A l’écoute depuis une semaine, Vestige, le nouvel EP du lillois Lexa Large, relate avec ironie et lucidité le quotidien d’un trentenaire sur des sons grime. Rafraichissant.

iHH magazine : Presque cinq ans se sont écoulés depuis Pronostic Vital (2014), tu reviens aujourd’hui avec un style différent qui lorgne du côté de l’Angleterre, pourquoi ce choix ?

Lexa Large :  J’ai fait du boom-bap, des sets acoustiques, j’ai tourné et enregistré avec un live band (les Drooggies)… Cette fois, j’avais dans l’idée un projet plus électrique, plus grime, qui correspond avec mon humeur du moment. C’est aussi mon EP le plus “carré”, car j’ai maintenant des structures qui me soutiennent (Lacouveuse, Budde music) et m’aident à développer mon univers.

Comment pourrais-tu définir le style de Vestige ?

Chacun de mes projets a sa direction artistique qui lui est propre. Vestige sonne UK garage, grime voir 2step. J’ai beaucoup écouté Dizzee Rascal ou The Streets quand j’étais ado. Faire ce genre de choix il y a cinq ou dix ans n’aurait pas été pertinent et j’en avais d’ailleurs pas envie. J’ai voulu tenté le truc car ce n’est pas forcement quelque chose de très populaire en France, même si ça le deviens de plus en plus. Mon grime et mon débit up-tempo, n’est pas si éloignée de la trap finalement.

D’où te viens ce pseudo ?

C’est une référence au personnage d’Alex Delarge dans le film Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Et plus largement à l’univers de Kubrick que j’adore, qui est un cinéma très visuel. Je trouvais l’évolution et la complexité du personnage fascinantes. Il change complètement de personnalité au fil des événements. L’idée de rédemption / lavage de cerveau m’attirait.

Tes paroles relatent de manière sarcastique les tracas quotidiens d’un trentenaire, loin de l’imagerie bling-bling ou faussement gangster qui abonde aujourd’hui…

Dans le rap aujourd’hui, il faut se construire un personnage. Je voulais quelque chose de réel. J’ai la trentaine, je traine avec des gens de mon âge qui ont des soucis de trentenaires ! Ces vies ne sont pas moins intéressantes qu’une fast life à Miami. Elles sont aussi prenantes et ça parle à de nombreuses personnes. A l’heure actuelle, tout le monde vend du rêve et je suis le premier client d’un rappeur qui va me mettre dans une fiction. Après le faire moi…. D’autres le font mieux.

Je suis critique par rapport à la médiatisation d’un certain style de rap. les radios mainstream s’attardent trop sur la trap. C’est paradoxalement moins diversifié qu’avant.

J’ai été élevé aux raps du quotidien, j’aime Disiz, Orelsan, Brel… J’aime qu’on souligne des choses qui me parlent et qui peuvent m’arriver. Dans le rap de 2019, c’est pas super commun de parler de sa vraie vie quand on y pense ! Mais j’aime toujours le faire avec une touche second degré pour ne pas être chiant. Disiz, m’a donné envie de faire ça, j’ai grandi avec. A l’époque, il y avait un rap sérieux, lui arrrive avec J’pete les plombs, il fait une voix de meuf dans le son, son album s’appelle poisson rouge… Ca m’a marqué !

Justement, dans le dernier morceau, Black Face, tu évoques les difficultés d’un couple mixte et les relations avec la famille de son conjoint… C’est peut-être le le seul titre où tu n’est pas ironique d’ailleurs.

Il y a des discussions autour de ce morceau. Il n’est pas engagé, ce n’est pas du Kery James, ce n’est pas pro black ni victimaire. Je dis simplement que personne n’a le monopole de la discrimination. Tout le monde à son niveau peut avoir sa soufrance… Ca tourne autour de moi car je suis noir, si j’étais obèse j’aurais écris sur ça. Je suis dans un couple mixte, il y a l’amour des deux parents et autour, des personnes qui doivent s’adapter aux cultures de chacun et ça n’est pas évident d’avoir une culture nvlle à table.

Je ne parle pas de racisme, juste d’adaptation. Si demain ma femme devient vegan, je vais devoir m’adapter, ça sera pas simple mais c’est la même mécanique. C’est un problème concret, pas abordé de cette manière dans le rap. Ce n’est pas du rap conscient, même si ça n’est pas un gros mot dans ma bouche, mais juste ma vie quotidienne, des choses que je vis comme dans To do list. Ca peut parler à n’importe qui. C’est le vivre ensemble dans le foyer jusque dans la société, de la famille au travail. Tu peux avoir des facteurs discriminants au sein même de ta famille. Si t’es le seul roux de la fratrie, tu seras discriminé.

“Pour être rappeur plus besoin de vers avisés faut juste un fer à lisser” (Orientation), tu mets plusieurs tacles au rap actuel dans tes morceaux…

Je suis un trentenaire bien dans mon temps et pas réac’ je tiens à le préciser ! Je pense même qu’on vit un deuxième âge d’or du rap français. Il y en a pour les puristes et les autres y ont accès aussi. Je suis critique par rapport à la médiatisation d’un certain style de rap. les radios mainstream s’attardent trop sur la trap. C’est paradoxalement moins diversifié qu’avant. C’est très uniforme, on est dans un bloc trap. Le mec qui veut faire un single va faire de l’autotune, de l’afrotrap, … Si tu sors de ces trucs là, tu passes pas. La phrase que tu cites est ironique puisque juste après je dis “avec ma calvitie, je crois finalement que je vais m’raviser”. C’est de l’autodérision plus qu’un tacle.

Vous pouvez écouter Vestige ICI