Malone, rappeur du 91 et exemple d’endurance!
Malone est un porte drapeau du 91 souvent associé à la scène rap conscient et poétique. Il se fait connaître pour ses textes réfléchis, imprégnés de valeurs positives, de spiritualité et de références littéraires, ce qui le distingue de ses confrères. Après « Une touche de rêve » et d’autres EP comme « Souffle » et « Second souffle »…il remet ça avec « Retour aux Sources »!
Sa musique reflète son évolution personnelle et une volonté de transmettre des messages profonds au-delà du simple rap, que ce soit sur disque ou sur scène. Retour, avec lui, sur son parcours.
Interview : La Rédaction
Photos : dr
iHH™: Peux-tu nous revenir sur tes débuts dans le rap et ce qui t’a poussé à te lancer dans la musique ?
Malone : J’ai commencé le rap vers 96 au sein d’un quartier nommé les Épinettes, à Évry dans l’Essonne (91) ; quartier d’où sont issues des artistes comme Disiz ou Éloquence. Il y avait effervescence autour du hip-hop au point que plusieurs de mes amis et connaissances étaient dans le mouvement. C’est ce qui m’a d’abord attiré vers cette culture mais c’est la découverte d’un texte de NTM (« Qu’est-ce qu’on attend ») qui était l’élément déclencheur de mon premier texte. J’ai donc très tôt été attiré par la dimension consciente et revendicatrice du hip-hop ainsi que la pratique en collectif, car c’est ainsi que je la vivais avec mes amis. J’ai ensuite participé à plusieurs scènes, mixtapes et compilation dans ma ville, mon département puis plus largement dans la région parisienne.
iHH™ : Comment ton environnement, le 91, a-t-il influencé ton style musical, ton écriture ?
M : Mon quartier et l’environnement dans lequel je me suis construit avec comme grande source d’inspiration le rap de la côte est des États-Unis de l’année 95. Nous étions donc très tournés autour du flow et dans le fait de trouver chacun sa singularité. C’est d’ailleurs ainsi que je pouvais caractériser avec du recul le rap américain que nous étions à cette époque : Il y a une variété, une très grande variété de style et des caractéristiques très distinctives quand on regardait les différents artistes et groupes qui étaient mis en lumière. Chacun avait sa signature et c’est ce qu’on recherchait. Nous étions dans l’école du style et avions aussi un grand attrait sur la qualité de la rime et du texte. Et ce sont tous les éléments que j’ai gardé avec le temps : chercher à être singulier et mettre un fort accent sur le fond sans négliger pour autant la forme.
iHH™ :Tes textes sont très littéraires et souvent spirituels — quels sont les artistes ou auteurs qui t’ont le plus inspiré ? Si c’est le cas…
M : C‘est vrai que mes textes ont une dimension littéraire et spirituelle assez forte et ce sont des artistes comme Talib Kweli, Mos Def et Common qui m’ont beaucoup inspiré en ce sens. J’ai toujours apprécié l’aspect conscient de leur musique, le côté spiritualité/foi et le mélange avec leurs racines africaines, leur culture jazz/soul et leur passion pour le hip-hop. Je l’ai toujours lu comme « musique pour éveiller les consciences des peuples » à l’image du morceau « The 6th Sens » de Common produit par DJ Premier. Il y avait un attrait très fort au sein de mon entourage pour les lyricistes et j’ai donc très tôt appris à apprécier les textes avec différentes références et des mots recherchés à l’image d’un Akhentaton ou encore d’un Ali, anciennement de Lunatic. Il y a également de manière générale plus de livres et d’auteurs qui m’ont marqué ou me marquent qui me servent également de sources d’inspiration dans mes textes. Et pour ce dernier point, les courants littéraires sont très larges et peuvent aller de la littérature religieuse, afro-caribéenne, afro-américaine à celle occidentale au Moyen-Orient.
iHH™ : Tu sembles accorder beaucoup d’importance au message dans ta musique. Quelle place occupent les valeurs humaines dans ton processus créatif ?
M : Oui effectivement parce que la musique a selon moi une dimension de partage et de rencontre avec d’autres qui est importante. Et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai souvent invité plusieurs featurings dans mes projets. J’aime la création avec les autres et c’est selon moi une des grandes richesses et valeurs humaines du hip-hop. Je crois beaucoup au potentiel de chacun et le fait que l’on peut apporter quelque chose de meilleur. Cela revient à la phrase ou l’ambition d’être « La meilleure version de soi- même ». Je pense que chacun peut chaque jour ou à chaque saison de nos vies être cette meilleure version de lui-même et c’est cette espérance dans l’autre qui m’anime et anime ma musique.
iHH™ : Ton projet « Une touche de rêve » a marqué beaucoup de monde. Peux-tu revenir sur la genèse de cet album ?
M : Une touche de rêve est mon premier opus ; une aventure de plus d’un an et demi pour le concevoir avec le sentiment d’avoir pu tester dans nos créativités le plus loin de ce que nous pouvions avec les moyens de ce que nous avions. Une création sans calcul, juste de faire et du plaisir à être construit et être surpris ensemble. Je dis surpris, car l’époque, comme aujourd’hui, le résultat me surprend encore agréablement. Et que ce soit autant au niveau des artistes (Disiz, Eloquence, Aïssata Baldé…) que nous avions invités que la manière dont nous avons coordonné l’ensemble. C’est aussi le premier projet de mes premiers clips et du premier projet en live band pour le défendre sur scène. Tout y a été pour beaucoup avec un retour appréciable à la fois du public comme des médias.
iHH™ : Quels sont les thèmes centraux de tes projets récents, comme « Souffle » ou « Second souffle » ?
M : L’un des thèmes qui revient en filigrane dans plusieurs de mes opus est celui du rêve dans la notion d’objectif qui nous pousse à nous transcender pour aspirer ou atteindre quelque chose de meilleur pour soi comme pour ceux qui nous entourent. J’ai une forte dimension d’appel au dépassement de soi dans ma musique. Les relations humaines m’inspirent et sont des thèmes qui reviennent beaucoup : les questions d’amitié, de famille et de relation amoureuse. Les relations autant dans leur capacité à nous encourager, nous pousser être meilleur comme à nous peiner. L’humain in fine dans toute sa complexité mais surtout dans toute sa beauté. Mes derniers opus reviennent beaucoup aussi sur le thème du hip-hop et autour d’une de ses essences qui m’a toujours parlé : le partage, la sincérité, la passion, sa richesse culturelle et l’éveil des consciences.
iHH™ : Quel regard portes-tu sur l’évolution du rap français, notamment avec l’arrivée des nouvelles générations ?
M : J’avoue avoir un peu décroché et être moins au fait de toute la nouvelle génération d’artistes. Après je trouve impressionnant la manière dont la musique se propage, la qualité musicale de plusieurs titres mais j’ai moins souvent le coup de cœur, de celui qui s’ancre dans le temps. Je ne dis pas ne jamais l’avoir mais il y a une telle profusion de contenu qu’il nous faut du temps pour apprécier à sa juste valeur les différentes propositions musicales. Et nous ne sommes de toutes façons sur un besoin tellement plus intense d’être présents en tant qu’artiste que je ne sais plus dans quelle mesure plusieurs d’entre nous avons vraiment le temps de pousser au maximum le travail artistique dans nos projets. Après le fait qu’il y ait du renouveau est une bonne chose. Le problème est le lien que l’on peut ou que nous faisons avec ce qu’il y a eu avant. Je ne suis pas sûr que plusieurs des artistes de la nouvelle génération aient l’idée de capitaliser, pas uniquement sur la dimension business, sur les artistes qui les ont précédés. Et je trouve que des artistes plus anciens, veulent capitaliser ou s’appuyer sur ce qu’on fait les plus jeunes, essayer de faire comme eux mais cela ne fonctionne pas vraiment toujours. L’un de ceux qui avait une forte intelligence à faire les ponts je trouve c’est Booba et son album « Lunatic » qui en était une belle illustration. Tu as des artistes comme Dosseh aussi que je trouve très intéressant : il n’est pas de la nouvelle génération mais réussit à être agréablement toujours actuel tout en gardant une qualité d’écriture qui peut et parle beaucoup à une ancienne génération.
iHH™ : Penses-tu qu’il est plus difficile aujourd’hui de faire passer un message profond dans un paysage musical souvent dominé par le divertissement ?
M: Je dirais que c’est comme vouloir une visite du « Louvre » en 5 minutes ou en s’appuyant uniquement sur ChatGPT. Il y a une masse de personnes qui « consomment » la musique ainsi mais d’autres qui veulent de la culture, prendre le temps, y aller plus profondément. C’est une question d’habitude qu’on se crée et/ou que l’on nous apprend ou aussi de qualité de l’œuvre Je pense donc que c’est compliqué d’atteindre un très large public mais qu’il existe toujours une part de personnes qui sont intéressées par cela. Après c’est une question de leur permettre de savoir que des œuvres de ce type existe, d’avoir un travail d’éveil vis-à-vis d’autres pour leur permettre de se rendre compte ou de mieux apprécier ce type de musique et de faire en sorte les musiques en question soit au niveau de qualité et de profondeur attendu… Une œuvre de patience, de persévérance et de résilience mais une œuvre qui n’est pas simple.
iHH™ : Tu as souvent été perçu comme un “rappeur conscient”. Est-ce une étiquette que tu assumes pleinement ?
M: Honnêtement, c’est une étiquette que j’assume complètement, parce qu’elle correspond à celles de plusieurs artistes qui m’ont inspiré. C’est aussi une belle manière d’aider à garder une constance ou un cap dans ma proposition artistique, sans la limiter pour autant. Un rappel d’une part de ce qui m’anime : élever ma conscience et contribuer, en toute humilité, à maintenir en éveil celle de ceux qui m’écoutent.
iHH™ : Quels sont les combats ou causes qui te tiennent le plus à cœur aujourd’hui ?
M: Toujours et plus que jamais le partage. On a d’ailleurs créé avec ma femme une association nommée « Work For Love » qui intervient dans l’accompagnement d’artistes et l’action culturelle. L’idée est d’avoir des temps d’échange et plus largement d’aider, au travers de partage d’expériences, de coaching, de concert, de production ou d’ateliers à aider des artistes, comme le public, à aller plus loin dans leur pratique artistique, sa diffusion et/ou lecture de celles-ci. L’idée est de donner des clés ou leviers qui servent à la fois pour l’art et même pour la vie. Nous sommes convaincus que la musique peut être un moyen d’avoir un impact positif et c’est l’une des choses qui me tient à cœur : avoir un impact, aussi faible soit-il, mais qui sera je l’espère et je le souhaite utile.
iHH™ : Que peut-on te souhaiter ?
M: Que notre musique puisse être plus largement diffusée. Je suis convaincu qu’il y’a de place pour les différentes propositions artistiques et qu’un grand défi est de permettre à chaque œuvre de trouver son public. J’ai le sentiment que notre musique pourrait en effet toucher une audience plus large et que nous n’avons pas encore trouvé le modèle à notre échelle d’indépendant qui permet de les atteindre plus efficacement. Donc plus d’audience, encore plus de qualité, un modèle économique plus viable et que la passion et l’envie perdurent.



