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Boldy James & Real Bad Man – “Killing Nothing” : Memento mori de Detroit

Killing Nothing - Boldy James & Real Bad Man

Killing Nothing - Boldy James & Real Bad Man

Drogues, meurtres, quotidien à Detroit… Cela fait plus de 10 ans que Boldy James se cramponne à ces thèmes qu’il décline à l’envi pour de prestigieux labels rap US.

Ses albums et maxis ont notamment été estampillés Decon (le label du réalisateur Jason Goldwatch), Mass Appeal (racheté il y a quelques années par Nas) et évidemment ALC Records du légendaire producteur The Alchemist, en partie responsable de l’accélération de l’ascension de Boldy grâce à plusieurs projets en commun, dont son premier album, My 1st Chemistry Set paru en 2013, l’EP Boldface de 2019 ou encore l’énorme The Price of Tea in China sorti en 2020.

Thématiquement, pour le MC désormais affilié au label Griselda Records qui abrite notamment Westside Gunn, Conway The Machine et Benny The Butcher, la drogue et les meurtres, c’est ce qu’il y a de plus habituel. Ce qui fait la différence cette fois, c’est l’alchimie qui ne cesse de se bonifier entre le MC et son producteur pour ce projet : Real Bad Man.

Avec des instrumentaux très vivaces, le vétéran touche à tout Real Bad Man, connu à l’état civil californien sous le nom de Adam Weissmann, s’est mis à recruter moult figures proéminentes du rap game (Roc Marciano, Blu, Kool Keith, Kool G Rap…) à partir de 2020 pour la série de 4 EPs On High Alert. Boldy lui-même était apparu sur deux des trois EPs sortis en 2020 avant que le producteur et le rappeur du Michigan ne se lancent dans la concoction d’un album : Big Bad Boldy. Real Bad Man avait alors usiné un contraste parfait avec le caractère nonchalant et morbide des textes et des cadences de Boldy James. La machine est relancée pour ce nouvel album collaboratif, véritable cadeau pour les habitués du boom-bap new-yorkais.

Les paysages sonores de Real Bad Man au service de Boldy James

Le morceau Game Time propulse Boldy James sur des sonorités et un rythme similaires à ceux du trio principal de Griselda précédemment évoqué, avec des cuivres qui rappellent presque le titre Simon Says de Pharoahe Monch en plus sombre. Boldy se livre sur des couplets dédiés comme par habitude à sa vie dans les violentes rues de Detroit. Des références comme celle à l’album classique de Raekwon, Only Built 4 Cuban Linx, au sein de l’impeccable refrain de ce morceau, et un autre clin d’œil à Gucci Mane cette fois sur Ain’t No Bon Jovi, contribuent à montrer que Boldy est un véritable érudit du hip-hop.

Le MC du Michigan est rejoint par un grand nombre d’acteurs de la scène underground moderne. Open Door est presque un posse cut des nouveaux héros de l’underground : Rome Streetz, dernier artiste affilié Griselda Records et Stove God Cooks, le disciple de Roc Marciano qui avait volé la vedette sur le projet de Westside Gunn, Hitler Wears Hermes 8, rejoignent Boldy pour un morceau aux allures de véritable bande-son de film d’horreur, grâce à Real Bad Man et ses choix de production qui ne pourraient pas être plus appropriés.

En parlant cinématographie, Medellin s’apparente à l’entracte d’un film. Real Bad Man plante immédiatement un décor plus exotique, supporté par la présence du MC bilingue du New Jersey CRIMEAPPLE, qui se montre rapide et extrêmement précis sur les changements de cadence, mais aussi de langue.

Bo Jack jongle entre vie et mort

Si jusqu’ici, l’album se retrouvait composé de morceaux boom-bap très efficaces, Real Bad Man n’hésite pas à effectuer des modifications transformant le paysage des images que Boldy crée.

La douceur du saxophone et du piano supporte un Boldy James très attaché à sa famille sur le morceau Bo Jack. Le morceau est nommé après le joueur de baseball et de football américain Bo Jackson qui était également le nom de son troisième projet avec The Alchemist. Boldy réaffirme ici son statut de légende dans deux différents domaines, aussi bien dans les rues de Detroit qu’au sein du rap game.

Sig Sauer, c’est un moment de virevolte pour le MC de Detroit, qui quitte les percussions boom-bap et s’abandonne à la trap, et lâche même un “Look at my wrist” au début du morceau, suivi de quelques références aux marques de luxe préférées des Lil Uzi et des Lil Durk.

Virevolte nécessaire à l’approche de la fin de l’album, de plus en plus sombre, Seeing Visions voit le rappeur complètement épuisé par la vie qu’il a menée jusqu’à ce jour. Vraisemblablement incapable de la laisser derrière lui, cela induit une élocution morbide de sa part. Si ce n’est pas clair pour les novices après le quatrième titre de l’album, Hundred Ninety Bands, qui est un sombre éloge de 3 minutes, on comprend la violence à laquelle Boldy a assisté toute sa vie, laissant les rues de Detroit avec tous ses amis décédés.

La chanson-titre ne fait que confirmer cette idée : les rues de Detroit ne se composent que de cycles de morts. Boldy ne reflète que ce concept, antithèse parfaite, en gardant les morts en vie à travers ses rimes.

Killing Nothing est un véritable memento mori auditif, concept qui tient la route grâce à l’incroyable capacité à rapper de Boldy James, complimenté par les compositions instrumentales de Real Bad Man qui créent des paysages qui reflètent parfaitement les rimes d’un MC aux capacités de narration de premier choix.

Texte : Tarek Diouri–Adequin


Écouter Killing Nothing de Boldy James & Real Bad Man :