Tout MC digne de ce nom doit passer par différents modes d’adoubement pour certifier l’impact qu’il engendre sur son environnement. Même s’il y en a certains dont on se passerait bien : une procédure judiciaire initiée par un représentant (ou un service) de l’État parce qu’il considère qu’un de vos textes porte atteinte à sa fonction ou à sa réputation s’apparente à une reconnaissance explicite de la toxicité de vos lyrics sur la classe dirigeante.
Cette avanie procédurière, Infinit’ a eu à la subir (l’affaire suit son court) en 2014. Dans le sillage de la sortie de «Christian E.» (avec une pléthore de luxueux guests pour le remix : Nekfeu, Greg Frite, Alpha Wann, Alkapote, Eff Gee, etc.), le maire de Nice, nommément cité dans le morceau, a décidé de le poursuivre pour tenter de le réduire au silence. Il en faudrait bien plus pour faire taire cette figure du rap du Sud-Est qui, 3 ans après le projet «Plusss» intégralement produit par DJ Weedim, vient de sortir «NSMLM», acronyme de «Nique Sa Mère Le Maire», histoire de rester droit dans ses bottes face à la répression fomentée par la bourgeoisie niçoise.
Pour ce solide nouveau projet 8 titres, Infinit’ est épaulé par le label Don Dada, la structure discographique de ses vieux potes Alpha Wann, Hologram Lo’ et Marguerite Du Bled. Nul doute que Christian Estrosi, ancien concessionnaire Kawasaki et dauphin de Jacques Médecin, un des maires fachos les plus condamnés de l’histoire de France, appréciera à sa juste valeur ce beau doigt d’honneur effectué en faisant fumer la roue arrière !
Interview : Théo Gasnier
iHH : Pour introduire l’album, il faut revenir sur son titre et ce à quoi il renvoie. Le projet s’intitule “NSMLM” pour “Nique Sa Mère Le Maire” : la référence au film “La Haine” est évidente, notamment grâce à la pochette, mais renvoie aussi, voire surtout, à ce qui t’a donné de la visibilité, une affaire judiciaire. Tu peux revenir sur ce qu’il s’est passé en 2014 et nous expliquer le choix de ce titre ?
Infinit’ : En 2014, j’ai sorti le morceau “Christian E.” et Christian Estrosi a porté plainte. Depuis, je suis toujours en procès. “Nique Sa Mère Le Maire”, c’est pour ce que tu dis avant.
“La Haine” est sorti il y a plus de 20 ans désormais, il représente quoi pour toi ce film ? Le choix de l’intégrer en fil rouge de ce projet, c’était une volonté d’affirmer que ce qui y est dénoncé est toujours d’actualité ?
I : Pourquoi pas aussi. Mais c’était surtout un clin d’œil au classique, à tous ceux qui ont mon âge, ça a giflé tout le monde. Dans les films français, ça reste aujourd’hui l’un des meilleurs. On connaît tous par cœur le film, les répliques, etc.
Veust, co-créateur D’En Bas Fondation paraît être là depuis le début de ta carrière. Vous avez, sur cet EP, réalisé ensemble le morceau “Secte Abdulaye” en hommage au film “Double Détente” ou encore au Secteur Ä. Tu peux nous raconter son importance et son rôle dans ta construction musicale ? Ne serait-il pas un peu ton Kenzy à toi ?
I : Je ne dirais pas ça, non… Je le connais depuis plus de 10 ans, on fait de la musique ensemble depuis tout ce temps-là. Je l’ai connu parce qu’il faisait des ateliers d’écriture où j’habitais, je me suis inscrit, j’y suis allé et on s’est connectés comme ça. J’écrivais un peu avant, mais ça n’était pas sérieux. Lui, il avait monté D’En Bas Fondation avec Luc-Arthur Vebobe, son associé, un basketteur donc pas trop dans la musique. À ce moment-là, ils avaient réuni une équipe de rappeurs allant de Nice jusqu’à Cannes, les têtes connus de la côte. Il m’a proposé de rejoindre l’équipe, en 2006, et depuis on bosse ensemble.
Tu en es à ton 5ème projet. Le dernier en date, “Plusss” était riche en featurings avec notamment Alkpote, Alpha Wann ou Nekfeu – pour ne citer qu’eux – et intégralement produit par DJ Weedim. Pourquoi ces choix, et quelle place a ce projet dans ton évolution musicale ?
I : Je voyais beaucoup Weedim à l’époque, même si au début on ne parlait pas de faire un projet ensemble. Il me passait des instrus, j’enregistrais les morceaux dessus, on écoutait, on kiffait… À l’époque, j’étais beaucoup sur Paris donc on se voyait souvent. Quand on a eu pas mal de morceaux, on s’est dit qu’il fallait sortir un projet… Et puis voilà !
A contrario, “NSMSLM” ne contient donc qu’un feat, avec Veust, et tu as travaillé avec divers beatmakers. On a l’impression que tu as changé ta manière de travailler, pris plus de risques peut être également. Comment as-tu conçu ce projet novateur, et avec quelle visée ?
I : C’est des trucs que je fais de manière plus « normale », de travailler avec plusieurs producteurs comme sur “NSMLM”. Travailler avec un seul beatmaker, je l’ai fait une fois avec Weedim, et j’ai aussi fait “En Attendant Plus” avec des producteurs de chez moi, The Product of Cocain. Mais en général, quand je fais un projet, je le fais avec plusieurs producteurs, je prends à droite, à gauche des sons qui me plaisent. Après, pourquoi sur ce projet là il n’y a qu’un featuring ? Déjà, ça faisait deux ans que je n’avais rien fait, et moi, quand je me lance dans un projet, je pense d’abord aux solos, pour avoir déjà mes morceaux avant de penser aux feats. Après, pour Veust, je n’y ai même pas pensé au feat, il était là quand j’ai fait le morceau, quand j’ai écouté l’instru. Donc ça s’est fait naturellement.
Tant qu’on a les pieds dans le plat, c’est quoi la recette de ta salade de rap français à la niçoise ?
I : J’ai pas de recette à moi, c’est la recette en général : l’écriture, le flow, l’interprétation.
Qu’est-ce que ça a changé concrètement pour toi d’intégrer le label Don Dada Record ?
I : Ça a apporté un truc plus pro, on va dire, le projet a été plus encadré et on a poussé le truc au max. Quand les morceaux ont été enregistrés, on ne les a pas laissés comme ça, on est revenus plusieurs fois dessus pour faire des arrangements, tout ça… On a taffé le truc de manière plus professionnelle, je n’allais pas revenir deux ans après le précédent pour faire un truc moins bien.
Tu dis, dans “Cru” : “Mélange de tous les films que j’ai vu, des livres que j’ai lu, des litres que j’ai bu, des kilos que j’ai fumé, cru”. Si tu ne devais ne citer qu’un film, qu’un livre, qu’un alcool, qu’une herbe ?
I : Un film, “Pulp Fiction”. Un livre, “Bel Ami” de Maupassant : j’ai bien aimé l’histoire, le personnage. Le mec, il vient de rien et juste il a capté que les meufs le kiffaient, qu’il avait un truc, il a su en jouer et rider ça. Il était un peu rappeur dans le délire. Un alcool, moi c’est le rhum : le Diplomatico, j’aime bien. Après, pour le rhum vieux, du Clément ça me va très bien aussi. Bon, une herbe, c’est dur… Tous les jours, il y a de nouveaux produits. On va dire tout ce qui est bon, tout ce qui est fort.
Le Morceau “Sud-Est” sonne très old school, notamment grâce aux scratchs de DJ Pone qui font office de refrain. Comment vous avez réalisé ce morceau qui tend à mettre en lumière ta provenance géographique, comme pour écrire le classique du 06 ?
I : Ça n’était pas voulu, de faire un truc “à l’ancienne”. Ça fait partie des morceaux qu’on a fait quand Hologram Lo’ et VM The Don sont descendus chez moi dans le Sud. On avait pris quelques jours de studio et la fin du projet, les derniers morceaux, on les a faits ensemble. Ils avaient fait la prod° au studio et tout est parti de là-bas. Ensuite j’ai fait les couplets, mais pour le refrain je ne savais pas trop quoi faire. J’ai finalement pensé à Pone, que je connaissais déjà, que j’avais déjà croisé. Je savais qu’on kiffait bien ce qu’on faisait l’un l’autre, et du coup je me suis dit que c’était l’occasion. En plus, ça fait 10 ans que je fais du rap et je n’avais jamais fait de morceau avec du scratch.
C’est quoi la suite pour toi maintenant, un album pour concrétiser le niquage de maire ?
I : C’est beaucoup de travail, du taf… Les projets, ça viendra quand ça viendra, je ne vais pas m’arrêter de taffer.