Le chanteur JACOB BANKS, le rappeur REJJiE SNOW, les instrumentistes ANNE PACEO et RiTA PAYÉS, les Cubains de CiMAFUNK, les pépites d’UNDER THE RADAR, le menu spécial FOR KiDS… Jazz À La Villette convie à un coruscant kaléidoscope de styles et de tempi.

Fignolée avec passion par Franck Piquard et Anne Sanogo, la programmation du festival de l’Est parisien nous exhorte gaiement à des hors-pistes aventureux, fascinants, tout en prenant soin de proposer par ailleurs des pérégrinations plus familières. Mais, y compris pour ces dernières, qui s’adressent à un large public, la surprise est au rendez-vous, à l’instar de l’exceptionnelle prestation acoustique au cours de laquelle Salif Keita, aussi simple que somptueux, a présenté son album “So Kono”. Je vous reparlerai de ce joyau dû au formidable label indépendant No Format !. Saluons aussi l’audacieux hommage à Ornette Coleman (“The Shape Of Jazz To Come”), qui s’est déroulé le 30 août, sous la direction du batteur Denardo Coleman, fils du légendaire pionnier du free jazz.

On dansera follement

Sur la haute fusion du groupe cubain Cimafunk et du band américain Knower, on dansera follement, le 7 septembre, à la grande Halle de la Villette. On gagnera également à fouler les chemins de traverse du cycle Under The Radar. Par exemple, le 4 septembre, à la Dynamo (Pantin), le batteur et compositeur Benjamin Sanz, à la tête de son combo Directions, revisitera son album au tempo globe-trotteur, “Black Seeds”, dans lequel il a planté de généreuses graines provenant de Cuba, du Mali, des Comores et du terreau étatsunien. A découvrir, vraiment.

Vidéo, Benjamin Sanz “Directions”, “Morning Song”, en live, Sextan Studios

Parmi les grands moments en perspective, la batteuse et compositrice Anne Paceo fêtera la sortie d’”Atlantis”, son 10e album, étonnant, enchanteur (le 4 septembre, à la Cité de la Musique). Elle l’a réalisé et produit en totale indépendance, sur son propre label (Jusqu’à la Nuit). En 2024, j’avais eu la chance de découvrir cette œuvre insolite et solaire, sous le chapiteau de Jazz In Marciac. J’en étais ressortie délicieusement égarée, comme si je revenais d’un voyage hors du temps et de l’espace, avec la sensation d’avoir traversé des mers et des galaxies inouïes. “Etait-ce du jazz ?”, se demandait un chroniqueur, coincé dans une de ces petites cages, vous savez, ces cases étriquées où les musiques, traitées comme des objets de consommation par le bizness, sont méticuleusement catégorisées, étiquetées, rangées.

Vidéo (© Jean-Marc Birraux), Anne Paceo, “The Diver”, 1er août 2024, Marciac

Est-ce du jazz ? On s’en tape. Mais oui, l’esprit du jazz habite bel et bien “Atlantis”, mû par la liberté de l’improvisation, la dimension collective, la soif de l’exploration… Et, palpitant au bout des baguettes de la batteuse, le rythme, souverain, transcendant, qui nous tourneboule. Je me souviens de Herbie Hancock félicitant Anne, qui avait joué en première partie, au festival Marseille Jazz des Cinq Continents, en 2022. Et le démiurge des claviers, de la composition et de l’improvisation d’augurer : “Vous irez loin, vous serez une étoile”. Le maestro, lui, n’asticote pas ses méninges pour diagnostiquer si c’est du jazz ou non. Pour lui, c’est de la musique. Une musique follement inventive.

“Atlantis”, inspiré par la plongée sous-marine

Herbie Hancock ignorait tout de l’hallucinante genèse de l’opus. La chanson “Love Song” est inspirée des premières plongées sous-marines qu’Anne a effectuées. La jeune quadragénaire a franchi un cap : elle, qui se sentait illégitime à chanter, nous révèle, ici, sur son propre texte, un timbre aussi naturel que lumineux. Hancock ne savait pas qu’elle avait appris à surmonter la peur qui l’avait envahie, quand, une fois, ayant perdu son groupe de plongée, elle s’était retrouvée seule, “à 18 mètres de profondeur dans l’eau trouble et froide”. Elle précise ce qu’il en est advenu :“Tout en convoquant l’organique et le vivant, ce qui est le mantra de l’album, j’ai eu envie d’un son électro sur “Love Song” et j’ai pensé à Peaches, dont Gildaa reprend au micro l’énergie féroce”.

Robert Plant (ex-LED ZEPPELiN) félicitant Anne Paceo lors de Jazz In Marciac 2025 /// Photo © Fara C

En juillet 2025, à Jazz In Marciac, ce fut Robert Plant (ex-Led Zeppelin) qui complimenta Anne Paceo, à peine sortie de scène, où elle avait officié au sein du quintet Le Temps Virtuose de la saxophoniste Sophie Alour. “Atlantis” défie les classifications et peut toucher tout.e mélomane qui, sans œillères, s’abandonne à cette épopée sonique, à ses tourbillons, ses flots déchaînés, ses accalmies pacifiées. Dans “Atlantis”, on est tantôt bercé, tantôt bringuebalé aux quatre vents, à travers jazz, pop, folk, électro, ostinatos entêtés, enivrants chorus de trompette ou de saxophone, lancinantes mélopées s’élevant au ciel à la manière de suppliques, bouquets de voix claires comme l’aube d’un nouveau monde, ondes vibratoires surgies de nulle part, pulsations qui s’agrippent à nos pieds et à nos neurones… Les harmonies explosent en poussières d’étoiles. Ou bien s’agglomèrent dans un maelström aux masses sonores denses et redoutables. Que se passe-t-il ?

Anne Paceo nous parle de notre monde dévasté

Au-delà des notes, dans le sac et le ressac qui anime “Atlantis”, c’est d’ici et maintenant, de notre monde dévasté, dont nous parle Anne Paceo. L’état désastreux de la planète, les guerres, la course au profit, la stigmatisation de groupes sociaux et de populations… “Le morceau “Tant qu’il y a de l’Eau” interroge notre relation contemporaine avec la nature et la catastrophe environnementale à laquelle nous sommes en train d’assister sans réagir”, explique Anne Paceo. Mais, à la violence des systèmes dominants, Laura Cahen, invitée sur ce titre, répond par la douceur de son chant et de ses mots, tandis que la houle gonfle lentement, mais inexorablement, jusqu’à une déflagration sonore sidérale, sidérante…

Audio, Anne Paceo, “Tant qu’il y a de l’Eau”, avec Laura Cahen

Il fallait des marins au long cours, des flibustiers de l’impro, pour conduire à bon port, avec la leader, ce vaisseau cosmique. Ont enregistré, sous la houlette d’Anne Paceo, Cynthia Abraham et Gildaa (voix), Zacharie Ksyk (trompette), Christophe Panzani (saxophone), Gauthier Toux (piano et OB6) et Oxy (Moog et Prophet). Plus deux guests de marque : outre Laura Cahen (sur deux plages), le vocaliste Piers Faccini, sur “Restless”, aux délicates exhalaisons folk. Piers et Laura ont signé les paroles de leurs chansons respectives. Anne Paceo a fait appel à une plume d’or, celle de Sandra Nkake, pour les lyrics d’“Inside”. Ce morceau rapporte le deuil d’une forme de la maternité que je ne connaîtrai pas, confie-t-elle. Alors je lui ai donné vie en rendant hommage à ce qui aurait pu être. Ou comment donner vie à la non-existence. Mer, mère, mer, océan : on peut sans aucun doute y voir une dimension psychanalytique !”. Et de conclure : “Qu’on parle de mer, de mère, de fonds marins, du temps qui passe, l’intime et le politique restent intrinsèquement liés”.

Audio, Anne Paceo, “Restless” (OFFICIAL LYRIC VIDEO), avec Piers Faccini

C’est à vous, lectrices et lecteurs de iHH™ Magazine, à vous, féru.e.s d’un hip-hop curieux d’investigations artistiques et soucieux de justice, que je dédie cet article. Pour cet Objet Vibratoire Non Identifié qu’est “Atlantis”, la lauréate de 3 Victoires du Jazz (et ordonnée “Chevalier” des Arts et des Lettres) ne s’est pas assoupie sur ses lauriers. Je suis sûre que vous aimerez le fait qu’elle ait puisé dans des enregistrements de chants de baleines et de codas de cachalots. Elle a traqué “cet instant de bascule”, qui nous charroie vers des rivages insoupçonnés, là où l’apesanteur et le silence nous délivrent des fadaises et des fardeaux. Pour une transe libératrice, un extatique exutoire au courroux des laissé.e.s-pour-compte.

FARA C.

INFORMATIONS PRATIQUES :

Jazz à la Villette, du 28 août au 7 septembre

https://jazzalavillette.com/fr/

Anne Paceo, le 4 septembre à 20 heurs, à la Cité de la Musique, Jazz à la Villette.

https://jazzalavillette.com/fr/evenement/29034/anne-paceo-atlantis-donny-mccaslin-ishkero

Album “Atlantis” (Jusqu’à la Nuit/ L’Autre Distribution / Idole)

https://www.annepaceo.com/

https://www.youtube.com/annepaceoofficial
https://www.instagram.com/annepaceo/
https://www.facebook.com/annepaceo/

Benjamin Sanz Directions, le 4 septembre à 20h30, à la Dynamo (ligne 7, métro Aubervilliers-Pantin-Quatre Chemins), cycle Under The Radar, Jazz à la Villette.

https://jazzalavillette.com/fr/evenement/29085/under-the-radar-benjamin-sanz-darrifourcq-hermia-ceccaldi

Album “Black Seeds” (MiRR / L’Autre Distribution)

https://www.benjaminsanz.com/

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https://www.humanite.fr/auteurs/fara-c