Il fait partie de ces rares personnes dont on peut dire qu’il a changé notre vie sans le connaître. Il n’est ni flic, ni juge, ni chef d’État. Il est “simplement” Dee Nasty, artisan de la première heure de la Nation hip hop. Au moment où il sort son huitième album solo, le bien nommé “Classique”, nous avons rencontré longuement Daniel, Zulu King, pour parler de sa longue histoire et de son actualité toute fraîche. Humilité, sincérité, talent, celui qui refuse de prendre une retraite anticipé continue d’œuvrer pour défendre des valeurs qui, si elles ne sont plus à la mode, gardent toute leur force révolutionnaire.
Ton dernier album s’appelle “Classique”. Tagué sous ton portrait en couverture, c’est comme si ce qualificatif s’appliquait autant à toi qu’au disque. C’est une manière de revendiquer le poids que tu as dans la culture hip-hop en France ?
Dee Nasty : C’est plutôt apparu comme une évidence. C’est venu d’un pote qui a été parmi les premiers à écouter l’album complet, et qui m’a dit : “putain, cet album ça va être un classique !”. C’est Rida Abdallah qui a réalisé la pochette. Je n’ai pas un rythme très soutenu, je sors un album tous les 5-7 ans, et je suis un peu seul dans ma démarche… Là, il y a le label Celluloid qui a bien voulu croire en ce projet, mais limite c’était bien les seuls, parce que les autres labels, sans même parler des majors, se disaient : “de toute façon on va en vendre 2000, donc on ne va pas mettre la machine en route juste pour ça”. Alors ça a mis du temps, ça fait un an et demi qu’il est dans l’état où il est, pochette, morceaux, et enfin ça sort !
L’esthétique du disque, le tag, le titre, et même le son, renvoient aussi à un certain âge classique du hip-hop, que tu as beaucoup contribué à faire naître en France.
D.N. : Oui. Déjà, je me suis interdit d’écouter quoi que ce soit de récent, à part quelques trucs de proches, pour ne pas me laisser influencer, sinon je n’aurais jamais réussi à finir ! Les styles évoluent très vite – enfin, moins en ce moment, je trouve, ça stagne un peu sur le dirty, trap, drill, et tout ce bordel – je ne voulais pas être influencé par ça du tout, et je me suis dit que, vu que je m’occupe tout seul de moi-même, autant que je me donne les moyens artistiques et financiers pour pouvoir faire ce projet et inviter tous les gens que j’avais toujours rêvé d’inviter : Rachid Taha, Manu Dibango, Real Fake MC, etc. Ce sont vraiment des collaborations de coeur, il n’y a absolument aucune tactique mercantile derrière, tous ont accepté justement parce que le concept était comme ça. Musicalement, j’ai vidé mes tripes et voulu prouver que j’étais certes un bon DJ, un beatmaker – j’ai fait sept albums – mais aussi un musicien : guitare, basse, claviers, percus… j’ai voulu montrer que j’étais capable de faire tout ça, et le faire le mieux possible.
D’ailleurs comment l’as-tu composé ce disque ? Tu travailles sur quelles machines ?
D.N. : J’ai un Mac, avec Digital Performer. J’avais une très vieille version, qui datait de 1999, du coup j’ai eu beaucoup de galères, ça n’a pas arrêté de bugger… J’ai bataillé. Je suis allé en studio, mais ça ne s’est pas bien passé. Beaucoup d’investissement, de nuits blanches, de semaines sans dormir ou quasiment pas, avec des deadlines de labels qui finalement se désintéressent. Je n’ai jamais été vraiment tranquille… Maintenant je le suis, grâce à tous ceux qui me disent que l’album est bien, qu’il représente quelque chose, mais ça a été un parcours laborieux. Pour les rythmiques, comme j’ai beaucoup de disques, je sample une grosse caisse sur un disque, la caisse claire sur un autre, je sais exactement quelle texture je veux. Soit je commence par une ligne de basse, et le clavier et la guitare viennent derrière, soit c’est la guitare qui va commander la ligne de basse… il n’y a pas vraiment de recette particulière. En général, j’ai une idée précise de l’ensemble avant de me mettre au travail sur l’ordinateur. Je commence par la texture rythmique basique. Je ne me sers pas du quantize : je fais comme du montage de bandes, des boucles de deux mesures que je copie-colle. Ce n’est jamais parfaitement calé, ça donne un côté plus organique. Ensuite je pose mes basses, guitares. Puis je laisse le temps de digérer tout ça, voir comment ça évolue, attendre que quelqu’un pose dessus, pour voir ce qu’il faut rajouter ou enlever. Pour Rachid Taha, j’avais composé deux morceaux, en pensant vraiment à lui. Il les a aimés, je ne les ai quasiment pas retravaillés derrière, ça s’est fait superbement. C’est le premier à avoir posé. Triptik, ils ont eu plus de mal, le morceau était très funk et un peu chargé, du coup ils ne savaient pas trop comment se placer. Je leur ai dit : “Mais faites comme vous le sentez, comme pour “Bouge Tes Cheveux”, ne vous occupez pas de ce qu’il y a derrière, moi je vais faire ma sauce après”. Rocé, lui, m’avait demandé de faire un morceau très minimal. Il m’avait dit qu’il n’y aurait pas de refrain, et qu’il préférerait qu’il n’y ait pas de scratches à la place, pour ne pas être dans le systématisme hip-hop à la DJ Premier, et je crois qu’il est content de ce qu’on a fait. Moi, en tout cas, je le suis !