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Retour en 2018 et notre interview de Gringe

Les aléas de la presse, nous oblige, parfois, a stocker des choses. Retard de sortie, du côté des rappeurs, parfois aussi de notre côté. Retour sur notre entretien avec Gringe, post Casseurs Flowters, mais avant le succès au cinéma et avant le second album. Moitié de Casseurs Flowters, acteur en devenir, Guillaume pour les intimes mais Gringe pour ce game, sort, enfin, son 1er album.

Interview: La Rédaction

Enfin, ce 1er album…
J’ai une notion du temps qui est hyper abstraite, je me rend compte, par rapport à la moyenne des gens. J’ai l’impression d’avoir la capacité à le distordre un peu, c’est jamais vraiment un obstacle ou un handicap. Je suis un mec ponctuel, mais la manière dont j’organise mon mode de vie sans me fixer d’impératif. Mais j’arrive à 38 ans, et j’ai le mode de vie d’un mec de 25. J’ai pas une vie d’adulte, ça fait seulement 4 ans que je bosse. Les Casseurs ça a vraiment été mes 1ers projets professionnels donc pour toutes ses raisons, je ne le sors qu’à 38 ans sur le papier, mais j’ai l’impression malgré tout que c’est l’album de la maturité ! L’expérience de vie et celle avec les Casseurs m’ont permis d’accélérer. Orel avait du métier, moi j’ai appris sur le tard, j’ai fait l’école du Rap en accéléré, plus de la comédie et la je me retrouve dans le grand bain. Je suis le seul maître à bord, je mène ma barque, c’est un album laboratoire, il a des défauts, je pense qu’il a des défauts. Il pêche par manque de cohérence parfois, il n’est pas totalement constant sur le choix des prods, il y a des redites dans les thèmes abordés, il est expérimental.

Il y avait malgré tout une attente sur ce 1er album…
Je pense que la période où je backe Orel on m’identifie comme backeur, comme son sidekick, le mec qui fait un morceau de temps en temps avec lui. Quand Orel à une constance, moi je disparais, je fais mes trucs. Lui, il a une démarche, il amorce des trucs, alors que moi pas du tout. J’attend qu’on vienne me chercher et que je suive le mouvement. Donc je le backe beaucoup on m’identifie à ça même si c’est nébuleux. J’ai des couplets sur quelques titres, il y a aussi une tape un peu bizarre sur le net. Après et avec “Ils Sont Cools”, je commence à susciter une petite attente dans le public d’Orel. Donc, il y a un truc depuis 10 piges, ça, plus mes passages sur Bombattak, il y a des trucs comme ça et même moi je me dis qu’il y a un petit truc à mon niveau, mais que Casseurs c’est plus installé, plus marqué. L’attente je la surévalue pas. Quand ce disque sort, on fait un chiffre honorable, mais la une partie déchante car ce n’est pas du tout ce que les gens attendent…

Tu sors ton album sans clip…truc inconcevable en 2018!!!
J’ai tout fait tout seul, à l’arrache, enfin un peu acculé. Les gars ne sont pas là. Le 1er titre de prêt c’est “Carbone”. Il est prêt il a 2 ans, 1 an et demi. Je gratte des trucs, je jobbe sur mes morceaux pivots, j’ai “Scanner” et “Pièces Détachées” en tête. Je me dis que si j’arrive à concrétiser, je vais broder autour. J’ai des titres dans l’esprit Casseurs Flowters que j’écris rapidement. J’ai aussi “Paradis Noir” et un bout de “Karma” , je suis content d’avoir des problématiques sérieuse, je me dis que je vais me débarrasser des titres trop Casseurs, je commence à le penser comme un miroir émotionnel. Je crée un peu d’affect sauf que c’est super chronophage, mes potes sont pas là, moi qui suis le mec le plus décousu de la Terre, j’ai plus Orel, j’ai plus Skread, je me retrouve à poil. Mon pote ingé son qui vient pas du Rap, je lui dit “putain ça va être compliqué de faire un album Rap tout les 2″! Je maîtrise l’outil Rap, mais je me demande ce que je vais faire? Quelle ligne directrice je vais donner à mon album? Comment je vais le rendre cohérent? Puis je fais mes titres 1 par 1, ça me prend une pige et demi, j’en dégage quelques-uns, je fais des rencontres dont Léa Castel qui pose un socle, un cadre qui va me permettre de me délester de pleins de trucs. Donc l’album est dans l’ordi, j’ai tout, j’annonce ! Un délire ! Tiens j’ai aucune date mais je l’annonce pour début janvier. Tout est dans ma tête, il y aura un clip, mais j’ignore l’histoire du mix, du mastering, de promo, de machin, et du coup j’annonce mais le mec qui me mixe me dit :”Mais qu’est-ce que tu fais? Pourquoi tu annonces? J’ai même pas commencé le mixe, t’es un ouf Guillaume! Dans un mois j’aurai jamais tout fini. Tu m’as donné 15 morceaux mais j’ai un planning, des trucs à faire. J’ai créé du temps pour toi car je veux bosser sur ton album.” Donc faux départ, j’ai créé une attente et le contre coup de ces retards cumulés c’est que je sors un morceaux avec 3 rappeurs, sur lequel que je passe en dernier et en plus j’ai 4 mesures de moins que tout le monde et j’ai plus rien en stock. Je fais un couplet comme je peux, alors que les autres sont au top de la technique, du truc, du machin et moi j’arrive en branlette totale. Je passe en dernier…ça créé un effet, il y a Vald et Orel mais Gringe il est éclaté, c’est lui qui est en feat des autres putain. Premier signal moyen, j’ai fait attendre les gens pour ça. “Scanner” n’est pas fini et il me fallait un 1er truc qui n’est même pas une vitrine de l’album. C’est juste un egotrip, mais je comprend en plus. L’album, ça chante, ça chouine…j’ai lu plein de trucs comme ça. Il y a un décalage entre les codes du Rap actuel et surtout, sans transition j’ai cassé et trahi le personnage de Bd que je me suis créé dans “Bloqués” etc. L’esprit léger, les blagues de cul, les punchlines faciles et les machins, ce que les gens kiffaient, même si à côté on a « Inachevé », les gens s’attendaient à un album de blagues. Sauf que moi je ne savais pas où j’allais. Et les titres esprit Casseurs, je me suis dit que non je les sors pas. Casseurs même si c’est nous, c’est caricatural, on a créé un contexte, des personnages et ça nous allait bien. J’ai cassé ce truc et créé un décalage, mais c’est ce que je suis. Fallait aussi montrer ce que je suis.

Tu attaques la promo sur les réseaux en parlant de tes beatmakers…Pourquoi ? Comment ?
Mauvais choix, la stratégie n’est pas très payante. J’ôte de la surprise et de la découverte et en même temps, j’essaie de gagner du temps car “Scanner” n’est pas encore prêt, on me dit 2 semaines mais ça prendra 2 mois (le clip) et on n’a pas encore “Qui dit Mieux”. On n’avait pas anticiper, et en même temps j’ai envie de mettre en avant les producteurs, car la création de cet album ça a été une galère sans nom, d’être au four et au moulin, d’être sur le logistique et l’artistique. Au-delà de me filer des palettes de sons, de me faire du sur mesure aussi ces mecs là m’ont conseillé dans ce processus, ils m’ont conseillé. Pour occuper l’espace, j’ai fait ça, mais j’ai fini par les retirer d’ailleurs. En vrai tu veux pas entendre les prods 1 mois avant l’album. Mes prods c’n’est pas juste des supports, il y en a, on est passé dessus 10 à 15 fois, on a déconstruit. J’ai galéré pour en arriver à ce stade. A un moment, j’étais fatigué, je fais des conneries, je détourne des trucs pour raconter une story. J’ai l’humour, je veux désamorcer, car il y a des gens qui ont été déçus de l’attente…et certains de la direction artistique de l’album. Mais je reste super satisfait de nombreux retours que j’ai eu sur l’album. Sur les réseaux au début, c’est négatif à fond, et puis ensuite, je reçoit des messages de soutien. Il y a quelques morceaux qui fonctionnent, qui tapent fort…et c’est un 1er essai.

Justement comment tu construis un titre ?
Il y a des titres qui sont dans ma tête depuis longtemps, je couche des phrases, c’est intuitif et quand j’écoute des prods, j’ai l’humeur du texte. Je peux écrire des trucs comme ça, mais ce sont les prods qui me guident, avec l’ambiance, la couleur du son. Moi je sais pas écrire sans prod. Il y a des prods dans l’album quand je réécoute, je me demande ce qu’elles foutent la. Avec du recul elles ne seraient pas dessus, c’est limite de mauvais goût. Le titre “On Danse Pas”, en vrai, c’est une dédicace à Oxmo. On s’est croisé à l’époque où il avait fait ce titre. 

Il existe des rumeurs qui disent que tu as voulu arrêter ton album en pleine conception ?
J’ai eu plusieurs épisodes comme ça, ou je suis allé un peu loin dans la fatigue morale et physique. J’ai aussi fait un burn out. J’étais vide de l’intérieur, c’était angoissant en plus d’avoir impliqué des gens alors que je n’assumais pas moi-même. Je passe de clodettes à chef d’orchestre, je n’ai pas cette vision. J’ai des fulgurances, mais un album non. J’en ai un peu voulu à mes potes de me laisser faire moi un album, seul. A côté, j’ai une touche dans le ciné etc, on me laisse direct dans le grand bain et je sais pas ce que je dois faire. A ce moment-là,  j’aurai besoin d’un Skread, d’un Orel, qui se rend disponible. Il me file la maquette de “Déchiré”, de “Qui dit mieux” aussi, c’est Orel qui le dégaine au dernier moment. Pareil “Retourne d’où tu viens”, il le fait pour moi aussi. L’ombre d’Orel plane sur le truc, et quand je le sollicite il est là. Skread il a une vision, il a le plan d’ensemble là où moi je vois un truc sur lequel je zoom sans fin. Mais au final, c’est hyper formateur et c’est le 1er projet que je mène à son terme. Mais putain 18 mois c’est long. Des épisodes dépressifs, de grandes fatigues…

Finalement, quel est le 1er titre qui est prêt ?
Il y a un “Winter le dauphin”, mais il était trash, très sale. Je me servais du champ lexical du monde marin pour ne faire que des phases de cul. La prod était trap, aquatique, il y avait des bulles, des ultra sons de dauphins et j’envoyais des trucs super limite, il était sexuel. Les filles le kiffaient, genre “je fais des jeux cochons avec des filles à peine majeures…Pegi 18”. Que des trucs trash de ouf, et elles se marrent, et l’ambiance rend ça sexuel. Mais 6 mois après, je ne le vois pas sur mon album. Avec du recul, je me dis que c’est une question de méthode. Là en plus je refais des morceaux Rap…

T’es quand même hypra introspectif !
Le Rap c’est un format qui ne me permet pas toujours d’exister à grande échelle. A ce stade de ma vie, je ne suis pas sûr de parler aux plus jeunes, je n’ai pas créé de personnage, j’n’ai pas de filtre, je ne suis pas iconique. Je me dis que de toute façon ça va parler à un public qui a un vécu. “Enfant Lune”, en vrai, c’est moi, c’est Guillaume. C’est une biographie de ces 15 dernières. Le cinéma ne nourrit pas ma musique, si ce n’est dans les clips. Je voulais absolument que mes clips aient un côté ciné, du jeu d’acteur, et il fallait trouver un compromis comme dans “Scanner”. On a voulu être dans l’allégorie, la métaphore. Après c’est le seul parallèle entre ma musique et le cinéma. Le cinéma me sort de ma zone de confort, alors que la musique c’est hyper personnel. Cet album devait être comme il est, il fallait cette première pierre. Je suis davantage fier de l’avoir mené au bout que de son contenant. Il n’y a que 4 à 5 titres qui me tiennent à cœur, sinon je le trouve naïf dans ses thèmes, sans me flageller non plus. En même temps j’y ai laissé tellement d’énergie. A part faire des morceaux pour le kiffe, je sais pas si j’y retournerai tout de suite.

Ils en disaient quoi pendant sa construction tes potes ?
Ils étaient tellement pris par la tournée d’Orel qui était tellement fat. On s’est croisé quelques fois avec Skread qui passait en speed en studio. Il jetait une oreille, il n’avait pas de vue d’ensemble sur le projet, il écoutait un fragment il me donnait son avis et à un moment donné il m’a dit de faire sans lui car il avait l’impression que je savais ou j’allais et que peu importe le résultat il fallait que ce soit moi qui aille au bout. Skread ne voulait pas influer ou casser la dynamique de travail. J’étais tellement buté, borné par mon travail que le simple fait qu’il passe de temps en temps ça m’allait. Mais à chaque fois qu’il passait il mettait le doigt où il fallait sans pour autant faire la direction artistique. Abblaye il s’ambiançait sur mes
morceaux, il sautait partout. Orel qui est toujours super pudique, il a écouté 2-3 trucs, il ne m’aurait pas dit si ça lui avait pas plu mais il aurait quand même dit si c’était pas la bonne direction. Il a kiffé le titre avec Nemir.

Justement ce titre avec Nemir…
C’est pour la team pervers narcissique, c’est ce qui donne naissance à une suite logique. Moi j’ai été très comme ça avec ma relation la plus longue mais elle aussi. Il y a 3 étapes. C’était important pour moi. Dans “Déchiré”, je prends la relation au moment de la rupture, celui où tu es dans l’expectative, tu ne sais pas à quelle sauce on va te bouffer. Il y “Retourne d’où tu viens”, que j’ai vraiment vécu où la nana revient 2 ans après, 2 ans de silence radio, elle me dit “Viens on se voit!”, j’y retourne et on repart pour 1 an et demi. J’n’ai pas le sentiment d’avoir entendu ça avant avec ce point de vue là. “Pour la nuit” c’’est un constat amer, je pose un regard très désabusé sur la relation homme-femme. Pour en revenir à Nemir, il rappe, il chante, il a une sensibilité artistique, il est complet, il ne calcule pas, il est spontané. Je le trouve touchant et fort. On se contacte par Insta, il répond de suite, il veut du son de suite. “On Danse Pas”, il me laisse finir seul, c’est plus mon délire. Et “Jusqu’ou Elle M’Aime”, il a pété un plomb. Il a mis 2 heures et m’a envoyé une maquette qui sera le résultat final. En studio, il m’a appris les harmonies tout ça. C’est une rencontre chanmé, humaine et artistique Nemir! 

Au-delà des relations hommes-femmes, tu parles aussi de ta relation aux drogues!
J’en parle de manière très frontale, je parle de cocaïne, de truc tabou dans le Rap, pour les mecs de tèc, il y a un truc honteux. Dans l’exercice de l’introspection je me dois d’aller au bout, de dire la vérité. Je ne peux pas parler de ça sans être honnête. Comme tout ce que j’ai testé, il a ce côté euphorisant au début et puis ça vire au cauchemar rapidement. Et oui, parler des drogues, c’est un morceau que je voulais absolument garder. Je devais aller au bout du truc. Je pars du principe que, à part sur “Karma” sur lequel j’étais trop provoc’, je ne me mets pas de barrière. Même de manière métaphorique je me dois d’y aller.

“Je reviens de mes guerres sans jamais crier victoire”! Aller au bout de ce projet, ça en est une quand même?C’est un peu moins Sisyphe que d’habitude. A de nombreux endroits de ma vie, j’ai eu souvent ce sentiment de pas vraiment oser, d’être mon propre boulet. Cet album, c’est la 1ere fois de ma vie que j’amène le truc au bout, malgré les doutes, les moments compliqués. Il y avait ce côté à me rendre malade, je suis trop cérébral, je me suis cloisonné, je ne sortais plus, je ne mangeais plus, je ne me connectais plus à mes potes ou dehors. Il a fallu m’user, me vautrer pour aller au bout. Quand ça me choque par l’envie et la curiosité, le temps se distord, et je peux passer 8h à écrire un texte sans m’arrêter. Mais c’est valorisant aussi. Depuis 15 ans on m’en parle… j’ai assez accumulé pour le sortir. Il est ce qu’il est, mais c’est quelque chose ou je reprends mon autonomie, mon indépendance et de ma personne. Maintenant je sais le faire, je peux être chef de troupe. Orel c’est fascinant, il a cette vision de construction de carrière en plusieurs étapes. Il sait se créer ses personnages, ses avatars. Mais je me suis plus pris “Épilogue” que “La Fête est finie”. L’analyse, la musique est mieux, pour moi, avec mes 38 ans. Le mec a un sens de l’observation très fin, une sensibilité qui profite à leur musique. 

Et je voulais terminer avec “Scanner “, que tu as dû faire écouter à tes proches?
Oui, la douane ça devait être mon frère. Il me fallait son avis et si c’était impudique je ne le sortais pas. Ma mère aussi, c’était très important. J’ai montré le clip à mon frère. Mon père m’a appelé il y a 2 semaines (avant cette interview) car des gens lui disaient que je lui en mettais plein la tête sur “Pièces détachées”. Je lui ai expliqué que c’était plus une déclaration qu’un titre vengeur. C’est comme ça quand tu racontes un peu ta vie, il y a des dommages collatéraux que tu ne prévois pas.