Rencontre avec le MC cardinal qui jouera sur scène à nombreuses reprises cette année son incandescent nouvel album “Bitume”, écrit dans la chair de la langue.
Lors d’un concert mémorable le 26 février dernier à La Maroquinerie (Paris), Rocé a présenté sur scène son album “Bitume” avec un complicité d’un bel aréopage de savants de la rime tels que JP Manova, Fik’s Niavo, Koma, Demi-Portion, Sameer Ahmad, JL, Hifi, Grödash, ou encore la rappeuse RYAMM, qui avait également assuré avec brio la première partie. Le 28 avril, celles et ceux qui aiment la poésie qui lève le poing pourront aller écouter le rappeur à Nantes, au Ferrailleur. Puis, rendez-vous le 17 mai au Tamanoir (1), à Gennevilliers.
Dans son cinquième album studio, le pacifiste guérillero de la rime continue de raviver la mémoire des luttes prolétariennes. Il célèbre des penseurs cardinaux, comme Karl Marx ou le poète et écrivain domien Léon-Gontran Damas, un des concepteurs de la Négritude, grand oublié des médias dominants. “On vous laisse les emojis /On prend les références, les armes, la théorie”, scande-t-il dans ”Nos Victoires”.
Rocé élabore un rap qui crisse, crie, crée dans la chair de la langue, dans le nerf de la conscience. Et, avec pugnacité, ses vers tiennent par l’encolure le diktat du capital. Sa plume, finement sculptée, jongle magistralement avec les figures de styles – métaphore, polysémie, oxymore, anaphore…
C’est lui qui a signé les musiques du disque, sauf pour deux titres. Le beatmaker Kofi a taillé une prod° sur mesure pour “Don’t Believe The Hype”, qui adresse un clin d’œil à Public Enemy. En outre, Blacksmith a imprimé sa modernité sonique dans “Pic À Glace”. En ce morceau, Rocé a convié un ancien de haut rang, l’ex-Raggasonic Daddy Mory, qui communique, avec une passion intacte, sa flamme reggae. Autre guest de marque (dans “Ils L’Ont Fait Exprès”), Ol’ Kainry, malheureusement excusé pour le concert de La Maroquinerie, déroule son flow compresseur qui écrase les injonctions et les clichés, sur la musique usinée par Rocé, obsédante jusqu’au vertige.
iHH
ROCÉ : Il est le fruit de ma réaction, assez vive, à notre époque, que je trouve particulièrement dure. En même temps, je voulais que cet album célèbre l’espoir.
iHH
ROCÉ : Oui, et je dis aussi : “Ils veulent brider le destin, parce qu’on consomme plus dans le désespoir, la compulsion, l’angoisse (…)”. L’urgence est, aujourd’hui, dans l’espoir. Ne pas seulement dresser un constat. De toutes parts, le désespoir nous est versé à flots. Mais, en réalité, ce désespoir est celui incarné par l’homme blanc de plus de cinquante ans qui gagne beaucoup d’argent. C’est sa peur à lui qui est inoculée partout, dans les films, les grosses productions, les médias, etc. Sa peur de la fin du monde, sa peur de la surpopulation, sa peur du “grand remplacement”.
La peur des précaires, c’est de ne pas arriver à boucler la fin de mois, ne pas pouvoir fournir le nécessaire à leur famille… Malgré ce désespoir avec lequel on nous lave le cerveau, nous sommes des fleurs qui transpercent les dalles de béton, nous poussons jusque dans les fissures. Nous parvenons à créer même avec le vide. Même si on nous retire la matière, nous inventons.
iHH
ROCÉ : Exactement, c’est précisément l’origine du hip-hop. Je ne veux pas m’enfermer dans un inventaire morose. Nous n’avons pas le droit de ne donner à la jeunesse que des objets de désolation, alors qu’on lui laisse déjà un monde en piteux état. Nous avons des comptes à rendre. Les puissants aussi, mais ils refusent de le faire.
iHH
ROCÉ : C’est un acteur magnifique. Nous nous connaissons depuis mon adolescence. Son frère a été mon manager. Depuis longtemps, je souhaitais l’inviter sur un disque. Son jeu convient parfaitement au propos de “Nos Victoires”. J’ai écrit pour lui ce texte d’introduction.
iHH
ROCÉ : Les détenteurs du pouvoir voudraient nous faire croire qu’ils ont accordé leur chance aux dominés et que ces derniers auraient été incapables de la saisir. Si l’on se penche sur l’Histoire, par exemple sur la Tricontinentale qui s’est tenue à la Havane en 1966, on s’aperçoit que de véritables tentatives de changement du système ont été opérées. Dans le sillage des mouvements pour les Indépendances, la Tricontinentale, ou Conférence de la solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, initiée par Che Guevara et Mehdi Ben Barka, a réuni des penseurs et activistes des quatre coins du monde. Les luttes de libération et tout ce qui a éveillé les émancipations des décennies 1950, 1960, 1970, ça a marché !
Ça a marché dans le sens où des leaders majeurs, tels que Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah et d’autres, ont émergé et ont accédé à la tête de leur pays. Et, comme l’exprime mon texte interprété par Slimane Dazi, c’est parce que ça a marché que les puissants ont assassiné ou ont fait assassiner une pléthore d’activistes qui portaient une alternative. Mais ils nous ont fait entendre en boucle “les dérives”, “les abus de pouvoir”, “la corruption”, qu’ils attribuent aux dirigeants indépendantistes, alors que ce sont les empires qui ont financé les dictatures et leurs corollaires immondes.
iHH
ROCÉ : Tout à fait. Car invisibiliser des personnes, des groupes sociaux, des peuples, c’est une façon de les éliminer socialement et politiquement. Dans “Nos Victoires”, je déclare que, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, “Le capitalisme n’est pas irremplaçable”. On voudrait nous convaincre qu’il existe un capitalisme doux, par lequel il n’y aurait pas d’inégalité sociale, ni d’exploitation, ni d’oppression. Mais c’est un mensonge, il n’y a pas de capitalisme doux ! La violence est inhérente au capitalisme. Dans cet album, j’appelle à l’espoir. Car si les dominants ont tué celles et ceux qui ont incarné l’espoir, nous ne devons pas les laisser tuer l’espoir même. Pour cette raison, ”Nos Victoires” est un morceau important pour moi.
iHH
ROCÉ : Oui, même si on est amené à zoomer sur certains points. On ne peut pas combattre efficacement une forme d’exclusion, si on ne lutte pas aussi énergiquement contre toutes les exclusions. On ne se battra pas pleinement en faveur de l’écologie, si on ne se bat pas contre le capitalisme. On ne gagnera pas contre le racisme, si on ne gagne pas contre le sexisme. Tout est lié. Il est nécessaire que la solidarité se développe tous azimuts en direction des personnes stigmatisées, quelle que soit la forme d’ostracisme qui frappe celles-ci.
iHH
ROCÉ : Les nouvelles générations, parce qu’elles comprennent mieux que la lutte est globale. Elles ont davantage conscience de la transversalité des luttes et de la solidarité. Ça, c’est formidable !
Entretien réalisé par FARA C.
(1) Le Tamanoir, dynamique scène conventionnée “lieu de musiques actuelles”, dont la politique tarifaire permet aux plus modestes d’accéder aux spectacles (12 euros, pour le concert de Rocé). Coup de chapeau au directeur-programmateur de la salle, Jean-Christophe Delcroix, et à son équipe, qui accomplissent un remarquable travail de diffusion et de transmission.
iNFORMATiONS PRATiQUES :
Nouvel album : Rocé, album “Bitume” (Hors Cadres / Modulor)
Facebook :
https://www.facebook.com/rocemusic/?locale=fr_FR
“Bitume” chroniqué par FARA C. ici :
Rocé en concert :
Dimanche 28 avril 2024, Le Ferrailleur, Nantes (44)
Vendredi 17 mai, 20h30, Le Tamanoir, Gennevilliers (92), 12 euros [ANNULÉ]