Ce vendredi sort “Pass The Torch”, le nouveau projet de Manast LL’ en collaboration avec le duo de beatmakers Satyvah (Astronote et Aayhasis). Fruit d’un travail long de plus d’un an, cet EP révèle toute la palette de l’artiste qui, bien qu’il soit français, a fait le choix de rapper en anglais. iHH
Interview : Dorian Lacour
Salut Manast ! Parle-moi de toi, tu as commencé à rapper au lycée, mais quand est-ce-que tu t’es dit que le rap allait devenir ton métier ?
Pour être exact j’ai commencé à faire du son avant. J’étais vraiment bercé par tout ce qui est south, j’écoutais Mike Jones, Lil Wayne, Slim Thug, je prenais les instrus et je rappais les paroles d’un autre rappeur dessus. C’était la “première phase” quand j’étais gamin et que je kiffais juste. Après il y a eu la “deuxième phase” au lycée, où je me suis rendu compte que comme étant timide la musique me permettait d’être plus populaire, je faisais un peu ça pour plaire, être cool… Je crois que c’est entre 2011 et 2012, j’ai fait un EP avec un beatmaker de Blois qui s’appelle NUDE, on a fait tout un projet ensemble. Ça devait être entre 7 et 12 titres, et c’est à ce moment que je me suis dit “ok c’est maintenant, je pense que je peux vraiment faire ça, j’en suis capable !” En même temps à ce moment-là Astronote et Aayhasis m’ont donné de la force. On s’est rencontrés dans des soirées où étaient invités plein de DJs, Don Rimini, Boys Noize, Kavinsky… J’ai rencontré plein de gens grâce à ces soirées, j’avais 17 peut-être 18 ans. Moi qui écoutais déjà du Ab-Soul sans savoir que Aayhasis avait placé pour lui, je me suis dit c’est fou. Ces gars-là me poussent, j’ai fait des sons avec eux en 2014 et je me suis dit que j’avais vraiment envie de faire ça. En 2015 j’ai signé, je me suis dit “ça va être long, ça va être dur mais le chemin que j’emprunte est le bon”. J’ai bougé sur Paris, c’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais en faire mon métier.
Ça fait plusieurs années que tu es dans le rap, qu’est-ce-que tu recherches avec ce nouvel EP, “Pass The Torch” ?
Franchement, c’est très très deep parce que ça fait depuis novembre 2018 qu’on le taffe. C’est un projet qui s’est fait sur la longueur. C’est important parce que ça permet de se rendre compte si les sons sont intemporels ou pas. Ça a été un travail de longue haleine, j’ai autant évolué musicalement que mentalement avec ce projet, c’est pour ça que tu as plein d’émotions différentes dedans. “How Do You Love Me” c’est une déclaration d’amour à ma fiancée avec qui je suis depuis près d’un an, alors que “Past Midnight” je l’ai écrit avant de la rencontrer, c’est plus turn up, plus festif, ça parle de soirées… Avec Aayhasis et Astronote on a voulu transmette de la culture et du savoir entre plusieurs générations parce que moi je regarde avec des yeux émerveillés leur travail et eux m’ont dit que je leur apportais des trucs. On “pass the torch”, c’est un échange culturel et artistique.
Tu dis que tu travailles sur “Pass The Torch” depuis 2018. Raconte-moi la conception de ce projet ?
Au début on faisait les sessions le jeudi soir, quand je suis arrivé j’étais pas dans une bonne phase de ma vie, j’avais perdu la mentalité, j’arrivais plus à voir la musique comme une passion. Quand tu commences à penser comme ça c’est très mauvais pour la créativité. Quand j’étais petit je jouais au basket avec des tresses, je voulais ressembler aux rappeurs, j’avais cet esprit de passionné duquel je m’étais éloigné parce que je voulais faire de l’argent. L’argent c’est omniprésent, si t’en as pas t’es rien. C’est vrai que ça aide, si tu veux payer tes clips, tes masters. C’est essentiel mais c’est pas ce qui va te rendre heureux, j’suis super heureux dans ma vie entouré de gens que j’aime, on peut être heureux sans être riche. C’est aussi parce qu’à cette période j’ai recommencé à bosser. Ça m’a permis d’être plus équilibré, j’avais moins de temps pour aller au studio donc je donnais mon maximum. C’est un projet qui m’a fait grandir, vers la fin [le dernier morceau enregistré est “Bullshit” – NDLR] ça allait tout seul alors qu’au début c’était très formel. On y allait et on faisait juste de la musique, alors que pour les dernières sessions on devait discuter pendant trois heures et faire du son les deux heures restantes. C’est fou le changement qu’il y a eu.
Tu t’es placé dans un secteur “de niche”, celui des rappeurs français qui rappent en anglais. Ce n’est pas compliqué de se faire un nom sur la scène francophone en kickant en anglais ?
Si, parce qu’il y a la barrière de la langue et peut-être le manque de curiosité de certains français. Après, je pars du principe que je fais de la musique avant tout pour moi, même s’il y a un public derrière, des gens qui attendent les projets, qui voient les évolutions. Ça ne me dérange pas, ça peut être frustrant, mais c’est plus de me dire que ma musique est vraiment chaude et qu’elle n’a pas plus de visibilité qui m’embête. C’est chiant que pas plus de monde ne puisse l’écouter, mais j’accepte la situation telle qu’elle est, je ne suis plus frustré. Puis au final tu touches plus de personnes parce que même si aux États-Unis ils écoutent du rap français, ils ne vont pas forcément kiffer les paroles. Alors que quand je vais à Los Angeles ou New York les gars me disent “t’es chaud parce que tu parles de choses qu’on a pas l’habitude d’entendre et tu les dis d’une autre façon, sans pour autant que ce soit faux.” Dans mon vocabulaire il y a en fait beaucoup de vocabulaires qui se mélangent, du slang de New York, Los Angeles, Atlanta, et en plus je n’ai pas d’accent. J’essaye pas de copier qui que ce soit, moi ça me plait d’être Français et de poser en anglais, que ça ouvre la porte pour ceux qui n’oseraient pas.
Et sur la scène anglophone, ça marche ?
Tu vois aujourd’hui [le 6 mai – NDLR] il y a une radio, The Pit, qui a fait une review de “Past Midnight“, une vidéo filmée où ils donnent leur avis sur le morceau. Moi je le vois aussi au niveau de mes écoutes sur les plateformes, j’ai autant d’écoutes aux États-Unis, au Canada, en Angleterre, qu’en France… Avant avec Kitsuné j’avais pas mal d’écoutes en Asie aussi, mais maintenant je suis bien écouté dans le monde anglophone.
Revenons à “Pass The Torch”, tu es en collaboration avec le duo de producteurs Satyvah (Astronote & Aayhasis). Ils ont apporté quoi au projet ?
Ils font toute la musique. C’est arrivé qu’ils m’aident pour d’autres trucs, surtout Aayhasis qui m’a guidé sur 2-3 sons, des mélodies, des backs, les intonations… Aayhasis et Astronote sont artistes autant que beatmakers. Ils ont une direction artistique qui leur est propre, je sais que leurs intrus c’est celles sur lesquelles je préfère poser. J’ai la chance de bosser avec eux, c’est une bénédiction !
Ils ont aussi collaboré avec des pointures du rap US (Snoop Dogg, Kendrick Lamar, Ab-Soul…), ça fait quoi de passer après tous ces grands noms ?
C’est un honneur, je me sens privilégie. Eux ne sont pas fermés, c’est des gars qui marchent au feeling, ils vont bosser avec toi s’ils te kiffent. Mais c’est vrai que quand tu connais leur palmarès tu te sens privilégié. Ce sont des gens de goût qui font ça par passion depuis des années.
Tu qualifies ta musique d’”Alternative LL”, concrètement qu’est-ce-que ça veut dire ?
LL c’est mon mantra, ça veut dire “Live Love”, pour rester dans une positivité. Ça ne veut pas dire que je suis le Dalaï Lama ! J’insulte, je suis très orgueilleux, mais ce que je veux dire c’est d’être positif, de se comporter correctement avec les personnes qu’on aime et qui nous aiment, c’est ma façon de fonctionner. LL ça englobe mon univers musical et humain. Alternative… parce que si tu écoutes un projet comme “Pass The Torch“, ce n’est pas “All of a Sudden” [un EP de Manast LL’ sorti en juin 2018 – NDLR]. Ce ne seront jamais les mêmes sonorités, j’aime bien être versatile, je ressens l’envie d’expérimenter. Un son un peu west coast, plus Atlanta, plus boom-bap, je ne me mets pas de limite. Après j’ai quand même mes beatmakers de prédilection, Alstrolabe, Satyvah, Blasé, Denzel Macintosh… qui représentent mon univers, l’univers LL.
Où est-ce que tu vas piocher tes inspirations musicales ?
J’écoute vraiment beaucoup de rap, je peux écouter des sons plus calmes comme James Blake, Charlotte Dos Santos, Abra, ça reste R&B soul. Mais ce qui m’a principalement inspiré c’est toute la scène west coast, Larry June, Jay Worthy, la Shoreline Mafia… Ça se ressent dans le projet qui a une vibe très très west coast. J’aime tous les styles de rap, d’Atlanta, de Saint-Louis, de New York, de Chicago… Mais celui que je kiffe le plus c’est la west coast, ensoleillé et vraiment chill.
Parlons des invités qu’on retrouve sur “Pass The Torch”. Déjà il y a Rizzy Wallace sur “Sleepwalking”, tu étais présent sur son dernier projet “4EIGN”, elle s’est faite comment la connexion entre vous ?
Elle s’est faite en 2016, il voulait faire un remix de “At Night” en feat avec HAUTE et Astrolabe Music. Il m’a contacté et il me semble qu’il a fait un son sur lequel il m’a invité puis finalement c’est moi qui l’ai sorti, il s’appelle “Fucked Up“. C’est comme mon petit frère, dès que j’ai un son je pense à lui. Par exemple sur “Sleepwalking” j’ai fait mes deux couplets, puis j’ai fait 3-4 refrains et je n’y arrivais pas du tout. Donc je lui ai dit “j’ai ce son là ja galère, tu peux placer un refrain ?” et dans la journée il m’a envoyé ça.
Il y a également G Perico qui s’est fait un petit nom dans la G-Funk et le gangsta rap californien ces dernières années. Vous êtes ensemble sur le son “Past Midnight”, très slow tempo, comment avez-vous pensé à ce son ?
On l’a fait avec Astronote et Aayhasis quand j’étais dans une ambiance festive, vu le sujet dont je parle j’avais du faire une soirée ! Pour certains sons j’ai donné des références mais celui-là on l’a vraiment fait en partant de zéro. Un son où on s’ambiance, où on peut avoir des paroles crues. Je voulais bosser avec G Perico depuis 4-5 ans, je lui avais déjà envoyé un message pour connaitre son tarif. Je lui ai envoyé le morceau “Past Midnight“, son manager a kiffé, il est entré en studio, il a posé dessus. Et puis on a pu tourner le clip avec G Perico. En fait on était à Los Angeles et je suis allé à son shop. Il était pas là mais j’ai croisé un gars à lui, je lui ai parlé du morceau et je lui ait qu’il fallait qu’on fasse un clip. Le gars m’a envoyé un message quelques heures après, il m’a dit “ouais le son il est trop chaud faut que vous fassiez le clip !” Évidemment comme c’est des cainris il fallait khalass mais vu que c’est un business j’accepte. G Perico en fait je le paye pour un “service” mais cet investissement je le récupère dans deux ou trois ans grâce aux streams. Il y a l’aspect business qu’il ne faut pas négliger, je sais qu’en France on ne fonctionne pas vraiment comme ça, mais je pense que c’est important.
Vous avez tourné le clip de “Past Midnight” à Los Angeles, raconte-moi cette expérience…
On s’est mis d’accord avec son pote mais je n’ai pas eu de nouvelles pendant deux jours. À un moment donné on était à Malibu et je reçois un message où il me dit “rendez-vous à telle heure au Royal Viking Motel”. On y est allés, il sont arrivés cinq minutes après, ça a été fluide, on a bien rigolé. Ce qui est cool avec les cainris c’est qu’ils sont très pros, si y a un truc à faire et qu’ils s’y retrouvent ils ne vont pas rechigner alors que je trouve que nous les Français on rechigne beaucoup. On se plaint, on juge un peu vite… Ce morceau on l’a fait vers mars-avril 2019, ensuite je suis allé à Los Angeles, on a tourné le clip et on l’a sorti le 3 avril 2020, un an après que le son ait été fait.
Tu as convié Anna Majidson (du duo HAUTE), sur le titre “How Do You Love Me”. C’était important d’avoir une voix chantée sur l’EP ?
Ouais parce que c’est un son d’amour et je trouve que l’amour c’est vraiment beau quand tu le chantes. Je trouvais ça sympa d’avoir une voix chantée mais j’ai pas vraiment d’explication, c’est juste que c’est un son R&B. Ce qui était vraiment important pour moi par contre c’était qu’Anna l’interprète. Je voulais qu’il y ai cette double vision femme-homme. Elle elle parle d’une relation compliquée dans laquelle son mec n’arrive pas à se comporter comme un homme. Moi c’est plus une déclaration d’amour. Et puis il y a le refrain qui est plus conscient, parce que je pense qu’on traverse tous ces moments où on voudrait être aimés par les gens de la même façon dont nous on les aime. Je voulais que ce son ait une rondeur et qu’il sonne universel. C’est plus qu’un son R&B lover traditionnel.
Enfin, on peut retrouver Gracy Hopkins, qui est dans le même registre que toi, sur une instru très west coast 90’s (“Bullshit”). J’imagine que ça a été facile pour vous de vous entendre en studio ?
Malheureusement on n’a pas pu le faire en studio. On a déjà été en studio ensemble mais pas pour ce son là, parce que le planning ne s’y prêtait pas. Mais ça a été easy. Initialement il avait juste posé son couplet, je lui ai renvoyé il y a quelques semaines la version mixée et masterisée, puis il a rajouté des voix dans le bridge et à la fin, il a fait des petits arrangements de dernière minute magnifiques. On s’entend super bien, c’est super fluide entre nous.
Je voulais aussi revenir sur le son “Martin Lawrence”, comment tu as eu cette idée ? Avoue, c’était quand “Bad Boys 3” est sorti !
Même pas ! Le son on l’a fait en 2019, j’ai toujours été fan de Martin Lawrence, c’est un des meilleurs. Je pense que mes deux humoristes préférés sont Dave Chappelle et Martin Lawrence. L’idée elle est venue juste parce que j’adore ce gars. Que le film sorte presque en même temps que mon projet [le 22 janvier 2020 – NDLR] c’est marrant parce que je fonctionne vachement comme ça. Je le dis dans ma musique : “everything’s aligned” dans le sens où les choses sont alignées, je crois en la loi de l’attraction de l’univers, les choses arrivent quand elles doivent arriver.
Alors dis-moi, ce que tu cherches au fond c’est à conquérir la scène américaine ?
Le marché mondial, je veux vraiment que ma musique elle parle à tous. Mais c’est marrant, des fois je regarde mes écoutes et je vois que j’ai quatre écoutes au Kazakhstan. Je suis écouté dans 80 pays, je me dis que c’est une dinguerie. Il y a un mec qui est à je sais pas combien de kilomètres de chez moi et il écoute ma musique. Évidement le marché américain c’est un objectif, mais pas que les États-Unis, le monde de manière générale, et une fois que ça aura bien marché mettre une petite gifles aux Français qui n’y croyaient pas… Je suis très taquin, ça veut dire que si les gens ne me prennent pas au sérieux ou font semblant de ne pas me voir, c’est important pour nous de leur donner tort.
Si tu devais donner envie à nos lecteurs d’écouter “Pass The Torch”, tu leur dirais quoi ?
Mettez vous dans votre jardin avec un transat. Si vous fumez, un petit joint de weed, un jus d’oranges pressées. Le mieux c’est que la journée soit ensoleillée, avec les petites lunette de soleil, un 27-28°C. Met-toi bien.
Et maintenant, qu’est-ce-qu’on peut attendre de toi ?
D’autres clips, ça c’est sur. D’autres surprises, et pour les dates moi je suis hyper chaud. J’espère déjà que la situation actuelle va s’améliorer et que ce sera plus simple cet été ou à la rentrée, après ça va dépendre de qui veut faire tourner Manast LL’ !