Lorsque l’on souhaite faire une corrélation entre le Hip Hop et le cinéma, on pense souvent à Spike Lee pour ces nombreuses œuvres centrées sur la communauté Afro-Américaines ou, plus récemment, Jordan Peele détournant les codes horrifiques dans Us ou Get Out. Mais alors que les clichés de ces héros défiant la Blaxploitation défilent dans ma tête, je me suis rappelé que l’homme qui à le plus fréquenté le terrain pour son travail n’était autre que Spike Jonze.
Texte : Axel Bodin
Rouler pour vivre
Une barbe de 3 jours, une structure capillaire douteuse et un amour inconditionnel pour la musique dans son ensemble. Spike faisait parti de cette génération de réalisateurs venue casser les codes d’Hollywood grâce à une culture fondé sur un langage d’adolescent dicté par des 360° sur une planche Word Industries, des riffs de guitares saturés et d’une dose non-négligeable de sample découpées au millimètre près parcourant les oreilles. Connu pour ses longs métrages avec des antagonistes en perte de repères comme le léthargique Craig Schwartz et sa vie aux couleurs ternes ou Theodore, trouvant du réconfort dans les relations hautement virtuelles.
Mais ce ne sont pas ces films provenant des années 2000 qui nous préoccupent aujourd’hui. Avant d’endosser ce rôle de filmaker, il n’était qu’un gamin des années 80 amateur de ride en BMX au sein de son quartier de Maryland et escorter par sa bande. Cependant, le jeune Jonze était destiné à un avenir radieux, et cela en commençant par élargir ses activités extrascolaires. Dès 16 ans, il débutera son travail chez Rockville BMX Store en tant qu’employé. Rapidement, l’envie de se munir d’un appareil photo pour cadrer des clichés de figures intrépides sur des rampes lui vint à l’esprit. Par chance, et grâce à des connections solides, il se ferra repérer par des éditeurs écrivant pour des magazines comme Transword Skateboarding ou Blind Skateboards.
Un petit bonhomme de chemin plus tard et le voilà en train de vadrouiller entre des spots publicitaires pour en guise de gagne-pain et des vidéos promotionnelles pour des marques de skate comme la légendaire Video Days.En 92, lorsque Kim Gordon, le vocaliste du groupe Sonic Youth, tombe sur ces fameuses images après un concert, il se dit avoir trouvé son homme pour tourner son prochain clip. Une maisonnette pavillonnaire garnit de tableaux au mauvais goût et des images distillées avec un filtre grisâtre montrant des skateurs effectuant des tricks au milieu des avenues de la Californie. Une représentation de la coolissime routine de prépubère en manque d’adrénaline. Le morceau 100% dépeint tout une génération monochrome. Jonze peut apercevoir de nouveaux horizons qui lui permettront de côtoyer le milieu de l’industrie musicale. S’il s’engouffrera dans la Pop avec Weezer et leur tube Buddy Holy à la direction artistique Beatlesque, il s’emparera avec panache d’un mouvement alors encore pleine essor : le Hip Hop.
Comme tout bon skateur, la palette musicale ne doit pas avoir de limite tant que le morceau nous donne des vertiges lorsque l’on roule. De ce fait, Spike ne se cotonnera pas à simple genre tel un puriste bougon. Pour faire se faire la main, quoi de mieux que de choisir les Beastie Boys, envahisseur de téléviseur provenant des pavillons rectilignes. En 1994, lorsque le groupe arrive avec son quatrième album, Ill Communication, à la texture mêlant le hip hop, le punk ou bien le jazz, démontre un large brassage d’influences pour créer un son unique. Une composition constituée d’instruments live qui dresse 20 pistes avec notamment Sabotage. Un single électrique dont Spike viendra y incorporer un visuel rendant hommage aux feuilletons policés à la Starsky & Hutch. Des moustachus cascadeurs échafaudant des Rover et masquant leurs visages stoïques par d’épaisses lunettes de soleils. Le tout sous la forme d’un générique aux arrêts sur images kitchs agrémentées par des lettres de créditassions grasses.
La sous-culture s’invite à Hollywood
Suite à cela, Spike se consacrera pleinement à son job en enchaînant avec des vidéos maintenant mythique comme Da Funk de Daft Punk avec ce chien-homme qui déambule dans un New-York sauvage doté d’une esthétique résonant avec les futurs longs-métrages de l’artiste. Sans compter l’inoubliable comédie musicale qu’est It So Quiet de Björk qui aura fait grimper le réalisateur sur un nouveau pied d’étale. Revenons en 1996, lorsque les Hip Hop Heads auront été déstabilisés par un morceau bien précis. L’apparition de Drop aura su faire des ravages. Un titre phare du groupe The Pharcyde provenant du South Central qui étonne avec le processus mis en place pour faire ce clip en plan séquence monté intégralement à l’envers. Si le quatuor avait déjà pu faire un shooting avec Jonze quelques années auparavant, il était impensable que leur collaboration s’élargisse d’une telle manière. En 5 jours, ils devront apprendre leur texte en reverse tout en étant soutenus par un phonéticien pour traduire ce langage crypté. Leur bouche devra se tordre pour que nous aillions l’impression que la mâchoire distille des mots cohérents à l’écran. Sans oublier que s’est à reculons qu’ils devront exécuter leur marche tout en déposant des pas sur le sol aussi délicats que Neil Armstrong.
Une année plus tard, la mort de Notorious Big vient frapper le monde le 9 mars 1997 alors que celui-ci s’apprêtait à sortir son second album. C’est de façon prématuré que le projet verra le jour seulement 16 jours après son décès. Dedans se trouve le morceau Sky’s The Limit au refrain RnB du groupe 112 et qui, par la production, transpire une vie luxueuse constituée de palace classieux et de piscine aussi étendue que l’océan. Spike Jonze sera appelé pour y déposer sa patte. Un pari risqué où il ne devra pas froisser les fans et proposer un visuel intelligent en vue d’une situation dramatique. Quoi de mieux que de construire un univers conforme au mode de vie de Biggie transposait dans un monde où les humains n’aurait pas plus de 12 ans. Sans dénaturer l’héritage du rappeur, il arrive à proposer sa touche d’extravagance.
Si R.E.M. ou Puff Daddy auront réussi à profiter du talent de notre homme, il est indéniable qu’il aura été débordé par la production de ses films dès la fin des années 90. Finalement, c’est au côté de Kanye West qu’on le retrouvera pour un certain Flashing Lights. Une œuvre qui sera encensé par les critiques pour se slow-motion collant parfaitement au 90 BPM, surplombé de violons et d’une boucle entêtante exécutée par la chanteuse Dwele. Dedans, le désert du Nevada étend un sable noir causé par le reflet de la nuit avec une simple Mustang comme ornement. Une femme sur le siège conducteur, un Mr. West kidnappé et plié dans le coffre. Une pelle pour exécuter à petit feu ce dernier et un jeu de lumière dépouillé. Mais si Kanye aura choisit ce visuel, 2 autres avaient été publié pour la promotion, histoire de faire dans le grandiloquent comme à son habitude.
Avec ce partenariat percutant, de nouveaux visuels vont en découler. On y compte le court métrage We Were Once a Fairytale, I love it avec Lil Pump ou encore Only One, un morceau dédié à son fils. Le plus notable reste Otis pour l’album Watch The Throne avec Jay-Z et Kanye en train de bondir comme des gamins devant la bannière étoilée de l’Amérique, et où notre Yeezus préféré décroche plus d’un sourire à bord d’une Maybach customisée à l’extrême.
La reconnaissance par ses pairs
Dernièrement, c’est avec entrain qu’il arpente les plateaux de tournages pour des publicités chez Apple, en passant par des expérimentations turbulentes dans Jackass. On le retrouve en tant que co-fondateur de Viceland, la plateforme journalistique mondiale. Il n’y a pas dire, Spike aura su être sur tous les terrains. Grâce à un sens aigu dans l’art du détail pour chacun de ses visuels, il extirpe l’élément qui mettra en lumière ses collaborateurs sous leur meilleur jour. Sa « sous culture » lui permet de faire des liens inattendus avec des ingrédients initialement incompatibles.
Les saveurs fades s’avèrent devenir pleines d’arômes. Il est une source d’inspiration pour des artistes comme Kevin Abstract et ses mises en scènes faites avec trois bouts de ficelles. Dans ce microcosme qu’est le clip vidéo, il aura modifié des codes parfois trop linéaires qui été voués à se répéter à l’infini. Il sort les artistes de leur zone de confort tout en donnant une nouvelle dimension aux morceaux, les rendant toujours plus emblématique. Un constat évident en 2019, qui empêche à qui qu’once de protester contre son génie.