Cette réédition des musiques inspirées du film “La Haine” en double vinyle n’est évidemment pas le simple fruit du hasard. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir la pochette du double vinyle rouge, en édition limitée dans cette couleur et uniquement disponible via le réseau Fnac. On y trouve un QR code… vous permettant si l’envie vous en prend de tenter de gagner des places pour la comédie musicale de Matthieu Kassovitz. Ce spectacle inspiré du film, intitulé “La Haine jusqu’ici rien n’a changé”,se joue à La Seine musicale, à Boulogne-Billancourt, et en tournée dans toute la France jusqu’au 26 juin 2025, avec Clara Luciani (gloups), Akhénaton, Oxmo Puccino, Tunisiano de Sniper…
Voilà pour la “promo”. Une fois passée l’opération marketing cousue de fil blanc, scrutons l’objet vinyle. D’abord, et c’est bien précisé comme pour l’édition originale de 1995, ce n’est pas la bande originale du film dans laquelle on trouve finalement assez peu de rap. Exceptions faites du classique d’Expression Direkt “Mon Esprit Part En Couilles” et de la fameuse séquence où Cut Killer, casquette à l’envers, avec son T-shirt de Cypress Hill joue sur les platines de la cité de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), où l’essentiel du film a été tourné, “Nique La Police”, abusivement transformé par l’imaginaire collectif en : “Assassin de la police”. Pas certain que KRS-One, créateur de l’original “Sound Of Da Police” ait eu vent du détournement de sens !
Pour le reste, on entend beaucoup de bonnes choses dans le film “La Haine” : du Bob Marley, le célèbre “Burnin And Lootin” de l’ouverture du film (qui a été “repimpé” dans la comédie musicale de “Kasso”), Isaac Hayes, “That Loving Feeling”, quand Hubert Koundé fume un spliff dans sa chambre, “More Bounce To The Ounce” de Zapp dans la scène de breakdance, et même “Chapi Chapo”, indicatif télévisé de la série animée culte de François de Roubaix quand Vinz, Hubert et Saïd sont en vadrouille dans Paris.
Mais revenons aux musiques “inspirées du film”. On aurait bien aimé un livret recontextualisant la genèse du film et le cahier des charges de la compile : parler de la jeunesse des banlieues avec une rage communicative. Il faudra se contenter dans cette réédition à l’identique de la reproduction des paroles de “Sacrifice De Poulet” ou de “Dealer Pour Survivre”. C’est un peu maigre.
Le contexte ? Le 6 avril 1993, Makomé M’Bowolé, 17 ans, est abattu d’une balle dans la tête dans un commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris. Cette sordide affaire de violence policière emblématique a inspiré le film de Kassovitz et le titre L’État Assassine” d’Assassin, “Makomé en a été victime”. Ce morceau a d’ailleurs été produit par Docteur L pour l’album “L’homicide Volontaire” et non pour “La Haine”. Il vous faudra faire vos propres recherches pour savoir pourquoi NTM ne figure pas dans cette compilation, qui n’a rien à envier à “Rapattitude”, ou pourquoi le titre de MC Solaar Comme dans un film a été “trappé” en raison de bisbilles entre maisons de disques. C’est Solo Dicko, alors encore membre d’Assassin et qu’on voit tirer sur un videur avec un pistolet à grenailles dans le film, qui coordonne la compile. Kassovitz utilisera son morceau “Cauchemar Sans Fin” sur “Assassin(s)” (1996), mais c’est une autre histoire.
Reste que “La Haine (musiques inspirées du film)” est un disque-témoignage, radioscopie d’une époque révolue où les maisons de disque comme Delabel, filiale de feu la major de référence EMI, avaient du pognon et des ambitions. Sur cette double galette, on croise des disparus – hormis quelques reformations sporadiques – de “l’âge d’or du rap francophone”, le Ministère Ä.M.E.R. donc, les Suisses de Sens Unik avec “Le Vent Tourne”, La Cliqua et son classique “Requiem”, la Vitriote Sté Strauz avec “C’est La Même Histoire (C’est Asmeuk)” produite par Sulee B Wax,Raggasonic et “Sors Ton Gun”. Certains de ces artistes sont toujours actifs aujourd’hui, comme FFF “Le Vague À L’âme”, IAM associé pour le meilleur à (Daddy) Nuttea pour “La 25e Image”, Les Sages Poètes De La Rue “Bons Baisers Du Poste”. Près de 30 ans plus tard, il paraît évident que “La Haine” n’est pas un documentaire sur la vie dans les banlieues en France mais un exercice de style ancré dans une époque. De même, cette compilation est un instantané d’une période du rap français et c’est déjà pas mal.
Julien Le Gros
La Haine (musiques inspirées du film)
Réédition double vinyle noir ou rouge (exclu Fnac)
(Parlophone/Warner)