Le parcours hors norme de l’artiste montreuillois, météore du rap, illustre avec éclat l’ostracisation des quartiers populaires par la classe d’en haut. Retour sur le charismatique héros des nouvelles générations.

En ce 20 mai, un millier de visages marqués par le chagrin se recueillent dans un silence impressionnant, lors des obsèques de Werenoi, au nouveau cimetière de Montreuil, sa ville – à laquelle il était très attaché. Discret, et de toute évidence ému, Patrice Bessac, le maire communiste de Montreuil, a choisi de se fondre parmi le long cortège accompagnant l’enfant du quartier Jean-Moulin jusqu’à son ultime demeure. Des fans viennent de loin, à l’instar de cet anonyme qui chuchote à son amie : Le voyage m’a fatigué, mais je ne voulais pour rien au monde manquer ce dernier rendez-vous”. Unie dans le deuil, la foule calme, respectueuse, communie en pensée autour du champion de la prosodie 2.0, brutalement disparu le 17 mai à l’âge de 31 ans à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), à la suite d’une défaillance cardiaque. “Repose en paix mon frère. Je t’aime !”, lui a écrit son producteur, Babs, sur les réseaux sociaux. On sait déjà que ce sera Kaaris, qui remplacera le regretté troubadour sur la scène du festival Les Déferlantes, à Barcarès (Pyrénées-Orientales), le 29 juin. Un intense moment en perspective…

Werenoi a montré que la culture peut être un chemin de dignité”, Patrice Bessac, maire PCF de Montreuil

“Werenoi faisait partie de cette génération enracinée dans Montreuil, dans son histoire populaire, dans ses quartiers vivants, parfois un peu cabossés, mais toujours debout, témoigne Patrice Bessac dans un texte hommage qu’il n’a pas lu en public, mais dont nous vous livrons un extrait : “Werenoi a montré que la culture peut être un chemin de dignité (…). Sa musique, née dans nos quartiers, a franchi nos frontières. Elle a touché des millions de personnes. Il a mis des mots sur des réalités souvent tues (…), a donné de l’élan à des rêves qui s’éteignent trop souvent chez nos enfants, et a incarné l’espérance”. L‘édile rappelle, en outre, “la performance bouleversante de Werenoi, lors du Festival des Cultures Urbaines, l’été 2024, sur la grande scène du parc Montreau, devant 12 000 personnes.

L’histoire de Werenoi illustre combien l’ordre dominant continue d’ostraciser le hip-hop

Edifiant ! Le jour où tombait la nouvelle du décès du charismatique keum du 9-3, la plupart des médias généralistes découvraient soudain l’existence et la notoriété de celui que des pans entiers de la jeunesse ont, en à peine quelques années, instauré figure iconique du rap made in France. Tandis qu’éclatait au grand jour l’impéritie de la pensée dominante, les réseaux sociaux s’emballaient, à travers d’innombrables messages exprimant stupeur et douleur. L’artiste français, né de parents camerounais, incarne, à un degré vertigineux, le ghetto social et médiatique orchestré, depuis des dizaines de décennies, par les stratèges du capitalisme. Héros des nouvelles générations, il a été, dès 2023, l’un des plus gros vendeurs d’albums, EP et singles. Il a notamment cumulé 7 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify – sans compter les autres plateformes.

Ignoré des médias hégémoniques et, par conséquent, de ce que l’on nomme usuellement “le grand public”(*),il montre, avec fracas, que le hip-hop, à l’image des quartiers populaires dont il est issu et de leur population, fait l’objet d’une ostracisation tenace. Werenoi appartient à la lignée des acteurs et actrices du mouvement hip-hop, qui ont contribué à faire du rap la musique la plus écoutée en France et qui ont le mérite d’avoir contré cette volonté d’invisibilisation, par l’opiniâtreté de leur engagement, que celui-ci soit professionnel, artistique ou militant.

Photos de cet article © Instagram @we_renoi

Aucune Victoire de la Musique, pour lui. En revanche, Werenoi a été plusieurs fois récompensé par Les Flammes. Cette cérémonie annuelle a été lancée en 2023, pour braquer les feux sur “ces cultures éclairant des zones d’ombre qui ont souvent été laissées loin des projecteurs”. De ce fait, elle gratifie particulièrement le rap et le R&B. En 2023, le jeune baladin à l’indévissable béret avait été proclamé “Révélation masculine de l’année“. En 2024, “Carré”, alors double disque de platine, a été distingué “album rap de l’année“.

Le 13 mai dernier, un problème de santé empêcha Werenoi d’aller chercher le trophée que la 3e cérémonie des Flammes venait de lui attribuer pour sa réédition augmentée, “Pyramide 2. Sorti en avril, son troisième album, “Diamant Noir”, avait immédiatement squatté les sommets des charts. Et, depuis la mort de l’auteur, compositeur et interprète séquano-dionysien, les ventes explosent.

Sous l’bitume, y a la braise (Werenoi)

Dès son premier EP, “Telegram” (2022), le rappeur montreuillois a accompli la prouesse d’obtenir un double disque de platine. Dans le sillage de ce succès, le morceau “10.03.2023”, dont le titre reprend la date de sortie du premier album de Werenoi (“Carré”), devient rapidement single de diamant. L’artiste y confirme la singularité de son timbre, de son flow, de son sceau musical (il produit nombre de ses œuvres). Sa vision crue, désenchantée, du monde, il la formule au gré de rimes sans fard : “Partis de rien, c’est la HLM vie/ On n’a pas connu les zones pavillonnaires (…) / 9-3 dans la cage d’escalier (…) / Mais sous l’bitume, y a la braise (…) / Le chemin est d’or mais y a beaucoup d’plombs / Mon bonheur fait beaucoup de tristes”.

Audio. WERENOi, “10.03.2023”, texte et composition de Werenoi

À l’écoute de “La League” (2021), son quatrième single, également certifié d’or, si l’on arrive bien que cela ne soit pas facile – à faire abstraction de phrases bougrement sexistes, on se laissera emporter par le refrain entraînant et par les clairs arpèges de piano contrastant avec la noirceur du flow. L’inventif scribe des quartiers a le chic pour affûter d’irréfrénables bangers, qui font danser et tanguer. Est-il fructueux de se boucher les oreilles, face à ses punchlines provocatrices, qui convoquent guns, bucks et chnouf ? Ses fans nous laissent à nos interrogations. “Moi, j’écoute en scred Werenoi, parce que mes parents ne le trouvent pas recommandable, me confie une jeune fille, à la sortie du cimetière. Je ne prends pas à la lettre ses invectives façon bad boy. C’est pas un mauvais garçon, mais un gars au cœur hypersensible qui nous parle de la dureté de la vie. Ils et elles sont légion à se sentir en symbiose avec le spleen de leur star, comme le suggère l’audience phénoménale du morceau “Laboratoire”, qui a dépassé les 150 millions d’écoutes sur Spotify.

La science de l’efficience

Si d’aucuns ont reproché à Werenoi de se soumettre aux codes actuels du rap ou de s’enfermer dans le rap hardcore, son public, lui, est touché par sa pudeur, sa sincérité, son insaisissable personnalité. “Quand Werenoi monte sur scène, il n’y a pas de triche, mais que du vrai, souligne, après les funérailles, un lascar à la mine défaite. J’aime beaucoup sa musique, sa manière d’utiliser l’auto-tune sans en abuser, son rappé-chanté qui garde l’esprit du hip-hop…“. Le natif de Melun (Seine-et-Marne) peaufine ses productions. D’irrésistibles mélodies qui s’agrippent à nos neurones, des basses qui frappent, des beats âpres, oppressants comme les rouages systémiques qui nous accablent, une façon de ralentir son débit vocal pour mieux nous communiquer la gravité du propos… Bref, la science de l’efficience. Notons que son art de cultiver la mélodie, associé au côté sombre de son flow, n’est pas sans évoquer Booba.

Pétris de lucidité, ses textes décochent des flèches de sarcasme, distillent indignation, critique acerbe et désillusion, au gré de punchlines mordantes. Les fans de l’ingénieux rimeur urbain se reconnaissent dans sa perception amère de la réalité sociale. Et retrouvent quelque chose de leur mal-être dans la mélancolie de leur humble parangon, dont les lyrics s’abreuvent parfois jusqu’à la lie. Quoi qu’en disent les rabat-joie, Werenoi – ou Jérémy Bana Owona, de son nom patronymique – a le mérite de fédérer des publics différents. Il est un grain de sable qui, de son impertinence placide, érafle la bien-pensance.

“Un lion ne meurt jamais, il dort”

Lui, le recordman du nombre de vues sur les réseaux sociaux, se dévoilait peu au sujet de sa vie privée. “Le plus malin, c’est pas celui qui l’ouvre, non, c’est celui qui se tait”, balance-t-il dans le second couplet de “La League”. Estimant qu’il exprimait dans ses lyrics tout ce qu’il avait à dire, il refusait de se soumettre à l’exercice de l’interview et de la promo. Une posture appréciée de ses followers, qui, sur Internet, le félicitent de rester libre” et de “ne pas prendre la grosse tête.

Parmi les maintes collaborations opérées par le diamant noir du hip hop, celle avec Damso pour “Pyramide”, single de l’album éponyme (2024), l’a de nouveau propulsé au top de l’audience. Le hit a fait d’autant plus impression qu’il sonnait le retour du rappeur belgesur le devant de la scène. Parmi les commentaires publiés sur YouTube, on remarque celui de Sulyvana, qui salue joliment l’énigmatique taiseux en citant un adage du Cameroun : “Un lion ne meurt jamais, il dort”.

Aussi souhaitons-nous un paisible repos au météore du rap.

Et présentons nos condoléances à la famille de Werenoi, à son équipe, à son public.

 FARA C.

(*) Cette précision, pour sous-entendre la question suivante : pourquoi ne considérerait-on pas les nombreux fans comme constituant aussi “le grand public” ?

Audio. WERENOi feat. DAMSO, “Pyramide” (composition de BBP, textes de Werenoi et Damso)

INFORMATIONS PRATIQUES :

Sa chaîne YouTube :

https://www.youtube.com/@werenoi93

Pour se procurer albums et T-shirts de Werenoi :

https://www.laleague.fr/fr-fr/

Une page relative à Werenoi :

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