Lil Nas X ft. Jack Harlow - Industry Baby. Capture d'écran YouTube. © Christian Breslauer

Le succès de Lil Nas X était tout sauf imprévisible : la chanson “Old Town Road”, véritable phénomène musical et commercial, n’était que le début pour le jeune artiste, rappeur excentrique, à la maîtrise des réseaux sociaux et de la culture meme sans équivoque.

Les hits n’ont fait que s’accumuler pour lui, entre “Panini“, “INDUSTRY BABY” ou encore le très controversé “MONTERO“, Lil Nas X a prouvé qu’il était bien plus qu’un one-hit wonder et que la controverse ne le limiterait pas dans les thématiques qu’il choisit de développer.

Maintenant, il se prépare à s’emparer de l’été. Toujours aussi extravagant et tout en brisant des records, il cherche désormais à dynamiter les traditions du hip-hop moderne. En embarquant avec lui NBA YoungBoy et Saucy Santana, deux artistes aux styles des plus variés et à distance de son public davantage rattaché à la musique pop, Lil Nas X choisit de transformer son monde et celui de ses collaborateurs, tout en réaffirmant son appartenance à la culture hip-hop.

“Late To The Party”, le crossover pop et rap de NBA YoungBoy et Lil Nas X

L’annonce a eu lieu le 16 mars dernier sur la plateforme de prédilection du rappeur de Géorgie, Twitter. En guise de question-réponse, Lil Nas X a révélé avoir deux chansons prêtes à être diffusées : “Down Souf Hoes” et “Late To The Party“. S’en sont suivis des posts de plusieurs extraits de cette dernière dans la nuit du 8 juin. La chanson aux sonorités de hit de l’été, avec des synthés entraînants et une cloche à la Yeat, est produite par le duo Take A Daytrip, collaborateurs récurrents de Lil Nas X. À la surprise générale, le titre est enrichi par la présence d’un rappeur en provenance de Louisiane : NBA YoungBoy, authentique rappeur street à l’américaine.

Même si ce choix peut paraître surprenant, compte tenu des styles de rap opposés des deux artistes, il n’en est toutefois pas inattendu : “YB better“, c’est l’un des memes préférés des trolls sur les réseaux sociaux. La phrase, souvent utilisée en réponse à un post sans corrélation, avait été popularisée par les fans de YoungBoy et signifie tout simplement “YoungBoy est meilleur”, sans précision du domaine dans lequel il est meilleur. Comme bon nombre de memes, aucune logique ne se cache derrière cette phrase, ella a juste pour but d’irriter ou de faire rire. Véritable plaisantin, Nas X avait lui-même fait référence à ce meme lors de son “MONTERO SHOW“, parodie de talk show précédant la sortie de son premier album, “MONTERO“. Il n’est donc pas surprenant que les deux artistes en viennent à collaborer, que ce soit pour le meme ou non.

Un duo de hitmakers à l’origine de la “party”

Lil Nas X, c’est un hitmaker-né. Il est capable de pulvériser des records musicaux. Dont celui de “Old Town Road” qui détient la plus grande longévité en tête du Billboard Hot 100, le classement des chansons les plus vendues aux États-Unis tous genres confondus. Cela a été rendu possible grâce à une variété de collaborations avec de nombreux artistes (le DJ Diplo, Rap Monster du groupe de K-Pop BTS, Young Thug), généralement connus du grand public.

Si l’univers pop ne connaît pas encore NBA YoungBoy, le jeune rappeur de Baton Rouge est pourtant une méga star du rap américain. YoungBoy est une véritable force de frappe en termes de ventes et ne cesse de briser des records : plus jeune artiste à atteindre 100 certifications disque d’or décernées par la RIAA (le SNEP américain), plus jeune rappeur à avoir placé 20 albums sur le Billboard Top 200 et, plus récemment, il a égalé Eminem pour le titre de rappeur avec le plus de vidéos YouTube ayant dépassé les 100 millions de vues. Vous l’aurez compris, YB est une véritable machine de guerre en termes de ventes et de vues, comme vient le rappeler le morceau “Vette Motors” qui a cumulé plus de 5 millions de vues moins d’une semaine après sa sortie.

Nouveau plafond pour un, affirmation pour l’autre

Mais malgré son étendue, l’univers de YoungBoy est paradoxalement encore très limité : que ce soit aux côtés de Nicki Minaj, Future, The Kid LAROI, Tyler, The Creator, Migos ou encore DaBaby, YoungBoy se restreint au monde du rap, limitant peut-être son énorme potentiel de hitmaker. Ce featuring avec Lil Nas X arrive à point nommé pour briser un nouveau plafond de verre. Si une figure au croisement entre pop et rap comme Lil Nas X s’autorise à faire intervenir le rappeur de Baton Rouge, cela fera peut-être de YoungBoy un artiste en grande demande, au même titre qu’un Gunna ou qu’un des membres du trio Migos, rappeurs qui ne semblaient initialement pas destinés à un tel niveau de célébrité, avec leurs profils très ancrés dans la trap.

Late To The Party“, c’est une action extrêmement calculée pour Lil Nas X. Elle peut lui permettre de réaffirmer son statut de rappeur aux côtés de NBA YoungBoy, qui est peut-être le plus gros trappeur de sa génération. Ce statut est souvent questionné par les fans de rap – mais aussi les MCs : hormis Jack Harlow, Young Thug et DaBaby, les rappeurs rechignent à collaborer avec Lil Nas X, selon ses dires. Il est vrai que Lil Nas X n’hésite pas à s’aventurer dans d’autres genres musicaux, dont la pop et le drum & bass, qui semble être sa prochaine destination. Et pourtant, sur les instrus de Take A Daytrip, YoungKio et Tay Keith, c’est très clair : Lil Nas est lui aussi un rappeur.

L’exclusion des artistes LGBT dans le rap et “Down South Hoes” avec Saucy Santana

Ce morceau est aussi l’occasion pour Lil Nas X de critiquer ouvertement la chaîne de télévision américaine BET – Black Entertainment Television, littéralement “la télévision du divertissement afro-américain” – dans l’intro d’un titre destiné à être un hit. Pour nous, les BET Awards, la cérémonie organisée par cette même chaîne, qui prend place dans la nuit du 26 au 27 juin, c’est l’occasion de peut-être voir Guy2Bezbar ou SDM remporter le prix de “Meilleur nouvel artiste international”. Pour Lil Nas X, qui proclame “F**k BET” sur “Late To The Party”, les BET Awards attisent le sentiment d’exclusion qu’il ressent.

Le raisonnement de Lil Nas X est le suivant : si les Grammy Awards, une des cérémonies les plus prestigieuses dédiées à la musique, peuvent se permettre de le nominer – dans les catégories “Chanson de l’année”, “Album de l’année” ou encore “Meilleure collaboration rap/chant” –, alors pourquoi les BET Awards ne peuvent pas se le permettre ? Sa théorie : c’est parce qu’il est gay.

Sur le papier, Lil Nas X pourrait être nominé. Non seulement ses titres de 2021 ont été des hits, mais il est également un artiste afro-américain (à titre de comparaison, Jack Harlow s’est vu nominé pour le prix de “Meilleur rappeur”). Contrairement à l’affaire entre The Weeknd et les Grammy Awards de cette année, le jeune rappeur n’était officiellement pas en froid avec BET, il avait même offert une prestation lors de la cérémonie de l’année dernière, alors qu’il n’était pas nominé non plus. Ne pas être nominé cette année, au paroxysme de sa popularité et après la sortie de son album, l’a poussé au coup de gueule sur Twitter.

Lil Nas X, considéré “rejeté” par la communauté afro-américaine

Même si l’affaire entre Lil Nas X et BET peut tout simplement être une erreur de la part de la chaîne, elle met en avant les rapports troubles entre hip-hop et homosexualité, ou les artistes LGBTQIA+ de manière plus générale, qui n’ont jamais été roses. Si des rappeurs comme Kevin Abstract du groupe BROCKHAMPTON, Tyler, The Creator ou plus récemment Isaiah Rashad ont pu s’exprimer à propos de leur orientation sexuelle, cela ne s’est jamais fait sans difficultés voire de rejet de la part de certains fans de hip-hop.

Certains rappeurs de la scène underground ont, et continuent d’utiliser pléthore d’insultes homophobes et transphobes dans leurs chansons, des termes qui ont été quelque peu normalisés par les rappeurs dans les années 90. Ce statut de normalité a notamment été abordé dans le titre “Auntie Diaries” du dernier album de Kendrick Lamar, “Mr. Morale and The Big Steppers”, où le MC révèle que son oncle et sa cousine sont transgenres. Dans la chanson, le MC de Compton joue sur son ignorance des termes péjoratifs à leur encontre, une ignorance justement causée par cette normalité du non-respect des individus LGBTQIA+ dans le rap.

Le rapport endommagé entre rap et sujets LGBTQIA+

Heureusement, pour Lil Nas X, sortir de la normalité est un spécialité. Depuis son coming out réalisé à l’aide du titre “C7osure“, extrait de l’EP “7” sorti en 2019, le rappeur n’hésite pas à rappeler à tout le monde son orientation sexuelle. Sa collaboration avec le rappeur de Floride Saucy Santana, “Down South Hoes”, ne fera que pousser un sentiment de fierté, puisque ce titre sera effectivement la première collaboration hip-hop majeure entre deux artistes ouvertement gays.

Si vous ne connaissez pas Saucy Santana, à l’origine de “Material Girl” ou “Walk”, des hits sur TikTok, c’est parce que le rappeur est lui-même quasiment exclu de la scène hip-hop, si ce n’est pour sa récente nomination en tant que “Freshman” selon le magazine XXL et quelques collaborations avec les City Girls de Miami ou Latto, des artistes féminines.

Pour lui, collaborer avec Lil Nas X, c’est non seulement sa première collaboration avec un autre artiste masculin, mais aussi un énorme tremplin pour Santana qui a signé avec le label RCA en mars dernier et qui va profiter du buzz généré par “Down South Hoes” pour sortir un album. Cette collaboration est également l’occasion de mettre fin à son exclusion du genre hip-hop et peut-être l’occasion de suivre la voie tracée par Big Freedia, rappeuse et véritable icône de la bounce music de Louisiane.

Cette dernière a notamment collaboré avec le légendaire producteur de Nouvelle-Orléans – et rappeur à temps partiel – Mannie Fresh. À terme, Lil Nas X et Saucy Santana parviendront peut-être à banaliser les collaborations entre les rappeurs hétérosexuels et homosexuels à l’aide d’un “twerk anthem” voué à briser des records et qui sera d’ailleurs des plus appropriés pour le premier été aux règles COVID résolument assouplies, après deux années très confinées.

Texte : Tarek Diouri–Adequin