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Pess, le rap à l’âme

Originaire de Lyon, établi depuis une dizaine d’années à Clermont-Ferrand, Pess a le rap vissé dans son ADN. Alors qu’il a fait ses classes dans le boom-bap, il n’hésite pas à s’aventurer sur de la trap ou même de la drill. À l’occasion de la sortie de son projet “Caméléon, Acte 2”, intégralement produit par Blizzy, nous avons rencontré ce passionné de hip-hop pour une interview au long cours.

Interview : Dorian Lacour

iHH : Salut Pess, je voudrais dans un premier temps faire un retour sur ta carrière. Tu viens de Lyon, c’est là-bas que tu as fait tes premières armes. Pourrais-tu me raconter tes premières années ? 

Tu parles de “carrière”, ça me fait plaisir, c’est un bien grand mot ! Pour te répondre, je suis né et j’ai grandi à Lyon. J’ai commencé à rapper à 15-16 ans, mais j’ai toujours baigné dans cette musique, grâce à ma grande sœur qui était fan de rap. Elle avait plein de cassettes audio et je les lui piquais quand j’étais gamin. Un jour, je lui ai volé une cassette de Black Moon, “Enta Da Stage”. Je me suis pris une énorme gifle ! Cet album date de 1993, moi je suis né en 1988, donc forcément, je me le suis pris un peu plus tard. Je devais avoir 10-11 ans, quelque chose comme ça. Directement, je me suis dit que je voulais en apprendre davantage sur ce milieu. J’étais très rap US, très new-yorkais : Nas, Mobb Deep, le Wu-Tang, Blaq Poet, etc. Ensuite, j’ai commencé à m’intéresser au rap français. Je me suis pris Lunatic, les premiers albums de Booba. J’étais un grand fan d’Ärsenik : pour moi Lino est le meilleur rappeur français de l’histoire, je n’ai pas peur de le dire. Peu à peu, avec les potes du quartier, comme il y en avait pas mal qui rappaient, on a formé un groupe qui s’appelait Pères d’As. Pendant 5 ou 6 ans, on a écumé l’underground lyonnais, les freestyles, les open mics, on a sorti quelques mixtapes. C’était un peu compliqué d’exposer sa musique à l’époque, avant le streaming. On faisait ça par passion, ce n’était que de la passion.

iHH : Tu as donc fait partie de la scène underground lyonnaise, qui était très dense avec Les Gourmets, L’Animalerie… Quels souvenirs est-ce-que tu gardes de Lyon ? 

J’en garde un excellent souvenir, mais une amertume aussi. Pas envers la scène lyonnaise, mais vis-à-vis du manque de reconnaissance dont on a souffert dans le rap, à ce que je considère comme étant son âge d’or. Aujourd’hui, il y a des gars qui pètent à Lyon : Zeguerre, L’Allemand, Lyonzon… Ils font leur truc et ils sont très forts, mais je trouve que c’était plus constant à l’époque. On tenait la dragée haute à des grosses têtes. Le truc, c’est qu’on était dans une optique de faire les trucs entre nous. On ne se mélangeait pas, et ça nous a fermé à tous beaucoup de portes. Je pense qu’à cette époque, un mec de Lyon qui montait à Paris faire ses trucs, c’était mal vu. Mais sinon, je garde un super souvenir de cette période. Quand Casus Belli a fait son Planète Rap, on était comme des fous. C’était une bonne époque, et puis j’avais entre 16 et 21 ans, je pense que c’est un âge duquel on garde un bon souvenir en général.

iHH : Tu me parles des lyonnais et de cette mentalité. Même s’ils se mélangent énormément désormais, on sent toujours la fierté lyonnaise…

Ça, par contre, tu l’enlèveras jamais ! Ça fait une dizaine d’années que je suis à Clermont-Ferrand, mais là-bas on m’appelle “le lyonnais”. Quand tu grandis à Lyon, comme à Marseille, tu as une identité. Dans le rap, les marseillais ont aussi ce côté-là. Bien sûr, ils ont une histoire plus riche, avec IAM qui leur a ouvert des portes, mais ils continuent de travailler beaucoup entre eux. Regarde “13 Organisé“, c’est exactement ça, ils sont fiers d’où ils viennent. Nous, à Lyon, c’est pareil sauf qu’on n’a pas eu le IAM ou le NTM, on l’a jamais eu. J’ai pas envie de dire qu’on est la cinquième roue du carrosse, mais c’est un peu ça… Quand tu vois OrelSan qui pète de Caen, Gradur de Roubaix, tu peux sortir de n’importe où. Rilès le disait très bien, c’est fini l’époque du directeur artistique qui vient te repérer en concert dans une petite salle. Maintenant, tu fais ton truc dans ta chambre et Internet te donne des ailes. À l’époque, il fallait être poussé par un grand. À Lyon, il n’y avait pas de grosses têtes comme ça.

iHH : Après Lyon, tu déménages à Clermont-Ferrand, qui n’est pas réellement connue comme étant une scène hip-hop dynamique, mais ça ne te freine pas, au contraire, tu te lances en solo. Comment est-ce-que ça s’est fait ? 

C’est marrant que tu me dises ça. La vision que j’avais de Clermont avant d’y arriver, c’était exactement la même que tu as maintenant. On a un peu tendance à dire qu’il y a un “no man’s land” dans le centre de la France, moi le premier je charriais les clermontois. Mais j’ai l’impression que la culture hip-hop qui existe ici subit cet a priori. Il y a une vraie scène à Clermont. Tous les jeudis, il y a des open mics, il y a plein de rappeurs. Ashéo commence à faire son trou. Il y a Illustre aussi, une rappeuse qui est un peu la fierté d’ici, elle est signée chez X-Ray Productions. Il y a vraiment des passionnés de cette musique. Je m’en suis rendu compte quand j’ai du bouger à Clermont. Ça a sonné la fin du groupe Pères d’As, et j’ai fait une grosse pause, parce qu’il fallait que je me concentre sur la construction de ma “vraie vie”. C’est là que j’ai rencontré Blizzy. Il faut savoir qu’à Clermont, ils sont dans une mentalité “ça reste ici et ça sort pas d’ici”. On s’est dit que c’était dommage et qu’on voulait mettre de la lumière sur la ville. En fait, je me suis remis au rap, en solo, parce que j’ai retrouvé une vraie scène, l’ambiance de Lyon quand j’avais 16-17 ans, où t’allais dans un bar et t’entendais un mec lâcher son 16 mesures dans un open mic, avec 30 personnes dans 30 m². Ça m’a remis dedans. Ici, il y a une organisation qui s’appelle La Coopé [La Coopérative de Mai – NDLR], ils sont férus de hip-hop et ils avaient fait venir des têtes, comme Lord Esperanza ou Alkpote. Hatik est venu ici grâce à eux, avant son buzz incroyable de “Validé“. On a Les Trans’Urbaines aussi, ils avaient fait venir Alpha Wann. Je vois comment c’est en ébullition à Clermont, et quand les portes vont s’ouvrir, ça va être la folie. Quand tu parles rap ici, les gens te répondent.

iHH : Quel rôle a joué Blizzy dans ta carrière ? 

On a accroché tout de suite, on est dans le même délire au niveau de la musique. Il voulait monter une structure, BAGADATA, je me suis associé à lui. On a une structure associative, à terme on veut en faire un label. Je lui ai dit : “si tu veux que je sois ton crash test, y a pas de soucis”. Récemment, on a commencé à taffer sur des projets, en 2018-19. J’ai sorti mon projet “4 Saisons[en juin 2019 – NDLR].  Pendant le premier confinement, j’ai sorti un projet qui s’appelle “Présentations“, il est un peu passé à la trappe. Pour te dire, quand je suis arrivé à Clermont, j’ai appelé un pote de Lyon pour savoir s’il y avait des gars chauds ici. Il m’a parlé de Blizzy et notre rencontre m’a vraiment remis le pied à l’étrier. J’allais chez lui, dans son studio, on a commencé à faire un morceau, deux morceaux, puis un projet, deux projets… Si je ne l’avais pas rencontré, je ne sais pas si je n’aurais pas arrêté, avec la direction que prenait ma vie, le côté métro-boulot-dodo. C’est compliqué de gérer une carrière de rappeur, en plus du taf et du rôle de père de famille. C’est Blizzy aussi, quand on a connu des échecs, qui m’a soutenu. Il m’a toujours dit que c’était une course de fond et pas un sprint. Il est très positif, il a joué un rôle important pour moi, c’est certain.

iHH : Tu es encore plus dynamique depuis 2020, avec “Présentations” en mars donc, puis “Caméléon, Acte 1” en juillet. Le confinement t’a donné envie de multiplier les projets ? Ou c’est dû à autre chose ? 

Dans la création artistique, ce n’est pas le confinement qui m’a poussé. J’ai toujours été créatif, à chaque fois que j’avais un moment de libre. En fait en 2018 on a drop le clip de mon morceau “Aromatisé“. On a eu la chance de le tourner chez IKEA à Clermont, ils ont kiffé le délire et ils nous ont laissés clipper là-bas. Les retours étaient très bons, mais on n’a pas eu la visibilité escomptée. Le confinement a eu une part très importante sur cette réflexion, sur comment s’organiser pour gagner en visibilité. J’ai rencontré mon manager, qui tient une structure qui s’appelle Punch Promo. Il gravite avec beaucoup d’artistes et il a une vision très large du business, c’est une personne importante. Le confinement a joué un grand rôle sur notre manière de communiquer. Pas vraiment sur l’écriture et la partie artistique en revanche.

Pess – DR

iHH : Justement, pour parler de “Caméléon”, il faut que tu me décrives le projet… 

C’est un projet qu’on a travaillé vraiment en global. Pour faire simple, ce sont trois mixtapes, produites chacune par un beatmaker différent que j’aime vraiment. L’idée derrière ça, c’est que j’aime le rap dans toute sa largeur. J’ai du mal à me cantonner à un truc. Beaucoup de directeurs artistiques m’ont dit que j’étais trop frivole, mais en tant qu’auditeur, je peux aussi bien kiffer ce que fait Benjamin Epps que le dernier projet de Gazo. Je peux m’enjailler sur un boom-bap comme sur un banger trap. Du coup, les trois beatmakers sont très différents. Yayaonthetrack est très mainstream, il est signé chez Red Nation, il a charbonné et il buzze aujourd’hui, je suis content. Blizzy est incroyable dans le boom-bap. Freaky Joe aime quand sa cogne, et ça se ressent dans “Caméléon, Acte 1“, qu’on a sorti en juillet dernier. On a laissé passer le temps, et l’Acte 2 arrive ce vendredi. Le 3 est prévu pour juin 2021. Le dénominateur commun de ces trois projets, c’est la qualité d’écriture, et l’importance accordée aux thématiques des morceaux.

iHH : Comment s’est fait le choix des beatmakers pour t’accompagner ? 

Déjà, ce sont des gens que je connais, ça aide. Blizzy et Yaya sont deux très bons amis. Freaky Joe, je le connais surtout par son travail, on a une relation professionnelle, mais je l’apprécie beaucoup. Je les ai sélectionnés parce que leur travail me parle, et parce que ça collait complètement avec le projet de faire trois mixtapes avec trois univers différents. Je sais que même s’ils se connaissent et tout, ils ne font pas ce que les autres font. Blizzy ne va pas faire du Yaya, et vice versa. Ce qui m’a fait les choisir c’est justement ça, ce sont trois gars qui excellent chacun dans un domaine. Ça permet de proposer trois couleurs différentes. À la base, j’avais même prévu quatre actes. Le quatrième devait être fait par Exiley Dahomé, dans des sonorités très chill, un peu à la J-Dilla. Ça ne s’est pas fait à cause du confinement, mais c’était mon ambition de sélectionner des beatmakers capables de faire n’importe quel style. J’ai été élevé aux open mics, ça te balance une prod°, il faut que tu la découpes. Que ce soit une zumba, de la trap, du boom-bap, il faut montrer que t’es le meilleur au micro. C’est avec cette mentalité que j’ai construit le projet.

iHH : Ton dernier single, “Jeunesse”, donne le ton de l’Acte 2 de “Caméléon”. C’est du boom-bap, un coup d’œil dans le rétro de ta carrière… C’est important pour toi de proposer ça ? 

Oui, c’est important. Quand j’ai mis le clip en ligne, y a un gars qui m’a dit “surtout change pas ton style”, je lui ai dit “j’aime bien explorer différentes choses, mais ça, c’est la base”. C’est ce qui m’a fait aimer le rap, c’est toujours le style auquel je serais le plus attaché. Chasse le naturel, il revient au galop. Le boom-bap, c’était un peu la bande-originale de ma vie, à un moment fou. Je trouve qu’il y a des choses qui existent dans ce style qu’on a perdues aujourd’hui. La qualité d’écriture, les assonances, les allitérations. Je sais que des fois j’ai appris des choses avec le rap. Maintenant, on est beaucoup plus dans l’enrobage, dans la forme, que dans le fond. Les consommateurs de rap sont dans un autre délire, c’est une autre génération aussi.

iHH : Un regard sur cette nouvelle génération justement, qui truste le haut de l’affiche ? 

Je suis heureux, ce sont des gars qui viennent des mêmes endroits que moi et qui réussissent. Ça me fait plaisir, que j’apprécie ou pas leur musique. Le rap, c’est la musique la plus écoutée en France, il y a une exposition qu’on avait pas à l’époque. Quand dans un morceau je dis : “j’emmerde le rap et sa régression”, c’est juste par rapport à la technicité. Parce que le rap a gagné aujourd’hui, il est n° 1 partout. Forcément, ça me fait plaisir. En revanche, j’ai du mal à trouver, surtout dans les grands médias, un rap qui me plaît. Je sens quand même qu’il y a une vague qui revient, qui met un coup de pied dans la fourmilière. Quand tu vois un gars comme Alpha Wann, qui est pour moi le meilleur rappeur actuellement, en terme d’écriture, de kickage, c’est superbe. Il n’y a pas un seul de ses textes où je me suis dit pas dit : “putain j’aurais aimé l’écrire !” Il a fait disque d’or, sa dernière mixtape a très bien marché. Je me dis que les gens en ont peut-être marre de la zumba. Toutes les musiques sont passées par cette phase, le rock notamment. Le rap ne passera pas à côté de ça. Un mec comme Benjamin Epps, qui crée un vrai mouvement, tu te dis qu’entre 2005 et 2010, il serait passé inaperçu. Freeze Corleone, c’est pareil, en terme de qualité d’écriture, de technique, il est monstrueux. En plus, il est ultra-cultivé, les images et les références qu’il balance, c’est ça que j’aime, quand bien même le style est très actuel, ce n’est pas du boom-bap. Mais de toute façon, la musique c’est un mood. Quand je suis en soirée khapta avec mes potes, je n’ai pas forcément envie de me focus sur les paroles d’Alpha Wann, il vaut mieux mettre du Niska. Après, je me demande aussi qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier. Est-ce-que le public réclame de la merde parce qu’on leur en propose ou est-ce que les radios proposent de la merde parce que le public leur en réclame ? Faut comprendre que c’est un business. Un gars comme Jul, qui est un putain de rappeur, il a trouvé une formule qui marche et qui fait vendre. Comment tu veux lui en vouloir ?

iHH : Tu gardes une particularité, propre aux rappeurs de ta génération et qu’on ne retrouve plus réellement aujourd’hui, ce sont les morceaux à thème. Par exemple, dans “ULTRA”, le dernier album de Booba…

Tu fais bien de parler de Booba, parce que c’est de lui que vient le rap sans thème je pense. Avant “Temps mort“, tout le monde faisait ça, ensuite ça a changé. Comme il le dit lui-même, c’est un puzzle de pensées, et il a tellement d’influence que c’est devenu la norme. Pour moi, c’est plus difficile de faire un morceau qui part dans tous les sens. Je n’ai pas appris comme ça. Quand je rappais au collège, on le cachait, ce n’était pas la tendance. Aujourd’hui, tout le monde veut être rappeur, tous les petits veulent faire ça, parce que c’est à la mode. Le truc, c’est que pour le faire vite, c’est plus simple de faire un morceau sans thème. Si tu choisis un thème, ça réduit ton champs lexical. Si tu veux rendre le rap accessible à beaucoup de gens, c’est plus facile de ne pas en choisir. Tu peux faire rimer n’importe quel mot avec n’importe quel autre. Rapper sur un beat trap aussi, c’est beaucoup plus simple que sur un boom-bap, où il faut des respirations, des placements. Dans la trap, tu as tellement de temps, tu peux dropper et reprendre ton couplet, les prod° le permettent. Sur du boom-bap, si tu fais ça, l’ingé son, il sue. Ça me fait rire, quand j’enregistre un morceau en one shot avec les petits, ils sont toujours impressionnés.

iHH : En parlant des petits, pour eux le rap est devenu le nouvel Eldorado… 

C’est vrai, je le vois avec les petits de l’atelier que je gère. Ils pensent que péter ou percer, c’est simple. Je pense que les réseaux sociaux et les médias jouent là-dedans. Les petits ont vu arriver Ninho de nulle part, mais avant qu’il pète, il faisait des morceaux où il n’y avait presque aucune vue… Pendant des années il a galéré. Freeze Corleone, c’est pareil, mais la façon dont ils ont été médiatisés d’un coup fait croire que c’est venu directement. Les petits se disent qu’en un son tu peux péter. Ils pensent que ça va être simple, parce qu’on ne se concentre pas sur la galère avant l’explosion des rappeurs. Il y a aussi le fait que ce soit plus simple de faire du rap. Je philosophe un peu, mais ça me ramène à l’histoire de la condition humaine. Dès qu’il y a une avancée qui pourrait être incroyable, l’humain fait forcément de la merde avec. Avant, par exemple, quand on allait en session studio, ça coûtait cher et c’était tarifé à l’heure. En arrivant, il fallait que tu connaisses ton texte par cœur. Aujourd’hui, les mecs sont dans leur chambre et ils font ça quand ils veulent. Après, tu les mets sur scène et ils n’arrivent pas à tenir leurs textes, ou ils les oublient…

Pess – DR

iHH : Et toi, dans quel style de rap est-ce-que tu te sens le plus à l’aise ? 

Je me sens à l’aise dans un peu tout. Beaucoup te diront que ma zone de confort ça reste le boom-bap, mais j’ai fait des sons trap sur l’Acte 1 : “Pour De Vrai” et “Akashi“, où je trouve que je ne suis pas dégueulasse du tout. Il suffit que la prod° me prenne et je peux être à l’aise. Mais en vrai, ça a été dur de me mettre à la trap. Il a fallu que je réapprenne, et comme j’étais plus vieux, forcément c’était plus compliqué. Ça m’arrive quand on fait des sessions avec des gars de taper des freestyles sur de la drill. Après, quand tu regardes, en terme de BPM, la drill c’est du 140. Ça a toujours été ma zone de confort dans la trap, entre 140 et 150 BPM. Quand les BPM sont plus rapides, c’est facile d’écrire, quand ils sont plus lents, tu dois jouer sur les adlibs, les mélos, ce n’est pas simple pour moi. Sur l’Acte 3, Yaya m’a énormément challengé. Il m’a poussé le plus possible dans mes retranchements, avec des toplines, beaucoup d’AutoTune, des mélodies. Je dirais que ce sont les morceaux les plus simples à écrire, mais pas à construire. C’est pour ça que j’ai beaucoup de respect pour ceux qui font du mainstream. Je ne peux pas porter un jugement sur quelque chose sans l’avoir essayé. Maintenant que j’ai essayé, je peux te dire que pour quelqu’un d’une école qui s’est basée sur l’écriture, construire un morceau mainstream, c’est très dur. Tu le vois, il y a beaucoup d’anciens qui n’ont pas réussi à accrocher le wagon. Booba est très fort pour ça, mais Akhenaton ou Shurik’n, je les vois mal sur un son autotuné et topliné. Les petits qui grandissent avec ça, ils te trouvent la topline direct, c’est facile pour eux. C’est une manière de travailler complètement différente. Avant de faire l’Acte 3, ça ne m’avait jamais traversé l’esprit de faire la topline d’un morceau en yaourt. Pour moi, qui n’ai pas appris à faire ça, c’était compliqué au début. Je pense que c’est une question d’habitude. Je dis toujours aux petits que le rap c’est un sport : plus tu pratiques, meilleur tu es.

iHH : Pour parler de tes goûts, tu pourrais me donner quelques artistes qui t’ont influencé ou qui t’influencent encore ? 

Quand j’ai commencé, le Wu-Tang Clan m’a matrixé de ouf. En France, je peux pas départager Lino et Booba. Mais je te parle du Booba de Lunatic et de “Temps Mort”. C’était juste un OVNI, en terme d’écriture il était vraiment trop fort. Aujourd’hui, en rap US, je dirais toute la clique Griselda : Conway The Machine, Benny The Butcher, Westside Gunn… En mainstream, j’aime bien ce que fait DaBaby. Dans le rap français c’est Alpha Wann, et aussi Jewel Usain, qui fait un peu parler de lui, il a une vibe de fou. Ninho aussi je respecte fort, c’est pas ce que j’écoute le plus, mais c’est bien fait, c’est authentique. C’est un hitmaker, tout ce qu’il touche devient de l’or. PLK, je le trouve très fort. Kalash Criminel aussi : j’aime pas forcément son écriture, mais ce qu’il dégage, je valide très très fort. Je n’ai jamais écouté que du rap, et je pense que ça ouvre les perspectives. Je kiffe le rap, c’est ma musique de prédilection, mais quand j’étais gamin, System Of A Down m’a matrixé, Nirvana aussi. En France, on met des étiquettes, et le public a du mal dès qu’on sort du cadre. Si Freeze Corleone fait un morceau qui ne ressemble pas à sa recette habituelle, ça va mal réagir. Aux États-Unis, ils n’ont pas cette mentalité. Des gars comme Nas, Jadakiss ou Fabolous ont fait des sons ultra-mainstream et à côté des trucs ultra-streets. Ça n’a posé de problème à personne.

iHH : Tu dis, dans ton morceau “Sortir Par Le Toit” : “sur le sens de la vie j’réfléchis plus qu’un thésard”. C’est un peu le grand mal des artistes ça j’ai l’impression… 

Je sais pas ! Je suis pas sûr qu’un gars comme Koba LaD se questionne sur le sens de la vie. Il en profite plutôt, et il a bien raison. Mais je sais que moi, c’est un de mes grands maux, ma femme pourrait t’en parler. Je réfléchis beaucoup, j’ai une vision plutôt pessimiste de ce qu’on va devenir. Je ne sais pas si c’est le propre de tous les artistes, mais perso je me suis toujours posé énormément de questions. Pess, ça vient du diminutif de pessimiste. À l’époque déjà, j’avais cette propension à me demander ce qu’allait être mon avenir, et j’en avais pas une vision très jolie. Dieu merci, je me suis complètement trompé. Aujourd’hui, c’est plus existentiel, maintenant que je suis père, je pense à mes enfants. Des fois, ma femme me dis : “mais arrête de réfléchir, vis !” C’est pour ça qu’être entouré de gens qui n’ont pas la même mentalité que moi, comme Yaya, ça me fait du bien.

iHH : Tu y as un peu fait allusion, mais tu pourrais revenir sur BAGADATA, me dire ce que ça t’apporte ?

Aujourd’hui, ça rapporte pas grand chose, c’est pas Mal Luné, mais c’est une structure qu’on pousse en parallèle de nous. On est encore une petite association. Je pense que pour vraiment se définir comme un label il faut avoir les moyens de produire plusieurs artistes. On a pas cette force actuellement, mais petit à petit on fait notre truc. L’idée, c’est de créer un fonds de roulement, pour réinvestir ce qu’on gagne dans la musique dans d’autres projets. On souhaite vraiment produire d’autres artistes, comme Karamba, qui fait mon playback dans le clip de “Jeunesse”. Il a 14 ans et il est chaud, vraiment chaud. Ça me ferait plaisir de pouvoir le produire parce qu’il est vraiment très bon. C’est toujours pareil, en terme de légitimé, c’est compliqué sans background. Il faut qu’on montre de quoi on est capables avec moi, et ensuite on pourra être pris au sérieux. On travaille fort pour que ça porte ses fruits, on se fait notre nom pas à pas.

iHH : Donc là, “Caméléon, Acte 2” est sorti, et dans un univers plus old school que l’Acte 1. Comment est-ce-que tu pourrais donner envie à nos lecteurs d’aller l’écouter ?

Si on avait la réponse à cette question, on ferait des scores de batards ! En vrai, ça dépend la personne à qui je m’adresse. Un petit jeune matrixé par les sons d’aujourd’hui, je lui dirais que pour connaitre le présent et l’avenir, il faut connaitre l’histoire de ce qu’on écoute. “Caméléon, Acte 2”, c’est un retour aux sources qui te permettra de comprendre ce que le rap est devenu. Si je parle à un puriste, je lui dirais : “frère, on a tellement rien à se mettre sous la dent, t’es obligé d’aller écouter ça, fonce !Pour un plus large public, je dirais simplement que c’est de la musique de passionnés. On sait très bien que ça ne va pas être un projet top stream ou joué de ouf en radio. Mais c’est un truc fait par amour de cette putain de musique. À partir du moment où quelque chose est fait avec le cœur, c’est bon. Pour la globalité de “Caméléon”, peu importe ce que tu kiffes dans le rap, tu trouveras forcément ton compte. 


Vous pouvez écouter “Caméléon, Acte 2” de Pess juste ici :