Interview par: Océane Arasse
Attention nouveau concept à La Place imaginé par Julien Cholewa, co-directeur et programmateur du lieu. Son nom ? Live Arrangé. Ce contenu vidéo propose aux artistes rap d’interpréter une version réarrangée de leurs chansons. Le tout doublé d‘un accès inédit aux coulisses de ce live. Derrière ce projet, une collaboration entre de nombreux acteurs artistiques ou techniques. Une façon innovante donc pour La Place de s’adapter aux restrictions imposées par la pandémie.
-Quel est le concept du Live Arrangé ?
Julien Cholewa : Live Arrangé c’est un concept vidéo de 12 minutes qui consiste à revisiter et réarranger deux morceaux d’un artiste rap plutôt actuel en acoustique avec un band de musiciens. Les deux morceaux sont captés en live et une partie documentaire nous fait plonger dans le processus de création et d’arrangement.
-Comment l’idée est née ?
Julien Cholewa: Depuis que je suis arrivé à La Place en mars 2020, j’ai cherché à porter un nouveau projet artistique de manière générale, pour redynamiser l’image du lieu et ses réseaux sociaux. Partant de ça, je me suis dit qu’il fallait trouver la bonne idée, quelque chose qui n’avait pas été fait et qui soit original, inédit. Et je voulais rendre aussi compte de notre action à La Place, en matière de création musicale et de coaching scénique, d’accompagnement des artistes. L’idée de Live Arrangé est née de cette réflexion : on voulait trouver le bon format pour des sessions lives rap acoustiques. Bien sûr il y a aussi le contexte Covid qui intervient.
Et c’est parti de ça en fait, créer un format vidéo attractif avec des bons artistes assez actuels et montrer le processus d’arrangement, de création, pour arriver à une session live de qualité. Sur cette idée et cette base j’ai appelé Vicelow avec qui on travaille sur la partie coaching scénique de notre nouveau projet pour La Place. Et lui a ramené Gwen Ladeux bassiste et arrangeur, qui a ramené tous les autres musiciens.
-L’objectif au-delà de la session live c’est vraiment de montrer les coulisses, l’envers du décor et voir cette préparation qui est nécessaire.
Julien Cholewa: Exactement. Montrer que c’est vraiment un travail de création et voir en direct la réaction des artistes. Ce qui était important pour nous, c’était vraiment de réussir à faire ressortir des petits moments, des anecdotes qui montrent des détails, des choix artistiques. Par exemple, dans un épisode, Gwen explique comment ils ont eu l’idée d’introduire de la talk box ce qui rappelle un peu le rap de la côte ouest des Etats-Unis.
-Comment tu choisis les artistes, plutôt du moment comme tu l’as dit, dont les morceaux vont être réarrangés ?
Julien Cholewa: Ce n’est pas une règle mais il y a cette volonté d’essayer d’être sur des artistes plutôt de la nouvelle génération. Ca me semble intéressant justement de prendre des artiste avec des morceaux aux sonorités assez modernes et de les ramener dans autre chose, ce qui ne veut pas dire qu’à un certain moment on ne pourra pas faire des artistes d’autres générations. Mais il y a quand même cette idée. Et après, c’est assez varié. C’est en fonction de l’actualité du moment des artistes et de la direction artistique que l’on veut donner au live. On fait attention bien sûr à ce qu’il y ait un équilibre entre rappeurs et rappeuses, c’est un sujet important pour nous à La Place.
-Les deux morceaux qui sont arrangés, c’est l’artiste qui les choisit, l’équipe du Live Arrangé ou c’est une collaboration ?
Julien Cholewa: Pour vraiment rentrer dans le process de création, l’artiste nous propose une sélection de morceaux. Et là c’est vraiment la partie plus création musicale avec Vicelow et les musiciens. Parmi ces quelques morceaux, ils choisissent ceux qu’ils préfèrent pour différentes raisons, parce qu’ils pensent qu’il y a un intérêt plus qu’un autre dans l’arrangement qu’ils pourraient en faire etc.
-C’est donc Vicelow et Gwen avec les musiciens qui font le processus créatif et après l’artiste intervient au moment des répétitions pour valider les titres ?
Julien Cholewa: Oui c’est ça. En fait l’artiste arrive après qu’il y ait eu la session de création, de répétition, avec les musiciens et Vicelow. C’est là qu’il découvre la proposition et propose des petits ajustements, des arrangements. C’est aussi important que l’artiste puisse exprimer ses envies, ses remarques. C’est là que le dernier virage d’adaptation, de création, se fait entre l’artiste et l’équipe musicale.
-Justement le processus de création c’est vraiment une collaboration entre les musiciens, Vicelow et Gwen ? C’est un partage d’idées ?
Julien Cholewa: Oui il y a vraiment ce côté collectif où chacun ramène son idée. Après il y a quand même des orientations et la validation finale qui est faite par Vicelow et Gwen.
-Vicelow c’est lui qui présente l’émission. Il a un côté décalé, chill, original par rapport à d’autres présentateurs d’émissions. C’était une volonté de se démarquer à ce niveau-là ?
Julien Cholewa: Ca s’est fait naturellement parce qu’avec Vicelow, on collabore depuis pas mal d’années sur différents projets. Je connais sa personnalité, sa façon d’animer un show et donc, automatiquement, on savait ce que ça allait donner. D’autre part, Vicelow, c’est vraiment cette année la personne avec qui on travaille le coaching scénique musical. C’est une collaboration au sens large. Lui je sais que, dans sa manière d’animer, d’amener les choses et le contact qu’il a avec les artistes à l’écran et sur scène, ça marche hyper bien. Et je le sais parce qu’on a déjà fait des battles ensemble, différents événements. Il a ce savoir-faire qui passe par le contact qu’il a avec les artistes pour les faire se développer et se déployer sur scène. C’est toute cette logique qui fait qu’avec Vicelow c’était évident quoi.
Tout ce programme-là colle aussi à la réalité de notre action de fond à La Place. On accueille aussi les résidences, on accompagne les artistes avec du coaching scénique notamment pour Buzz Booster. En parallèle, nous sommes en train de créer un nouveau dispositif rap qui se déploiera sur l’automne.
-Ce qui fait la force du show c’est cette relation aussi entre Vicelow et les artistes. Il y a vraiment un partage d’idées.
Julien Cholewa: Oui c’est sûr. C’est une des forces de Vicelow (rires), c’est le contact et c’est une manière de coacher, d’emmener les artistes et de pouvoir travailler avec eux la scène. On n’est pas sur une scène classique, c’est face à une caméra donc il est quand même là à toutes les étapes pour la partie coaching scénique. Selon les besoins et les personnalités des uns et des autres, il peut aussi intervenir sur le rapport à la caméra, la façon de se comporter sur scène. Après, on a des artistes aussi qui sont hyper à l’aise donc il y a moins besoin, et d’autres où il intervient plus. C’est justement le savoir-faire de Vicelow, c’est pour ça qu’on est super contents de l’avoir avec nous, même au-delà de Live Arrangé, pour tout ce qu’il peut apporter sur l’accompagnement des artistes.
-La mise en scène est différente pour chaque épisode que ce soit les jeux de lumière, le positionnement des artistes etc. C’est aussi défini par Vicelow ?
Julien Cholewa: Alors ça, c’est grâce à Ismaël Mereghetti, à qui j’ai fait appel pour réaliser l’émission. C’est lui qui écrit le script, l’orientation de certains dialogues. Il donne les intentions de lumière, les positionnements, l’enchaînement des différentes scènes… C’est un gros gros travail d’écriture et de réal. On a même fait une réécriture entre la première session de tournage et la deuxième : entre les deux sessions, on a réussi à trouver notre format après pas mal de discussions. C’est un vrai travail collaboratif : Vicelow, Ismaël, moi et toute l’équipe de La Place comme Charles qui est à la création des contenus. On a réussi collectivement à arriver à ça et Ismaël a réussi à le transcrire, à l’écrire.
Pour revenir à ta question sur les lumières, on a aussi notre équipe d’ingés lumière qui fait des propositions. Enfin Milkshoot, l’équipe de production exécutive vidéo, est aussi essentielle pour le show. En termes de cadrage, de montage et d’intention sur les lumières, c’est vraiment Milkshoot, et notamment l’équipe de Vikram qui est à la manœuvre.
-On ressent vraiment cette collaboration sur Live Arrangé où les différents points forts de chacun sont mis au service du show. C’est ce qui fait la force du programme.
Julien Cholewa: Exactement. Tout seul on n’est pas grand-chose. Même si j’ai pu avoir l’idée, la volonté à l’origine, c’est en réunissant ces différentes personnes qu’on arrive à ça. C’est ce que je disais, chacun est fort et pertinent dans son domaine et après il y a un échange, beaucoup de discussions. Tout le monde était super satisfait et les retours sont positifs. On espère avoir une prochaine saison dans les mois qui arrivent.
-Les saisons c’est en sept épisodes donc ?
Julien Cholewa: Pour l’instant c’est ça, mais il n’y a pas de règles. On n’a pas défini qu’une saison ce sera sept ou dix épisodes. En décembre, on a shooté quatre artistes. On s’est rendu compte que quatre artistes dans le temps imparti, en une semaine, c’était quand même sportif pour tout le monde. Donc on a réduit à trois artistes qu’on a tourné au mois de janvier. On est arrivé à sept donc. C‘est comme ça que s’est faite la première saison. Après on va voir par la suite, on en fera peut-être sept, peut-être dix, peut-être six.
-C’est toi qui a eu l’idée du projet. Tu es producteur et directeur artistique, quelles sont tes missions ?
Julien Cholewa: Pour Live Arrangé j’ai eu l’idée originale et la base de l’écriture du concept. Et après c’est le boulot de producteur classique qui est de m’assurer que l’ensemble fonctionne bien, de coordonner les équipes de La Place avec Charles Delestre chez nous qui est responsable de la création des contenus à La Place. Maintenant que l’on a trouvé le format et qu’on en est satisfait, j’ai pris un peu plus de distance. J’interviens plus quand je reçois l’épisode et qu’on fait les ajustements, les retours.
-Vous avez reçu Alicia qui n’est pas vraiment une rappeuse mais plutôt une chanteuse R’n’B. C’est un changement. C’était une volonté d’apporter cette nouveauté ?
Julien Cholewa: Ouais c’est clair qu’aujourd’hui le hip-hop, le rap, les musiques hip-hop au sens large, c’est vraiment très divers. Il y a beaucoup de tendances, beaucoup de choses dans la nouvelle scène. Et en effet, c’était important pour nous de montrer que justement, on avait cette ouverture-là vers la soul, le R’n’B aussi. Par la suite, il y aura d’autres tendances. Quand on sera sortis de cette crise, j’aimerais avoir des artistes internationaux, avoir cette ouverture au niveau des musiques hip-hop au sens large.
-Pour cet épisode on a vu que Vicelow et l’équipe ont vraiment axé sur les influences des années 2000, le but de l’arrangement c’est de pousser l’univers de l’artiste au maximum ?
Julien Cholewa: J’ai l’impression que ça dépend des cas. Je ne veux pas parler non plus pour eux parce qu’ils ont leur liberté de création, je les laisse faire. Mais c’est parfois pousser l’univers de l’artiste et parfois l’emmener un tout petit peu ailleurs. Par exemple Landy, ils ont été vers des sonorités Afrobeat qui peut-être existaient de manière assez embryonnaire dans le morceau. Parfois, ils essaient d’emmener l’artiste vers d’autres influences tout en gardant une cohérence par rapport à la proposition initiale. Gwen le dit dans un des épisodes, il faut être attentif à ce que l’artiste et le producteur du morceau d’origine ne soient pas désorientés et qu’ils valident la proposition. C’est tout le savoir faire de Gwen, Vicelow et l’équipe musicale, de savoir proposer des choses, ouvrir et emmener sur autre chose tout en restant cohérent avec l’univers de l’artiste. Parce qu’à la fin, c’est son morceau et il faut qu’il se sente à l’aise.
-Pour le Live Arrangé si les restrictions sanitaires venaient à s’adoucir, des évolutions sont prévues comme un public par exemple ?
Julien Cholewa: Il y a des idées en projet. Là c’est un peu prématuré pour vraiment développer les choses mais c’est clair qu’il y a des envies. Voilà je n’en dis pas plus (rires). Il y a aussi l’envie de pouvoir retrouver les arrangements sur les plateformes de streaming. On réfléchira aux évolutions pour la deuxième saison. C’est à réfléchir avec tout le collectif.
-Si on dézoome et qu’on passe du Live Arrangé à La Place, tu en es le co-directeur. Comment vous avez essayé de vous adapter à cette pandémie.
Julien Cholewa: On est arrivé dans un contexte où il fallait installer un nouveau projet, une nouvelle manière de faire, en partie des nouvelles équipes. Prendre la suite de ce qui avait été posé et déployer la nouvelle page de La Place. En effet, on avait déjà dans le projet de redynamiser et de développer la partie création de contenus vidéos et audios via un nouveau site internet avec La Place TV, notre plateforme média, vidéo, audio, qui était aussi très importante par rapport à un autre projet qu’on a mené et qui était la L2P Convention. La formule plus aboutie de notre site internet va voir le jour dans les semaines qui arrivent. Il y avait toute cette transition digitale qui était dans le projet. C’est sûr qu’avec la pandémie et tout le contexte, on a dû carrément accélérer et se focaliser encore davantage sur cette partie-là qui existait dans le projet. Et en même temps, La Place, c’est tout un bâtiment, c’est des équipes, c’est un projet qui demande du temps à réinstaller. Donc on en a aussi profité pour permettre aux artistes de répéter et créer de nouveaux spectacles, d’enregistrer. C’était les gros volets, le développement digital, accueillir des tournages même de partenaires, de prestataires. Que La Place, pendant cette période-là, soit vraiment un lieu d’accueil pour les artistes, pour leur besoin de création, de répétition etc.
-Toi en tant que co-directeur, j’imagine aussi que ta manière de travailler a dû également évoluer.
Julien Cholewa: Avant, je me suis occupé une quinzaine d’années du festival Paris Hip-Hop, que j’ai co-créé. C’est clair que c’est un projet complètement différent. Donc, pour moi, ça a été un changement déjà de s’occuper d’un lieu, d’un bâtiment, de salles, de studios. Et après, c’est sûr qu’il y a une continuité de programmation, de booking, mais globalement les artistes sont sur place et travaillent avec nous, donc on est encore plus au contact des équipes artistiques. On est plus dans l’échange direct alors que, quand on est sur un festival, même si on se côtoie etc, ils ne sont pas chez nous toute la journée, c’est différent et c’est super.
-Tu as parlé de nouveaux projets au début de l’interview pour la Place, tu peux nous en dire plus ?
Julien Cholewa: Petit à petit, on déploie les nouveaux projets, les nouveaux dispositifs d’accompagnement en musique, en danse. Mais c’est un peu tôt pour en dire plus. Il y a encore plein de choses qu’on n’a pas pu faire puisqu’on n’a pas pu faire beaucoup d’événements. On veut continuer à utiliser la partie bar avec des DJ sets… Il y a aussi un projet sur les spectacles de danse chorégraphique, on accompagne des gens en résidences et on coproduit des créations avec six à sept compagnies actuellement. On a également annoncé des concerts de rentrée : Benjampin Epps, Jäde, Mike (un artiste US), Smif-n-Wessun… Nous avons également une belle programmation autours du graffiti sur Paris Plages tout l’été sur les quais de l’Hôtel de Ville. J’ai bon espoir par rapport au contexte, et de toute façon, on saura être réactifs. Il y a aussi des choses qui sont en train d’être réfléchies pour pouvoir avoir en permanence une manière de faire vivre le graffiti à La Place directement.
On va voir la suite et c’est vrai qu’on a hyper hâte. Là on parle de vidéos et de création de contenus, mais notre premier métier et notre premier objectif, c’est vraiment d’accueillir du public et de faire en sorte que le public hip-hop, et même plus large, vienne directement sur place dans les événements. Qu’on puisse accueillir du public parce que c’est la base. Et c’est ça le plus important en réalité. La création de contenus, les articles, les vidéos, ça aide à aller dans le fond de tel ou tel sujet et de déployer une ligne éditoriale et d’expliquer les choses. C’est important parce que ça nous a permis d’être présents et de marquer notre empreinte depuis notre arrivée aux commandes de La Place. Du coup, on espère que ça a mis les bonnes bases pour que les gens aient envie de venir sur les événements cet été et l’automne prochain.
-C’était comme un gros lancement en vue de cet été et la saison à venir.
Julien Cholewa: Il y a des belles choses qui se préparent. Il faut être réactif mais l’un des points forts des acteurs, des pros de notre culture, de notre mouvement, c’est de pouvoir s’adapter. Donc c’est ce qu’on va faire.
Le dernier épisode de la saison 1 de Live Arrangé avec Kalash Criminel vient de sortir et est à retrouver juste ici !