Les albums respectifs du MC ROCÉ, de la poétesse NAWEL BEN KRAÏEM et du pianiste FARAJ SULEiMAN, ainsi que le beau livre de la cheffe RiTA-MARiA KORDAHi, voilà des étrennes qui conjuguent plaisir et sens. En attendant l’acte 2, cette première sélection, résolument diversifiée, propose rap, chanson, jazz et gastronomie.

Photo © Victor Delfim

NAWEL BEN KRAIEM. France-Tunisie. Musique & poésie.

Passeuse de rives et de rêves

Essentielle plume contemporaine, Nawel Ben Kraïem est chanteuse, slameuse, diseuse, écrivaine, comédienne, guitariste, compositrice. Elle édifie un pont de splendeur entre les rives de la Méditerranée, entre les deux pays où elle a grandi alternativement, la France et la Tunisie. Sa grandeur, c’est de transfigurer ses fêlures en une poésie qui entre en résonance avec nos propres souffrances et, avant tout, avec les souffrances qu’endurent les invisibles de cette sous-France échafaudée, depuis des décennies, par les cliques au pouvoir.

Offrons son recueil de poésie et son disque (offrons les deux, si nous le pouvons) : ils sont complémentaires, même s’ils ont en commun plusieurs textes. Certains poèmes du recueil trouvent un prolongement textuel et musical dans l’album. En ce dernier, la voix de Nawel, qui chante en français et en dialecte tunisien, possède quelque chose de la rugosité des cheikhates maghrébines. Elle évolue avec prestance en tout contexte musical – folk électro, rock oriental, chevauchée de derboukas, synthés à l’ancienne évoquant le raï du 20e siècle… Dans les interstices de ces strophes contestataires, luisent des éclairs d’utopie. C’est Nawel, “passeuse de rives, passeuse de rêves”.

Album “Je Chante Un Secret” (Nownaw/MAD/[PiAS]), environ 14 € ;

Livre de poésie “J’abrite Un Secret” (éd. Bruno Doucey), 99 pages, 14 €.

Offrir une place de concert, un joli cadeau ! Dates de Nawel : 20 janvier, en solo poétique, librairie Les Deux Rives, Toulouse /// 2 février, concert avec “Les Héritières”, Bourges /// à partir du 2 mars, concerts en Algérie : le 2, Constantine /// le 3, Annaba : le 5 mars, Tlemcen /// le 7, Alger ; https://www.nawelbenkraiem.com/

Clip NAWEL BEN KRAÏEM “Ma Région”

ROCÉ. Rap conscient

La résistance et l’espoir debout

“Bitume”, le récent album de Rocé, vitupère, mais aussi espère. Car “L’espoir est politique“, comme l’émérite activiste du rap conscient le vocifère dans “Nos victoires”. Et le poète d’ajouter : “Ils veulent tuer l’espoir, force à nos victoires !”. Signée de Rocé, l’introduction de ce titre, pertinente, percutante, est dite par le comédien Slimane Dazi avec son indéfectible charisme. Tout l’album exprime l’esprit debout, entièrement mobilisé, de Rocé : lucidité fructueuse, dénonciation des maux engendrés par le système dominant et sa cohorte de délits et crimes (colonisation, guerres, racisme, violences policières, sexisme, etc.) et, surtout, refus du découragement. Il importe à Rocé de “raviver l’espoir et la fraternité qu’ils ont enterrés”.

Particulièrement congruentes avec les textes, les prods ont été élaborées par Rocé, hormis la compo de Kofi pour “Don’t Believe The Hype” et celle de Bakesmith pour “Pic À Glace”. Des beats implacables pour un rap incorruptible, qui frappe à la fois aux entrailles et dans les neurones. Avec des échappées belles, à l’instar de cette séquence ingénieuse de violon oriental (dans “Je Sais Je Sais”), ou de ce ragga grimé de grime music dans “Pic À Glace”, en lequel est convié Daddy Mory. Dans le son comme dans le verbe, un disque authentiquement hip-hop. Chapeau bas.

 Album “Bitume” (Hors Cadres)

https://www.facebook.com/rocemusic

Places de concerts à offrir :

19 janvier 2024, 20 heures, au Grand Mix, Tourcoing (59), double plateau Rocé + La Rumeur, de 10 € à 18 € https://legrandmix.com/fr/la-rumeur-roce

16 février, 19 heures 30, à la Maroquinerie, Paris, 22 € https://maroquinerie.fnacspectacles.com/place-spectacle/ticket-evenement/rap-hip-hop-slam-roce-man58469-lt.htm

Clip ROCÉ feat. SLiMANE DAZi + NORA CORNOLLE + TARKO “Je Sais Je Sais”

FARAJ SULEIMAN. Palestine. Jazz

Le piano polyglotte de la paix

Tandis que la terrifiante hécatombe en Palestine hante nos cauchemars, l’album du pianiste et compositeur natif d’Al-Ramah dépose comme un onguent apaisant sur la douleur. Alors qu’il résidait à Haïfa, Faraj Suleiman a été coincé à Paris durant la crise sanitaire liée au Covid-19. Ce disque, dont la sortie couronne la pugnacité de l’artiste, a été mené à bien “quoi qu’il en coûte”, comme l’exprime son titre (“As Much As It Takes”). Entouré de Jules Martinet (contrebasse), Alberto Malo (batterie), Louis Matute (guitare) et, selon les pistes, des oudistes Darwish Darwish et Habib Shehadeh, Faraj invente une musique en laquelle s’entrelacent modes orientaux, exploration jazz, musique contemporaine, dialogues fertiles entre son piano polyglotte et une guitare aventureuse ou un oud aux fragrances de fleurs d’amandier… Sur deux titres, Erik Truffaz joint sa trompette féconde, fraternelle – un souffle de féérie. La révolte gronde, à travers des riffs de guitare, des accords de piano… Mais l’amour – pour la musique, pour les humbles, pour la paix – retrouve toujours le chemin de la sérénité.

  • Album “As Much As It Takes” (Two Gentlemen/Kuroneko) • format : vinyle, CD, digital.
Clip FARAJ SULEiMAN “Oriental Melody”

RITA-MARIA KORDAHI. Beyrouth-Paris. Livre de recettes

Symphonie de saveurs

Passionné traiteur (à Paris), le père de la cheffe franco-libanaise Rita-Maria Kordahi lui a tôt enseigné que la cuisine, c’ est notamment une culture, une mémoire. Surtout quand on a dû quitter son cher pays déchiré par la guerre. Ce beau livre a de la valeur non seulement de par les succulentes recettes libanaises qu’il nous transmet, mais aussi de par le désir de partage qu’il concrétise. Il partage avec nous un riche leg familial, une convivialité et une symphonie de délices, que chaque recette nous met à portée de main, à portée de bouche.

La jeune cheffe ancre dans la tradition sa cuisine en mouvement. Les recettes, d’une grande diversité, sont clairement expliquées et, chaque fois, illustrées d’une photo. L’ouvrage se divise en plusieurs sections (chacune étant introduite par un texte explicatif) : “Recettes de base”, “Pains et mezzés”, “Plats froids à partager”, “Plats chauds à partager”, “Desserts et boissons”… En début d’ouvrage, la présentation d’une bonne trentaine d’ingrédients majeurs dans l’épicerie libanaise nous font déjà saliver, par la saveur qu’ils annoncent. Autre qualité du livre, il est édité chez La plage, maison d’édition écologiste et militante, dont les livres sont fabriqués avec du papier recyclé ou issu de forêts gérées durablement.

Beau livre de Rita-Maria Kordahi, “Beirut Bakery, Recettes Libanaises Familiales A Partager(Ed. La Plage), 250 pages, 35 € https://www.laplage.fr/produit/23444/9782383383277/beirut-bakery