi, d’écrire un morceau de ce genre ?

Pas forcément. En fait, ce son, il date de ouf. Il n’est pas forcément inspiré de ma vie actuelle, mais plus de l’ancienne. Je m’inspire aussi des potos, des histoires qu’on se raconte. J’avais commencé ce refrain y a un moment mais ça traînait. En me penchant cette prod°, elle ne m’inspirait que ce thème. Je voulais faire un son comme ça, je sais comment la musique peut aider. Si on peut aider des gens grâce à nos morceaux c’est vraiment lourd.  

iHH™ : Dans ce morceau, tu dis “maintenant les ne-jeus m’appellent monsieur”. C’est bien révélateur de ta place dans le rap français, ni vraiment de l’ancienne génération, ni de la nouvelle. Comment est-ce-que tu vois cette posture ?

Je me dis que c’est maintenant ou jamais. Si je veux faire un solo, c’est une période charnière pour moi. Comme tu le dis je suis ni de la nouvelle ni de l’ancienne génération. Je suis au meilleur âge possible, parce que j’ai acquis une expérience et que j’ai toujours l’opportunité d’être écouté et de ne pas être pris pour un vieux. Je garde les références de maintenant, je suis toujours dans le délire tu vois. Vraiment je trouve que c’est le moment parfait, on a fait beaucoup de travail, sur la partie studio et enregistrement surtout. À l’époque on voulait que freestyler sur les prod°, le fait d’être beaucoup en studio m’a permis de mieux gérer ma voix, mes flows, que ça sonne plus carré.

iHH™ : Pour rester sur les featurings, tu convies aussi Alpha Wann sur le morceau “Don Zoozoo”, une véritable démonstration technique. C’était quoi votre état d’esprit pour ce feat ? 

Alors, en fait, le délire c’est qu’à la base la prod° c’était pas du tout celle-la. Hugz avait fait un truc énervé, avec un gros sample de basse. On a kické avec Alpha, j’ai fait le refrain, il a écouté, ça l’a inspiré et il a fait son couplet. On a laissé dormir ça, et quelques jours plus tard y a un son de Travis Scott qui sort. La vie de ma mère c’était exactement la même prod°, les mêmes trois notes de basse. On a du abandonner le morceau, mais ce qu’il avait posé Alpha, c’était chaud. À Amsterdam, Hugz a repris son a cappella, et il a refait une prod°. On avait qu’un refrain et le couplet d’Alpha, donc j’ai reposé, rajouté des bails. On a tout refait sur la nouvelle prod°, et le morceau tue. 

iHH™ : On retrouve Hache-P aussi, sur le morceau “Teteille”. La connexion entre vous, elle se fait comment ? 

En fait avec Hache-P on était au lycée ensemble, je le connais depuis l’époque. Plus tard on a fait nos bails chacun de notre côté, mais on était toujours en contact. On avait invité la MZ sur nos zéniths, parce qu’ils avaient fait un son avec Nekfeu, “Les princes”. Je voulais vraiment faire un morceau avec Hache-P, on se connaissait depuis longtemps, mais on ne l’avais jamais fait. Je suis content que ça se fasse maintenant, il a sorti son projet “ROCKNROLL” que j’ai trouvé incroyable. C’était le moment idéal.

iHH™ : Tu convies Gros Mo et Ratu$ sur “Bulle”. Une connexion intéressante, qui montre en quelque sorte deux époques de ce rap technique que tu affectionnes tant. C’était ça l’idée ?

De ouf, de ouf ! Le délire c’est qu’on est tous potes, Ratu$ il fait partie de l’équipe Saboteur, il a toujours été là même s’il rappait moins. Pour ce morceau, on était partis à Perpignan, on avait loué une petite maison. Le studio était dans ma chambre, et un matin quand je me réveille, En’Zoo avait fait cette prod°. Gros Mo a lâché son couplet de malade, Ratu$ était là, il a kiffé et il a posé. À la fin j’ai dit “les gars c’est mon son !”

iHH™ : Pour conclure, tu envoies le morceau “DLC”, qui sonne comme une déclaration d’amour à tes débuts et à ton crew, dans une ambiance solaire. Ce titre, il est pour ton équipe, non ?

Complètement. Ce son j’ai vraiment voulu le faire pour l’équipe, quand on est ensemble à écouter de la musique, à fumer pour ceux qui fument, à rider, à faire nos trucs quoi. Il fallait vraiment que je fasse un son comme ça. Aussi, Hugz et moi on est à fond influencés par la G-Funk et la West Coast en général, donc ce son il est venu naturellement. Dans ma caisse, j’écoutais la prod° et je grattais, c’était comme une évidence.

iHH™ : Si je te demande ce que tu écoutes en ce moment, qu’est-ce-qui te passe par l’esprit ? 

Je me suis fait ma playlist sur Spotify, je l’accumule depuis des années, j’ai v’là les trucs dedans. En fait, le délire c’est que j’écoute tous les sons qui sortent en ce moment, j’écoute à fond ce qu’il se passe, dès que j’en kiffe un je le rajoute à ma playlist. Ça marche plus par album, mais par artiste. Dernièrement, Young Thug a sorti son projet [“Slime Language 2” – NDLR], Polo G aussi, il est chaud de ouf. J’écoute pas que du rap après, j’écoute un peu de tout.

iHH™ : J’ai l’impression, et tu me dis si tu n’es pas d’accord, que la façon de fonctionner en crew dans le rap est en train de se perdre, alors que c’est votre fond de commerce à toi et ton entourage depuis des années. Comment tu expliquerais ça ?

En fait je suis d’accord, dans ce qui émerge, sur le devant de la scène, mais je pense qu’il y a encore des groupes, même si c’est vrai qu’on en voit plus trop. Je sais pas vraiment à quoi c’est du. C’est peut-être la facilité à faire de la musique, qu’un mec puisse tout faire de A à Z sans équipe. Ou peut-être qu’aujourd’hui, dans les équipes, y a v’là les mecs qui sont tournés vers le beatmaking, le management, etc. À l’époque, même le poto qui rappe pas, il rappait quand même, peut-être que ça ça a changé. Maintenant il y a plus d’opportunités, mais c’est vrai que sur le devant de la scène on voit plus de gars en solo.

iHH™ : La suite c’est quoi pour toi maintenant, qu’est-ce-qu’on peut attendre de 2zer ? “Zerzer Vol. 1”, ça veut dire qu’il y aura un volume 2 je suppose ?

Il y aura forcément du son ! “Volume 1” ça appelle un “volume 2” bien sûr, mais c’est pas forcément ce que je vais sortir tout de suite après. Je vais continuer à faire des morceaux, c’est ce que je kiffe faire le plus, et ça fait plaisir que les gens soient là pour écouter. J’ai toujours une base à bâtir pour la suite de ma carrière, c’est l’objectif. 


Pour écouter “Zerzer Vol. 1” de 2zer, c’est par ici :