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KNEECAP au cinéma à partir du 18 juin : BONS BAiSERS DE BELFAST !

Texte : Noëlle DUPUY

Photos : D..R.

C’est avec une contradiction performative que s’ouvre le film “Kneecap” de Rich Peppiatt – ancien journaliste, défenseur d’une presse de qualité et pourfendeur des dérives de la presse à sensation, notamment le Daily Star, dont il avait dénoncé les attaques islamophobes et la sympathie pour l’extrême-droite avec un documentaire satirique en 2014, “One Rogue Reporter”. “Vous avez l’habitude de films irlandais qui vous montrent des voitures piégées qui explosent dans les rues de Belfast au moment des ‘Troubles’ ? … Eh ben pas celui-ci !”, nous dit la voix de Mo Chara après nous les avoir montrées.

Mais on pourrait qualifier le film dédié au groupe de hip-hop éponyme lui-même de contradiction performative. Car sous ses allures de vrai faux biopic consacré à un trio de hip-hop, et en prétendant rompre avec le genre historique, il s’inscrit en fait dans une histoire culturelle et populaire de la lutte très politique contre l’oppression coloniale britannique. Il offre en effet aux spectateur.ices un film sérieusement comique, irrévérencieux, décalé, déjanté et agité, consacré aux aventures de trublions un peu paumés qui veulent trouver leur voie (autre que dans le deal) et donner de la voix dans un Belfast encore sous tutelle politique et culturelle du Royaume (si peu) Uni. Un Belfast où la jeunesse se désespère et aspire à une vie meilleure : a ‘Better Way to Live‘. Le film, de même que son sujet, s’inscrivent donc dans un mouvement politique et culturel qui prennent de nouvelles formes pour développer et promouvoir un langage bien à soi, un droit, comme l’avait affirmé le premier morceau du groupe – sorti en 2017 et censuré sur les ondes officielles – ‘C.E.A.R.T.A’.

Liam Óg Ó hAnnaidh, Naoise Ó Cairealláin et J.J. Ó Dochartaigh y jouent leurs propres rôles – respectivement ceux de Mo Chara, Móglaí Bap et DJ Próvaí, leurs noms de scène – aux côtés notamment de Michaël Fassbender qui avait remarquablement incarné le prisonnier politique irlandais Bobby Sands dans le film “Hunger” de Steve McQueen en 2008, Simone Kirby (Oonagh dans “Jimmy Hall” de Ken Loach sorti en 2014) et Josie Walker (Aunt Violet dans “Belfast” de Kenneth ‘boring’ Brannagh en 2021). Kneecap – du nom de la punition infligée aux traitres à la cause par les groupes paramilitaires – nous embarque à travers West Belfast, leur ‘H.O.O.D.‘, avec ses murs recouverts de fresques et autres stigmates visuels du passé, sa présence policière brutale, ses processions orangistes, et recherchent chacun quelque chose. Pour Móglaí : la reconnaissance de son père absent – ancien paramilitaire de l’IRA en cavale devenu professeur de yoga – et qui reproche à son fils de “connaître les mots, mais pas la langue” ; pour Mo : une relation amoureuse assumée avec Georgia (Jessica Reynolds) née dans le camp loyaliste, et pour DJ Próvai : l’occasion de (se) prouver qu’il sait mixer et s’amuser. Ces quêtes se font dans le contexte des mobilisations de 2022 pour la reconnaissance du gaélique-irlandais comme langue à part entière, et y participent à leurs manières. Le tout bien sûr est rythmé par les morceaux et concerts du trio, mais laisse aussi la place à d’autres artistes locaux tels que le duo électro Bicep, ou le groupe post-punk Fontaines D.C. Film musical, il adopte par moments la facture de clips vidéo qui font usage de scribble. Pour un long-métrage consacré à un groupe de hip-hop, cette texture-même du film se révèle plutôt adaptée.

“Kneecap” a remporté un BAFTA en février, le prix du public à Sundance où il était le premier film en langue irlandaise à y être projeté. Et cette reconnaissance est en soi une victoire qui s’inscrit dans le prolongement de la lutte pour les droits civiques en Irlande depuis la fin des années 60. Et même plus, pourrait-on dire : une revanche depuis la loi de 1737 interdisant l’usage du gaélique irlandais dans les tribunaux, puis dans toutes les administrations publiques, et donc au Parlement. La fin de la discrimination contre cette langue, et donc des discriminations contre ses usagè.res, avait été promise dans le cadre de l’accord du Vendredi saint de 1998. Or cette promesse fut régulièrement renouvelée mais jamais réalisée jusqu’en 2022, les unionistes ayant mené une campagne ardente et freiné des quatre fers contre l’officialisation de l’irlandais en Irlande du Nord – au même titre que le sont pourtant l’écossais et le gallois. Sur le sujet, Arlene Foster, dirigeante du Parti Unioniste Démocrate de 2015 à 2021, avait très métaphoriquement, mais très clairement, exprimé l’enjeu pour les loyalistes en 2017 : “Si vous donnez à manger à un crocodile, il reviendra toujours en demander plus.” Car reconnaître une langue, c’est reconnaître la présence et l’existence, même minoritaire, de ceux et celles qui la parlent couramment au quotidien (2,43 % de la population selon le recensement de 2021). C’est aussi donc accepter qu’ils et elles exigent pleinement l’égalité des droits.

Ironie de cette même longue histoire : c’est aussi dans les tribunaux qu’en novembre 2024, le groupe Kneecap a remporté son procès contre la décision unilatérale de la très conservatrice Kemi Badenoch – alors Secrétaire d’État aux Affaires Commerciales, et actuelle cheffe de l’opposition officielle – de bloquer un fond d’environ 15.000 euros qui leur avait été alloué par le BPI, organisme britannique indépendant de soutien aux artistes musicaux. Un autre clou enfoncé dans la machine répressive. Car comme le répète Arló, le père de Móglaí : “Chaque mot prononcé en irlandais est une balle tirée pour la liberté de l’Irlande.”

Bande-annonce en VOST