À l’occasion de la création du festival WAXOMATiC, dédié au mix avec vinyles dont il est l’instigateur et le fédérateur, iHH™ MAGAZiNE en a profité pour rencontrer ce passionné de musiques qui ne se restreint pas au hip-hop dont il est un des personnages marquants, tant par son implication de longues années durant au sein du groupe Assassin que par son acuité politique et son impressionnante culture musicale. Nous nous focaliserons ici sur le festival Waxomatic, avant de vous proposer ultérieurement une nouvelle interview plus qui abordera plus largement hip-hop et luttes politiques progressistes.

Interview : Gina ROVERE et Yann CHERRUAULT

Photo : D.R.

iHH™ : Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur Waxomatic, le festival que tu montes Aux 3 Comptoirs de Romainville (93) ?

MAÎTRE MADJ : L’idée c’est d’inviter 20 DJs sur une semaine, du 15 au 22 juin 2025, avec un break le 16 parce que l’établissement est fermé le lundi. En fait, le principe c’est que tout le monde joue uniquement en vinyle et que chaque DJ fasse un set de 2 heures. Il y a aussi la volonté de mélanger un maximum de styles. Quand on parle de DJ, on associe souvent ça au hip-hop où à l’électro. Donc pour le coup, ce sera très varié avec du hip-hop, du rock, de la Soul, du Funk, du punk, de la techno, du reggae, etc. Il y a même une fille qui s’appelle Algerian Vinyl qui va jouer de la musique algérienne, en vinyle évidemment. L’objectif, ce serait de pouvoir le refaire tous les ans. C’est la première édition, c’est un peu un coup d’essai. On aimerait créer un rendez-vous à la fois pour les passionnés de disques et pour les passionnés de musique. Mais par “passionnés de disques”, j’entends “passionnés de vinyles”. En tant que DJ, je n’ai jamais fait trop de snobisme par rapport au support, je m’en fous. Je pense qu’on peut faire des choses très bien avec deux clefs USB, ce n’est pas un problème. Mais il y a quand même une différence entre ceux qui s’emmerdent à avoir des disques chez eux et ceux qui n’en ont pas.

iHH™ : Ça fait aussi une vraie différence niveau visuel pour le public, puisque tu vois le mec qui récupère ses vinyles et qui les met en place, les enchaîne, les mixe…

MAÎTRE MADJ : Ouais, il y a carrément ce côté-là aussi !

iHH™ : Tu peux nous parler un peu du lieu où va se dérouler le festival à Romainville, en Seine-Saint-Denis ?

MAÎTRE MADJ : Les 3 Comptoirs, c’est un établissement assez sympa sur Romainville d’où je suis originaire. C’est aussi une manière de contribuer au développement de la vie culturelle et nocturne de la ville en essayant d’être dans un esprit de convivialité entre les participants et le public, et de passer un bon moment autour de la musique sur une semaine complète.

iHH™ : Ça va quand même courir durant sept jours, avec pléthore de DJs qu’il a fallu sélectionner puis contacter. En terme de logistique, ça n’est quand même pas rien.

MAÎTRE MADJ : Bien sûr, mais après, je te dirais que j’ai la chance de ne pas avoir laissé trop de sales traces derrière moi et que quand j’appelle les gens, ils ont plutôt envie de me faire plaisir. Les DJs participants ont joué le jeu en limitant leurs exigences en matière de cachet et je les remercie tous pour cela.

iHH™ : Ce ne sont que des DJs que tu connaissais ou tu as fait des connexions en préparant la programmation ?

MAÎTRE MADJ : Il y a des DJs que je ne connais pas, qu’on m’a recommandés. Mais je dirais que les 4/5èmes, ce sont des gens que je connais. Le premier à avoir été contacté, c’est Dee Nasty. Et à partir du moment où tu dis que Dee Nasty participe, c’est vrai que ça donne envie aux autres d’en être et ça donne un gage de sérieux à l’affaire. D’ailleurs, on ne remerciera jamais assez Daniel (Dee Nasty) bien au-delà de ça, pour tout ce qu’il a apporté et les vibrations qu’il nous a tous transmises durant toutes ces années.

iHH™ : L’entrée est libre pour toutes les journées, il n’y a aucune date payante ?

MAÎTRE MADJ : Ce sera entrée libre intégrale, avec possibilité de se restaurer et de boire sur place. Les 3 Comptoirs est un lieu où on fait d’excellentes pizzas italiennes avec de bons ingrédients et où ils servent essentiellement du vin et de la bière. Il y a des sodas, des jus et des eaux aussi évidemment, mais c’est très axé autour de la gastronomie italienne avec à côté une épicerie dédiée à la cuisine italienne. C’est un peu le cachet du truc. Et pour ceux que ça intéresse, il y a un très beau spot de CBD.

iHH™ : Tu as d’ailleurs déjà mixé plusieurs fois aux 3 Comptoirs…

MAÎTRE MADJ : Oui, je m’y produis régulièrement. J’ai une résidence mensuelle là-bas depuis un petit moment. Il y a aussi du live, des concerts dans tous les styles. C’est un lieu qui est cool, un bel espace. On peut envoyer du son, il y a une vraie sono, c’est top.

iHH™ : Les proprios sont des passionnés de musique ?

MAÎTRE MADJ : Pas plus que ça. Ce ne sont pas forcément de grands spécialistes de musique. Mais ce sont des gens qui ont capté que la musique est  un élément fédérateur. Et à plus forte raison, quand elle est de qualité, ça favorise une certaine qualité de clientèle, d’amoureux de vraie musique.

iHH™ : Durant tout le festival Waxomatic, sur un même soir, il y a toujours des styles relativement variés.

MAÎTRE MADJ : Le principe, c’est que les dimanches d’ouverture et de clôture, c’est de 14 à 20 heures, donc trois DJs ces jours-là. Après, on fait mardi, mercredi, jeudi, vendredi et là, ce sont deux DJs par soirée, de 19 heures 30 à 23 heures 30. Le 21 juin, jour de la Fête de la Musique, on fait midi-minuit, avec six DJs qui s’enchaînent. Donc chaque jour, même quand il n’y a que deux DJs, on a essayé de varier les styles. C’est un peu le parti pris. Quand on s’est penchés sur la direction artistique, j’estimais que ces deux points de vue se défendaient. L’idée de rassembler des gens dans des dynamiques artistiques qui se marient bien, c’est évidemment cohérent. Mais le fait d’arriver à mélanger des styles qui, sur le papier, pourraient paraître aux antipodes, c’est également défendable. Et donc, le défi c’est d’arriver à faire matcher des trucs qui sont un peu improbables. Donc on a fait des paris, on va voir ce que ça donne.

iHH™ : C’est un parti pris qui peut donner envie à un public plus curieux, à des passionnés de musique au sens large.

MAÎTRE MADJ : Oui, ça peut permettre un mélange de publics aussi. L’idée, c’était un peu de faire se rencontrer les gens.

iHH™ : Tu as déjà participé à des évènements similaires à celui-là ?

MAÎTRE MADJ : Pas du tout. C’est une idée qui me trottait dans la tête depuis un moment. Je voulais créer un temps fort sur le boulot de DJ. Et en discutant avec Sheila, la patronne du lieu, on s’est dit que c’était faisable finalement. Au début, on voulait le faire sur deux jours, puis on a décidé de prendre le pari de le faire sur une semaine. Au moins, on marque le coup. C’est vraiment un truc inédit, je n’ai jamais vu ça. J’ai connu des rassemblements de DJs mais l’idée de faire un vrai festival multi-tendances, jamais. Ça se fait beaucoup avec les groupes, mais trop rarement avec les DJ ou quasiment pas.

iHH™ : Et du fait que tu demandes qu’il n’y ait que du vinyle pour mixer, est-ce qu’il y a des DJs qui ont refusé de participer ?

MAÎTRE MADJ : J’ai eu le cas d’un DJ très connu qui n’a plus de vinyles. Dans l’idée, il était prêt à participer mais il m’a dit “je suis désolé, j’ai vendu ma collection et le peu de vinyles qui me restent, je ne les joue pas, maintenant je ne fais que du numérique”. Mais sinon, globalement, je savais à qui je m’adressais.

iHH™ : Pour la prog et l’orga, c’est toi qui as tout fait du coup ?

MAÎTRE MADJ : En collaboration avec les gens de l’équipe des 3 Comptoirs. Mais les grandes lignes, c’est moi.

iHH™ : Là-bas, tu ne vas quand même pas faire toute la régie ?

MAÎTRE MADJ : Non, il y a un régisseur et des gens pour s’occuper du service. Moi je vais m’occuper seulement de la réception des DJs et du respect des ordres de passage, tout ce genre de choses.

iHH™ : Entre l’idée et la réalisation, il a fallu compter combien de temps ?

MAÎTRE MADJ : Je crois qu’on a commencé à en parler, si mes souvenirs sont bons, en toute fin d’année 2024, voire tout début 2025. Donc en gros, six mois.

iHH™ : Tu mixes depuis un moment mais tu t’y es mis sur le tard si on considère la timeline de ta carrière musicale…

MAÎTRE MADJ : Oui. J’ai commencé à mixer en 2010 ou 2011, quelque chose comme ça. Ça fait une quinzaine d’années. Et effectivement, je m’y suis mis sur le tard et c’est un concours de circonstances bien que j’ai toujours aimé partager de la musique. Quand j’étais plus jeune déjà, comme j’avais plus de disques que les autres, j’étais un des gars qui faisaient des cassettes audio pour les autres. En 2010, j’étais à Toulouse pour le festival Origines Contrôlées organisé par l’équipe de Zebda. Rocé y était invité et c’était les débuts où il s’occupait de la direction artistique de l’hôtel Mama Shelter [chaîne hôtelière fondée par Serge Trigano, l’ancien PDG du Club Med, rachetée depuis par le groupe Accor – NDLR]. On ne se connaissait pas. On a commencé à discuter au petit déjeuner, à l’hôtel, tu vois le truc. Et au bout d’un moment, il me dit : “ce serait bien que tu viennes au Mama jouer des disques”. Je lui réponds que je n’ai jamais fait ça. J’avais une petite appréhension mais il m’a rassuré en me disant qu’on le ferait tranquille et qu’il n’y avait pas besoin d’être un grand technicien. Et puis finalement, je me suis lancé. Je l’ai fait une première fois. Puis j’ai été résident là-bas pendant à peu près un an. J’avais une date par mois entre 2011 et 2012 et finalement, j’ai pris goût au truc et je me suis familiarisé avec la technique. Comme j’avais quand même le sens du rythme, je suis tout de suite arrivé à rentrer à peu près les morceaux proprement dans le temps dès le début. Et je me souviens que pour les premiers sets que je faisais là-bas, je mélangeais vinyle et CDs, donc c’était assez drôle. J’avais deux CDJ’s et deux platines vinyles et je mélangeais un peu les deux supports. Voilà comment ça a commencé. Puis ça s’est développé et ça dure depuis une quinzaine d’années. Bon, il y a des hauts et des bas. Je vous avoue que c’est loin d’être simple, mais c’est devenu une de mes activités principales depuis un bon moment maintenant.

iHH™ : Tu disais que tu appréhendais tes passages au début. Aujourd’hui, à quelques jours du festival, tu ne stresses pas trop ?

MAÎTRE MADJ : Non, ça va. Honnêtement, le seul truc, c’est que j’espère que ça sera suffisamment un succès pour qu’on puisse envisager de refaire une nouvelle édition. L’intérêt, c’est vraiment d’arriver à pérenniser ce rendez-vous annuel et de relever le défi de faire venir les gens. Moi, je n’ai pas plus de stress que ça si ce n’est pour la responsable du lieu qui a déjà mis un peu de blé pour la comm’ et qui va devoir payer les DJs, les employés et le régisseur.

iHH™ : L’idée du coup, c’est de pérenniser l’évènement Aux 3 Comptoirs ?

MAÎTRE MADJ : Oui. Après, peut-être que si le truc devient trop gros il faudra le faire ailleurs. Mais il faut que ça ait son existence aux 3 Comptoirs.

iHH™ : Et pour ton set, tu as déjà calé ta playlist ?

MAÎTRE MADJ : Oui, disons que j’ai déjà un bon canevas de la sélection que je vais faire. Je mixe le 19 juin avec Solo [également un des anciens membres du groupe Assassin – NDLR]. À la base, ce n’était pas prévu comme ça mais les indisponibilités des uns et des autres ont fait qu’on s’est organisé comme ça. Donc ça va être assez drôle. Moi je vais ouvrir et lui terminera la soirée du Jeudi 19 Juin.

iHH™ : Vous n’avez pas fondamentalement les mêmes goûts.

MAÎTRE MADJ : Non, il sera davantage dans une ambiance entre Hip-Hop et Electro. Et moi je vais être vraiment sur une sélection Soul, R&B des années 60 et je vais déborder un peu sur du Early Funk. Donc ça va bien s’enchaîner, mais ce sont deux sensibilités vraiment différentes quand même. J’ai déjà une bonne partie de ma sélection qui va être à 100 % en 45 tours.

iHH™ : Quel enfer [rires] ! Des 45 tours avec des petits trous ou des gros trous ?

MAÎTRE MADJ : J’ai les deux, des anglais [avec petit trou comme les 30 cm – NDLR] et des américains ou français. Donc il faudra penser à avoir deux centreurs. Mais bon, ça c’est quand même un détail minime dans l’histoire [rires]. On va se démerder.

iHH™ : Ta passion pour le support vinyle remonte à quand tu étais tout gamin ?

MAÎTRE MADJ : C’était le seul support avec la cassette audio. Il y avait quand même une différence entre les deux. Depuis que je suis môme, j’achète des disques. Je crois que j’ai commencé à en acheter quand j’avais 12 ans. Enfin, on achetait, on volait… C’était plus ça à l’époque. Et je n’ai jamais vraiment arrêté en fait. Même durant les périodes où il était compliqué de trouver du vinyle. Dans la première moitié des années 90, il y a eu un trou à un moment, c’était vraiment très compliqué. Ils avaient comme objectif de tuer le vinyle. Ils n’y sont pas arrivés en fait.

iHH™ : Les multinationales du disque ont eu beaucoup d’objectifs. Le premier étant le profit.

MAÎTRE MADJ : [Rires] Ils ont commencé par nous raconter que le CD c’était plus solide que le vinyle et qu’un CD ça durait toute la vie. Alors qu’en réalité, c’est le vinyle le support increvable. Si tu en prends soin, il ne bouge pas. Le CD, même sans y toucher pendant 10 ans, à la fin tu le passes plus. Et donc finalement, le vinyle c’est revenu à fond dans les années 2000-2010.

iHH™ : Ils ont fait pareil avec les cassettes audio d’ailleurs. Il y avait même une fausse rumeur selon laquelle à cause des comètes qui s’approchaient trop près de la terre, les cassettes se démagnétiseraient. Ça c’était fort quand même [rires].

MAÎTRE MADJ : La cassette c’est quand même un support qui a une durée de vie relativement limitée. La bande peut se détendre, t’as beaucoup de trucs qui font que ça se détériore vite.

iHH™ : Ça dépend vraiment de la qualité des supports et du soin apporté. Tu peux avoir de très bonnes surprises. J’ai des cassettes qui ont 40 ans et qui fonctionnent toujours comme au premier jour. Tu peux en acheter sur des vide-greniers, qui ont survécu au soleil, à la pluie, à des habitacles de voiture bouillants et qui s’écoutent très bien.

MAÎTRE MADJ : Oui, mais je trouve qu’avec la cassette, tu peux avoir une dynamique qui est dingue quand elle est neuve mais parfois un excès de souffle. Tout dépend de la qualité de la bande et du lecteur.

iHH™ : Comme pour les vinyles remarque.

MAÎTRE MADJ : Oui mais globalement, je pense que le support suprême, c’est le vinyle. Et puis j’aime le disque, l’objet. Il y a presque un côté pathologique. J’aime avoir les pochettes dans les mains, j’aime fouiller dans les bacs de disques. C’est un plaisir. Je redécouvre toujours aujourd’hui des disques que je n’ai pas écoutés depuis dix, quinze ans. Et tu les réécoutes avec une autre oreille, avec d’autres goûts. Parce que les goûts, c’est fluctuant, ça évolue. Il peut y avoir des choses à côté desquelles tu es passé à un moment et que tu redécouvres.

iHH™ : Oui, si un album est sorti à un moment où il y avait plein d’autres nouveautés quintessentielles, il a pu passer à la trappe à l’époque.

MAÎTRE MADJ : Voilà, tu l’as écouté une fois vite fait, tu l’as rangé. Moi, j’achète essentiellement de la vieillerie, donc je ne suis pas vraiment tributaire des sorties. Je ne suis pas trop dans l’actualité.

iHH™ : Tu les chopes plutôt chez des disquaires ou en vide-greniers ?

MAÎTRE MADJ : Les deux. J’ai fait beaucoup de vide-greniers. Il y a eu une époque où c’était vraiment intéressant. Mais, je visite surtout beaucoup de petits disquaires. Même la Fnac, ça m’arrive d’aller y acheter un disque de temps en temps. Parce que sur certains trucs, ils sont plus compétitifs que d’autres, vu leur volume et les arrangements qu’ils doivent avoir avec les distributeurs. Quand je vais à l’étranger, je ramène souvent au moins un disque. Je ne cours pas après, mais quand l’occasion se présente. Je crois que j’ai un pressage grec de David Bowie, par exemple. Je dois avoir des pressages espagnols, portugais, et des pressages anglais et américains évidemment.

iHH™ : Quand tu étais jeune, tu allais souvent en Angleterre. Et là-bas, il y a une vraie culture du magasin de disques. Ça te vient peut-être de là ?

MAÎTRE MADJ : Je pense que c’est surtout une question d’époque. Nous, on est la génération de ce support. Donc après, il y a des gens qui s’en sont détachés et d’autres pas. La musique se consommait comme ça. Puis moi, j’aime la musique au-delà du support, donc j’ai toujours besoin d’écouter beaucoup de musique. Je suis un peu un ouf. Je suis un stakhanoviste de la recherche et de la quête. Internet pour ça, c’est magnifique. On a accès à l’information de manière vachement plus rapide. Ce qu’on mettait trois ou six mois à découvrir avant, on le fait aujourd’hui en deux clics. Pour des mecs comme nous, c’est un bonheur. Globalement, pour ça, on est dans une belle période.

Pour le programme WAXOMATiC, suivez ce lien : https://ihh-magazine.com/festival-waxomatic-2025/