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Limsa d’Aulnay, la next big thing de la 75e Session

Cover de "Logique, Pt. 1" de Limsa d'Aulnay, par Ura (@uraonvision)

Si vous êtes amateur de rap, vous connaissez certainement déjà Limsa d’Aulnay. Celui qui s’est fait un nom en écumant les sessions freestyles compte bien prendre une toute nouvelle ampleur en 2020. Avec un très solide bagage technique et le soutien de la 75e Session, dont il est membre depuis 2013, Limsa a toutes les cartes en main pour exploser aux yeux du grand public. Il a pris de son temps pour discuter avec iHH MAGAZiNE de la technique dans le rap, de ses influences et aussi bien sûr de “Logique, Pt. 1”, son EP sorti le 3 juillet dernier. 

Interview : Dorian Lacour

iHH : Ça fait plusieurs années que tu es dans le rap, mais on sent, et tu le dis toi-même, que 2020 est l’année de l’éclosion pour toi. Comment est-ce-que ça s’est décidé ?

C’est l’année où je me suis agité, où j’ai commencé à sortir des sons régulièrement. En mars y a eu la Grünt #42. Trois mois après, j’ai envoyé un cinq titres avec “Logique, Pt. 1“. Pendant le confinement, j’ai envoyé des trucs sur Instagram. J’ai fait plus en 2020 que dans toute ma carrière. 

iHH : Et ça s’est fait naturellement ?

Oui complètement, parce qu’à un moment, je me suis dit : “est-ce-qu’il faudrait pas que j’arrête plutôt que de faire semblant d’être là ?” Mais au final, non, j’ai sorti un projet. Je ne suis plus seulement un mec connu pour les freestyles. 

iHH : Tu viens de le dire, le public rap t’a découvert via les freestyles. C’était important pour toi d’entrer dans le rap par cette porte ?

Ce n’était pas un objectif, ce n’était pas voulu, je ne me suis pas dit que je n’allais faire que des freestyles. Mais comme je ne sortais pas de sons alors que j’écrivais beaucoup, ça me permettait de balancer mes textes. Mais ce n’était pas du tout un calcul, ça s’est fait comme ça, je ne regrette rien. Par exemple, le premier freestyle où j’apparais, c’est la Grünt #11 de Georgio. À cette époque-là, je n’avais jamais fait de morceau, je posais juste des couplets avec mes potes. J’étais bien plus avancé dans mon processus de freestyler que dans mon processus d’artiste. 

iHH : Tu es un enfant du rap, on le voit dans tes choix de prod° et dans tes inspirations. Si tu devais citer les rappeurs qui ont construit ta culture rap, tu penserais à qui ?

Quand j’étais plus jeune, mes professeurs de rap étaient Salif, Nubi et Hifi. J’ai énormément écouté Hifi. Booba et Rohff aussi évidement. En cainris j’ai eu mes périodes, très jeune j’écoutais Nas, DMX, Mobb Deep. Ensuite j’ai commencé à écouter ce qu’il se passait ailleurs qu’à New York et quand j’ai découvert Lil Wayne, je me suis ouvert au monde. En ce moment, j’écoute toujours aussi beaucoup de rap, j’aime énormément $ha Hef et Mach-Hommy. En francophone, j’adore Naps et Isha. J’essaye de ne pas parler des copains parce que sinon je pourrais te citer Sopico et Georgio directement. Je suis arrivé à un âge où je m’en fous de l’avis des gens. Je n’ai aucun scrupule à ne pas écouter quelqu’un qui rappe bien et à écouter quelqu’un qui rappe mal. Il y a des rappeurs mauvais qui font des morceaux grave forts, et vice versa, donc j’écoute vraiment ce que j’ai envie d’écouter, sans me soucier de ce que les gens pensent. 

iHH :  Tu es membre de la 75e Session qui est considérée par beaucoup comme une pépinière de talent. Être entouré de tous ces gars-là au quotidien en studio, ça fait quoi ?

Franchement, ça a été une rencontre déterminante en terme de rap et humainement. Ce sont des mecs que j’ai rencontrés via Georgio en fait. Ce qui est drôle, c’est qu’on en parlait il y a quelques jours, et t’as Vesti qui dit : “mais c’est Georgio qui m’a ramené !”, Sopico pareil, moi pareil. Cette équipe-là de la 75e, c’est plus ou moins lui qui nous a connectés. On est devenus vite amis, on s’est très bien entendus, on s’est tous validés. Quand j’arrive en 2013, il y a Sopico, Vesti, Sheldon, les mecs du Bohemian Club [Orus, Waltmann, Zoonard et le beatmaker Goomar – NDLR], et même si on est une équipe, on a des styles de rap qui ne sont pas similaires. On voulait faire un projet commun à une époque, mais on s’est rendu compte qu’on était archi différents, même si on s’apprécie tous. Plus globalement, c’est cool de tomber sur des mecs grave forts. Ça a été super enrichissant pour moi. 

iHH : Justement, la 75e Session a été un accélérateur de particules pour pas mal de rappeurs. Je pense à Georgio ou à Lomepal par exemple. Tu espères être le prochain sur la liste ?

Bien sûr ! J’aurais très bien pu rester un rappeur underground d’Aulnay pendant 10 ans, un mec chaud que seuls les mecs de son quartier connaissent et valident. Mais là, quand Georgio sort un projet, il y a un Planète Rap auquel je suis invité, pareil pour les Grünt… Il y a Sopico aussi, ça m’incite à faire plus d’efforts. 

iHH : Avec ton projet “Logique, Pt. 1”, tu poses les bases. Vu la longueur du projet et son titre, on se doute que ce n’est que le début. Qu’est-ce-que tu avais envie de proposer avec cet EP ?

J’avais envie de proposer ce que je suis capable de faire. Je sais qu’il y a des gens qui s’attendaient à un projet de freestyler, mais moi, je voulais vraiment un gros projet d’artiste. Ma première ambition quand j’ai commencé le rap, c’était de trouver une phase qui fait réagir. J’ai trouvé ma recette et ensuite, à partir de là, je me suis dit qu’il fallait faire un bon couplet. Un bon couplet, ce n’est pas juste empiler les punchlines, là aussi j’ai trouvé ma recette. Donc j’ai commencé à faire de vrais morceaux. Logiquement ensuite je voulais être capable de faire un vrai projet, c’est ce que j’ai fait avec “Logique, Pt. 1”. Même si les cinq morceaux n’ont rien à voir entre eux, qu’il y a tous les BPM possibles, des morceaux chantés, d’autres rappés, j’en tire beaucoup de fierté et de joie. Ce projet marquera mon histoire.

iHH : Si je ne dis pas de bêtises, tu travailles sur ce projet depuis plusieurs années. Tu le considères comme un aboutissement ou comme un commencement ?

Là, tout de suite, je me dis que c’est un commencement, j’ai envie de me dire que ce qui existait avant n’existe pas et là je me sens prêt, je suis sur une bonne dynamique, je mets la musique au centre de ma vie, bien plus qu’avant. Au Dojo, ça s’est souvent fait comme ça. Quand un gars faisait de la musique, je posais un couplet, mais c’était rare que je me dise que j’allais faire un morceau par moi-même. C’est en train de changer et c’est un cercle vertueux. Après “Logique, Pt. 1“, des mecs ont voulu taffer avec moi. C’est que du bénéf, tout découle tout seul. Après, attention, je te dis pas que je me pose tous les soirs en essayant d’écrire un couplet ! Je suis un horrible feignant, faut pas s’attendre à ce que je sorte quatre albums par an, surtout que si je force l’écriture, ça va perdre tout son sens. Il y a des mecs ils peuvent écrire 45 textes par jour parce qu’ils rappent trop bien, ils sont trop forts. Des gars comme Georgio, Sopico ou PLK peuvent se le permettre. Moi, ce n’est pas nécessairement mon niveau de rap. Je sais rapper, je suis pas le plus nul, mais si ce que je raconte est banal, ce ne sera pas très intéressant, je ne serai qu’un rappeur parmi les milliers de rappeurs qu’il y a en France. 

iHH : Dans le titre “Lost Highway”, tu dis : “où est-ce-que je serai en 2020 ? Certainement tout nu en couverture des Inrocks“. En vrai, c’est un objectif, la couv’ des Inrocks

Ce sera la dernière catastrophe de 2020, préparez-vous les gars ! Non, en vrai, ce n’est pas un objectif. Je sais très bien ce que je représente, il y a plein de gens qui fantasment sur la rue, sur les mecs qui ont l’air d’avoir vécu des trucs… Je suis conscient que des gens m’écoutent et fantasment sur moi pour les mauvaises raisons. Ils me voient clipper à Aulnay et ça les fascine… Peut-être que si je m’appelais Jérôme de Vichy, il y aurait moins d’engouement. Après, j’essaye de ne pas trop en jouer. Quand je clippe, je ne demande pas aux gens de sortir des flingues non plus. Mais dans un certain milieu journalistique, on sait qu’on préfère parler des trucs sombres que des bons. Et la musique n’est pas toujours mise en avant…

iHH : En parlant des clips, “Lost Highway” est le seul morceau que tu as clippé. Comment est-ce-que tu as fait ce choix ? 

J’ai décidé de le clipper parce que je pense que c’était le plus facile à réaliser. J’avais déjà une idée de ce que je voulais faire, je trouvais que c’était une bonne entrée en matière. Si les gens n’ont pas écouté le projet, ils comprendront ce que je peux faire. Par exemple, si j’avais clippé “Avec Moi” en premier, tu pourrais être déboussolé en écoutant le projet. Pareil pour “Attiré Par La Night“… Donc “Lost Highway” était un bon compromis. 

iHH : D’ailleurs, tu as une plume assez désabusée en général. C’est révélateur de ton état d’esprit dans la vie de tous les jours ?

Non, pas vraiment. Je suis quelqu’un de très joyeux au quotidien mais j’ai un regard sur ce qu’il se passe autour de moi. Ce monde est cruel comme dirait l’autre. Je ne peux pas occulter le fait que ma musique a beaucoup été influencée par ce que j’ai écouté, et je n’écoutais pas la lambada… J’écoutais Salif et Nubi qui avaient une vision très pessimiste des relations humaines, de ce qu’il se passe dehors. Je ne voulais pas faire ça de manière subversive non plus. Pour moi, ce n’est pas subversif de dire “nique la police” ou de dire “la rue c’est dangereux”. Le but, c’est d’essayer de dire les choses à ma manière, avec mes yeux, et même si sur les placements et les rimes je me prends la tête, je n’ai rien inventé. Le rap est codifié : si demain tu as envie de faire un couplet “tokarev, bendo, kicha”, t’es un rappeur street. Un couplet “codéine, Xanax”, t’es un rappeur emo… J’ai capté que le seul moyen de me démarquer, c’était de rester moi-même. Je suis toujours très content quand j’envoie une maquette à un beatmaker et qu’il est surpris de la façon dont j’ai posé dessus. Je trouve que c’est important que chacun ait son identité, le truc c’est de trouver son univers. Quand Koba LaD est arrivé au début avec sa voix, tout les gens se moquaient de lui. Maintenant, tout le monde essaye de faire pareil. C’est ça le truc : avoir ton identité.

iHH : Les prod° aussi ne sont pas laissées au hasard, tu t’es entouré des meilleurs, de Yung.Coeur à Zek. Comment est-ce-que tu choisis tes prod° ? 

C’est comme je te disais tout à l’heure, j’ai la chance d’avoir dans mes gars des mecs trop forts. Mani Deïz, en mode boom-bap, c’est une référence. Yung.Cœur et Goomar, ils sont incroyablement forts. Zek, j’ai même pas besoin d’en parler. J’ai fait avec les gars que je connais en fait et j’ai eu la chance qu’ils soient tous très forts. Si Ikaz Boi m’avait envoyé une prod°, j’aurais peut-être posé dessus, mais on ne se connait pas. Je ne suis pas dans une position où je peux envoyer un message à un gros beatmaker. Au mieux, il va me dire que c’est 200 €, au pire il va me mettre un vent.

iHH : Tu es un rappeur “de puristes”. Ceux qui aiment le rap aiment forcément ce que tu fais…

Bah, je ne sais pas en fait, parce que tu vois dans “Logique, Pt. 1“, j’ai assez peu de morceaux boom-bap. Il y a davantage de morceaux trap. En vrai, je sais pas du tout en quoi ces gens se reconnaissent en moi. Je suis agréablement surpris des retours que j’ai de ce public-là. Mais je ne sais pas, je ne suis pas fan des mecs qui font du rap “de puristes”, qui vendent beaucoup mais qui sont nuls. Hugo TSR, il est grave fort, Lacraps aussi, mais il y en a d’autres que je ne trouve pas très bons et qui sont des têtes d’affiche de ce rap.

iHH : Parle-moi du morceau “4 Décembre”. C’était important pour toi de te livrer comme ça en musique ? 

Ce morceau, quand je l’ai écrit, je savais que ce serait mon intro. C’est le morceau le plus vieux de “Logique, Pt.1”, c’est celui qui a articulé le projet et qui donne le ton, Dans le fond, je voulais vraiment que le propos de ce projet soit comme le morceau “4 Décembre“. Au final, c’est le morceau le plus streamé du projet, je reposte les stories Instagram des gens qui mettent ma musique et souvent, c’est ce morceau qui est joué. Donc ça me fait très plaisir. 

iHH : Tu disais dans une interview pour Keskia ! en 2019 qu’on peut être archi-actuel sans faire de sacrifice sur la technique. Ces derniers mois, l’émergence d’artistes très techniques va en ce sens. Tu penses qu’on peut assister à un retour en force du rap technique en France ? 

La question c’est : “est-ce-que ça a vraiment disparu ?” Avec Internet, le rap technique a toujours été là, je n’ai pas l’impression que le rap technique ait disparu. Regarde aujourd’hui, Freeze Corleone est premier du top album. Je travaille dans un collège, et c’est sûr que les petits ont davantage envie d’écouter Gambi qu’Alpha Wann, mais la technique n’a pas disparue pour autant. En vrai, la technique ce n’est même pas le plus important pour écouter du rap, et ce n’est en aucun cas un gage de qualité. D’ailleurs, hormis peut-être Alpha Wann, la plupart des mecs qui sont arrivés à un niveau technique exceptionnel comme Lomepal, Caballero ou Nekfeu, à un moment donné ils se sont dit : “est-ce-que j’ai envie de faire juste ça ?”. Franchement, je ne pense pas. 

iHH : Je voulais aussi revenir sur ta connexion avec Waxx. Comment est-ce-qu’elle s’est faite ? 

On s’était déjà croisés sur la tournée de Georgio mais c’était succinct. Là, pendant un mois, j’ai balancé des freestyles sur Instagram. Il a kiffé et m’a proposé de venir au studio pour faire un morceau. On n’en a pas fait mais on commencé à parler de plein de choses, y a des connexions qui arrivent.

iHH : Et alors justement, alors que tu devais signer en major, tout a été mis à l’arrêt à cause du coronavirus. Comment est-ce-que tu l’as vécu ?

C’est désagréable, on ne va pas se mentir. Une grosse somme d’argent m’est passée sous le nez. D’un autre côté, je n’aurais pas sorti “Logique, Pt. 1” si j’avais signé, donc c’est peut-être un mal pour un bien.

iHH : J’ai un peu l’impression que tu es un rappeur connu des fans de rap mais que tu as le potentiel pour dépasser cette sphère, un peu comme l’a fait Soso Maness par exemple. Je sais que c’est compliqué de juger ça de l’intérieur, mais où est-ce-que tu vois ta limite ? 

C’est vrai que tu n’es pas le seul à me comparer à Soso Maness. Ma limite, je sais pas, je la vois musicalement peut-être dans mon accessibilité, parce que ma musique demande un certain effort intellectuel. Je sais pas si je suis en capacité de faire un méga-tube. “Djomb“, j’aurais été incapable de le faire, “Anissa” c’est pareil, et je dis ça sans jugement. Peut-être que j’ai encore des lacunes, mais sinon, après ça va : je chante juste, je rappe bien, je suis plutôt mignon, franchement ça va ! (rires)

iHH : Tu as aussi placé sur le projet “Sale #1” du Chroniqueur Sale, en featuring avec Hash 24. Comment est-ce-que ça s’est fait ? 

En fait, le Chroniqueur Sale, c’est un mec qui me donne de la force depuis longtemps sur sa chaine YouTube. Quand il a fait son projet, il a pensé à moi et j’ai accepté directement. Il m’avait proposé un morceau avec un autre rappeur, j’ai validé, j’ai posé mon couplet. J’avais enregistré le son mais j’ai senti que humainement ça ne me plaisait pas, alors j’ai demandé à retirer mes voix du morceau. Là, le Chroniqueur était en galère au niveau du timing, il savait pas trop où me faire rapper, et il m’a dit qu’il faisait un son avec Hash 24 qui est mon gars depuis un moment. Donc j’ai posé sur ce morceau [“Depuis longtemps” – NDLR], ça s’est fait naturellement. 

iHH : Après plus de deux mois d’exploitation, comment est-ce-que le public a réagi à “Logique, Pt. 1” ? Qu’est-ce-que ce projet t’a appris ? 

Je suis archi content, ça a dépassé mes attentes. L’EP m’a appris que c’était bien de sortir des sons, je ne pensais pas que c’était stylé comme ça, ça m’a donné envie d’en ressortir déjà ! Ça m’a mis une espèce de déclic aussi, dans le sens où je n’y ai jamais vraiment cru, mais maintenant, j’ai l’impression qu’il y a peut-être une petite place pour moi. Quand on me donne de l’amour comme ça, j’ai envie de plaire aux gens. Ne pas faire aussi bien, c’est ma seule pression pour la partie 2, ma seule angoisse. Mais il y a au moins un son ou deux dont je suis sûr, ce sont des feats en plus.

iHH : Donc la suite pour toi, c’est “Logique, Pt. 2” c’est ça ?

La partie 2 on va la sortir cette année. Je ne sais pas encore quand, mais en 2020 c’est sûr, c’est quasiment terminé. Il va juste falloir que je réfléchisse à ce que je veux et qu’on enclenche. On va faire 2-3 clips que j’ai envie de faire, et ce sera un cinq titres. 


En attendant la partie 2, vous pouvez écouter “Logique, Pt. 1” de Limsa d’Aulnay juste ici :