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Les 40 ans de la MARCHE POUR L’ÉGALiTÉ ET CONTRE LE RACiSME, en sons, en mots et en images au Centre Pompidou

Sous-titré “1983-2023 : 40 ans de lutte contre le racisme”, le captivant événement “Ouvrir la marche”, initié par Rokhaya Diallo, convie, jusqu’au 12 novembre au Centre Pompidou, à un riche programme d’accès gratuit. Le 11 novembre, honneur au hip-hop avec Sidney, Dee Nasty et de jeunes rappeuses.

Etalée sur trois jours, la programmation de l’événement “Ouvrir la marche” abolit les frontières entre les disciplines, entre les expressions artistiques. Elle combine rencontres, conférences, ateliers, projections de films, exposition de photos d’archives… Et invite de nombreuses personnalités intellectuelles, artistes et militantes, telles que l’écrivaine Tassadit Imache, le producteur Michel Zecler, le sociologue Samir Hadj-Belgacem, Héléna Berkaoui, rédactrice en cheffe du Bondy Blog, la journaliste et militante antiraciste Sihame Assbague. On peut regarder en ligne certains rendez-vous (voir les informations pratiques ci-bas).

En point d’orgue, le samedi 11 novembre, le concert hip-hop avec Turtle White, Yelsha et Ngielix, rappeuses du collectif Go Go Go, et la battle Sidney vs Dee Nasty. Ngielix est venue au rap par la poésie qu’elle avait plaisir à lire dès son enfance. Yelsha, d’origine béninoise, a été repérée via le dispositif d’accompagnement et de formation Labö en direction de la scène locale caennaise, tandis que Turtle White, guyanaise d’origine haïtienne, a fait partie des dix finalistes de Rappeuses en Liberté, qui, le 11 octobre, ont embrasé la scène du Centre FGO Barbara, dans le cadre du MaMA.

Réalisatrice, enseignante aux Etats-Unis et écrivaine, Rokhaya Diallo est journaliste pour le Washington Post et vient d’être recrutée par le quotidien britannique The Guardian. Ce qui illustre la reconnaissance de son travail à l’étranger et, par la même occasion, le décalage avec les attaques dont elle fait l’objet en France. Rencontre avec celle qui, résolument, reste une militante active autant qu’une utopiste concrète.

L’effacement de cette mémoire est alarmant”

Photo : © Mario Epanya

iHH : Comment est née l’idée de cette célébration du 40e anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme ?

ROKHAYA DiALLO : La conjonction de plusieurs facteurs a fait germer en moi la nécessité absolue de réactiver la mémoire de cette extraordinaire mobilisation des descendants des immigrations post-coloniale. Cette marche, qui s’est opérée à travers la vie associative, culturelle, médiatique, etc., a démarré avec quelques poignées de gens à Marseille. Et elle a rassemblé plus de 100 000 à son arrivée à Paris !

En 2020, suite à la mort de George Floyd, de multiples manifestations se sont déroulées en France. Beaucoup de jeunes ont manifesté pour la première fois. J’ai été frappée par le fait que la plupart d’entre eux n’avaient jamais entendu parler de la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

En 2013 déjà, un sondage, effectué à l’occasion des 30 ans de la Marche, avait indiqué que seulement 19 % des sondés connaissaient l’existence de celle-ci. L’effacement de cette mémoire est alarmant. C’est pourquoi, j’ai proposé au Centre Pompidou de célébrer les 40 ans de la Marche. L’équipe du Centre Pompidou a aussitôt accepté de m’accompagner dans ce projet, auquel nous avons travaillé pendant un an et demi. Je lui suis reconnaissante de l’espace accordé à cette initiative.

iHH : Est-ce la constatation de l’effacement de cette mémoire qui vous a incitée à réaliser, en 2013, votre premier documentaire, “Les marches de la liberté, en 2013” ?

ROKHAYA DiALLO : Oui. Initialement, je voulais commémorer les 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Mais cela n’a intéressé aucune chaîne télévisée, pas même les chaînes du service public. Puis, il s’est trouvé que j’ai été en contact avec un groupe de jeunes Américains. J’ai saisi l’opportunité de leur visite pour les accompagner et susciter plusieurs rencontres, par exemple, avec Toumi Djaïda, initiateur de la Marche (il avait alors 19 ans et avait été victime d’une violence policière). En outre, ces jeunes Américains ont assisté à la cérémonie officielle des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, et ont rencontré Christina Taubira. Je les ai aussi amenés à Clichy-sous-Bois, où ils ont échangé avec des membres de AClefeu (Association collectif liberté, égalité, fraternité, ensemble, unis), qui avait vu le jour au lendemain des révoltes de 2005.

“Qu’est-ce qui a changé depuis les révoltes des Minguettes en 1983 ?”

Pour ces jeunes Américains, qui avaient en tête les clichés sur la France – la tour Eiffel, la mode, etc. –, le fait de découvrir cette réalité a été un choc, en particulier lorsqu’ils ont vu l’insalubrité et la précarité sévissant dans les quartiers populaires. Une femme afro-descendante, dont le cousin était décédé à cause de violences policières aux Etats-Unis, a été sidérée d’apprendre que des gens mouraient également de violences policières ici. Cela ne correspondait pas du tout à l’image de la France qui leur était donnée aux Etats-Unis. Mon documentaire revient sur plusieurs aspects de l’histoire de l’antiracisme en France.

Le Centre Pompidou propose la rencontre “Les violences policières, des Minguettes à Nanterre”, avec la participation du sociologue Fabien Truong, du producteur Michel Zecler et d’Amal Bentounsi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine [et sœur d’Amine Bentounsi, décédé en 2012 après avoir reçu une balle par un policier- NDLR]. La question est lancinante : qu’est-ce qui a changé depuis les révoltes des Minguettes en 1983, jusqu’à 2023, année où Nahel Merzouk a été tué par un policier à Nanterre ?

Photo : © Les Marcheurs, Samia Chala, Thierry Leclère, Naïma Yahi, 2013, Orange Studio

iHH : Dans le cadre de “Ouvrir la marche”, la conférence “Les femmes dans la marche” souligne le rôle important tenu par les femmes…

ROKHAYA DiALLO : Tout à fait. À cette conférence modérée par la journaliste Nesrine Slaoui, nous avons invité la militante associative Salika Amara, présidente de FFR (Filles et Fils de la République), la sociologue et anthropologue Nacira Guénif-Souilamas, et Djida Tazdaït, cofondatrice des associations JALB et Zaâma d’banlieue. Le rôle des femmes est invisibilisé, dans tous les secteurs de la société, y compris dans celui des luttes sociales et politiques. Ce débat vise à rappeler combien les femmes ont été nombreuses à prendre part à la Marche et ont compté dans le succès de celle-ci.

La Marche s’est terminée en décembre 1983. En février 1984, démarrait sur TF1, l’émission de Sidney, H.I.P. H.O.P.

iHH : Vous conviez, le 11 novembre, deux figures historiques : Dee Nasty et Sidney. Le hip-hop, bien qu’encore underground à l’époque, a commencé à s’imposer au même moment que la Marche pour l’égalité et contre le racisme…

ROKHAYA DiALLO : C’est à ce titre que, dans la Grande salle à 18 heures, Dee Nasty et Sidney témoigneront du bouillonnement artistique à l’ œuvre dans les quartiers populaires au tournant des années 1980. La Marche s’est terminée en décembre 1983. En février 1984, démarrait sur TF1 [alors encore une chaine publique avant sa privatisation en 1987 – NDLR] l’émission de Sidney, H.I.P. H.O.P., première émission télévisée au monde consacrée au hip-hop, qui allait acquérir une renommée internationale jusqu’aux Etats-Unis. Nous avons souhaité mettre le hip-hop à l’honneur lors de la soirée du 11 novembre : outre Sidney et Dee Nasty, se produiront les rappeuses Turtle White, Yelsha et Ngielix. Nous tenons à apporter notre pierre pour que les femmes artistes s’expriment.

Vidéo de H.I.P. H.O.P., Sidney avec Afrika Bambaataa et David Colas

iHH : Le 12 novembre, vous braquez les lumières sur le raï, autre courant musical qui a émergé au même moment que la Marche…

ROKHAYA DiALLO : Oui, à 17 heures, le DJ Hadj Sameer racontera en musique son histoire du raï, en nous faisant écouter der cassettes et des vinyles. Il nous a semblé important de remettre en lumière le raï, qui a été progressivement invisibilisé, alors qu’il avait réussi à se faire une vraie place en France dans les années 1980, 1990.

Propos recueillis par Fara C.

Renseignements pratiques :

“Ouvrir la marche” du 10 au 12 novembre 2023, accès gratuit

Vendredi 10 novembre 2023 :

https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/Qo4bRpq

Samedi 11 novembre 2023 :

https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/Lodqdcp

Dimanche 12 novembre 2023 :

https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/3NZqyjN

Photo : © Amadou Gaye

En ligne, “1983, les sens de la marche” :

Via Tënk, plate-forme dédiée au documentaire et associée à la Cinémathèque idéale des banlieues du monde, le programme intitulé “1983, les sens de la marche” est disponible jusqu’au 2 décembre 2023.

Les films du programme :

– “Haya“, de Claude Blanchet et Edouard Bobrowski (1982, 60 min)

– “Question d’identité“, de Denis Gheerbrant (1990, 55 min)

– “Candidats pour du beur ?”, de Samir Abdallah (2012, 90 min)

– “Les Marcheurs“, de Samia Chala, Thierry Leclère et Naïma Yahi (2013, 60 min)

– “La Cité politique“, de Florence Gantineau-Sailliant (2018, 90 min)

http://www.tenk.fr