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James Digger : boom bap à jamais

Badaboombap, Vol. 2 - James Digger

Badaboombap, Vol. 2 - James Digger

Mordu de boom bap, le producteur James Digger a condensé son amour pour cette musique en une duologie intitulée “Badaboombap”. Pour la sortie du deuxième volume riche en invités de renom, le 25 mars 2022, il nous a accordé une interview.

iHH : Salut James. Ça fait longtemps que tu traines dans la scène hip-hop en France et à l’étranger. Avec les projets “Badaboombap” Vol. 1 et Vol. 2 tu donnes l’impression d’avoir voulu t’ancrer, te stabiliser. Je me trompe ?

James Digger : Non, c’est ça en fait. C’est-à-dire que j’ai toujours fait des petits trucs à droite, à gauche. En 2009 j’avais sorti un album en digital [“Babytraxx IS James Digger” – NDLR], qui était un peu le même concept que “Badaboombap”, même s’il y avait plus d’américains. Ensuite j’ai tourné pas mal d’années avec un groupe qui s’appelait Kickblast. Même si on n’a pas explosé on a fait pas mal de belles choses. J’ai mis beaucoup d’énergie là-dedans et donc j’ai mis de côté mon esprit beatmaker. À un moment donné j’ai eu envie de revenir à cet esprit de compil’ que j’avais pris plaisir à réaliser en 2009. Je me suis dit que j’allais réunir le rap français et le rap américain dans un projet typé années 90. Ça a donné “Babadaboombap”.

Le volume 1 arrive, je fais appel à des gens que je connaissais. Ça fait un petit peu de bruit et ça me permet de me lancer sur le 2, où le niveau a encore un peu augmenté je trouve. J’ai enchainé les deux projets en fait. Ce qui a mis beaucoup de temps pour la sortie du deuxième c’est le pressage vinyle qui est incroyablement long en ce moment. L’album était masterisé en septembre 2021, ensuite il a fallu huit mois pour que le projet sorte, en mars 2022. Tout ce temps m’a permis de préparer des clips, et ça c’est vraiment super. 

iHH : C’est intéressant que tu me parles des vinyles, parce que le volume 1 avait aussi connu un tirage sous cette forme. Ça crée un paradoxe chez toi, parce que tu sembles ouvert à la dématérialisation de la musique mais d’un autre côté tu tiens quand même à sortir des vinyles…

James Digger : C’est parce que je suis un peu de l’ancienne école, et de base je suis collectionneur de vinyles. En 2009 j’avais pas les ressources pour le faire, mais quand je me suis re-posé la question de sortir un projet sous mon nom, le premier truc ça a été de faire un vinyle. Au départ j’hésitais même à le sortir sur les plateformes. Mais il faut vivre avec son temps et ce serait idiot de ne pas le rendre disponible de cette façon.

Donc pour “Babadaboombap” vol. 1 et 2, je me suis dit qu’il n’y aurait pas de CDs. Pour moi le CD c’est cramé, donc streaming et vinyle, pour le côté collection. J’ai fait 200 exemplaires du premier, tout est parti en quelques mois et j’ai choisi de ne pas re-presser, alors que j’ai de la demande. Ce sera pareil pour le deuxième, j’ai tiré 500 exemplaires mais je ne rééditerais pas derrière. 

iHH : Dans “Au Nom de la Prose”, Passi dit “ça streame de ouf.” Justement, on en parlé, tu vois la dématérialisation de la musique d’un assez bon œil, ce qui semble assez à contre-courant notamment pour quelqu’un de ta génération. Pourquoi ça ?

James Digger : Je sais pas vraiment, je suis pas trop dans cette démarche-là. En 2009 j’avais filé mon album gratuitement en digital. À l’époque certains m’avaient dit qu’il fallait pas faire ça, mais en fait c’est débile. Le mode de consommation de la musique a changé, on ne peut pas revenir en arrière. Moi je suis super content que le streaming existe. J’ai pas du tout un discours passéiste sur la façon d’écouter sa musique. Bien sûr je viens de l’époque où quand t’avais un petit billet, t’allais acheter un disque et tu le connaissais par cœur. Tu n’avais que cet album-là, donc tu connaissais chaque note, chaque break.

C’est différent mais c’est comme ça. On est tous devenus des gros consommateurs de musique et en un sens c’est vraiment bien. Celui qui veut faire de l’oseille va penser business avant tout dans sa musique, mais honnêtement moi je suis ravi d’avoir accès à plein de trucs américains qu’il y a vingt ans j’aurais galéré à trouver.

Je pense pas qu’aujourd’hui les gens qui font du boom bap se disent qu’ils font de la quantité plutôt que de la qualité. En tout cas moi je ne me dis pas ça. Après, par contre, aujourd’hui tout le monde peut faire de la musique, avoir accès à un home studio pour pas cher, donc il y a beaucoup plus de monde sur le marché. Je trouve pas que ça a tué la culture hip-hop, au contraire, il y en a partout maintenant. Le hip-hop a envahi toutes les sphères de la société et ça c’est génial. Avant il y avait 10 000 styles de rock, maintenant il y a 10 000 styles de rap. Je ne peux qu’être content de voir ça.

iHH : Dans l’intro de “Bababoombap Vol. 2”, Helmé dit “on commence à s’faire vieux mais on rappe de mieux en mieux”. Je vais pas te faire un projet en âgisme, mais évidemment avec la couleur que tu as donnée à ton projet c’est difficile d’inviter de (très) jeunes rappeurs. Tu penses, pour reprendre l’expression, que c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure confiture ?

James Digger : Non, je suis pas sûr. J’ai 40 ans mais je me dis pas dans l’absolu que je peux pas inviter un jeune. Je pense pas que ce soit forcément avec les vieilles méthodes qu’on fait du bon son. Evidemment tu t’améliores avec le temps, mais aujourd’hui tu écoutes des gars qui font du son depuis six mois et tu prends une vraie claque. Les nouvelles générations apprennent très vite les codes.

Je reste convaincu que l’expérience fait qu’on ne fait que s’améliorer. Mais je pense pas que ce soit dans les vieux pots qu’on fait la meilleure confiture, pour reprendre tes termes. Par exemple, j’ai du mal à écouter ce que sort Akhenaton aujourd’hui. Je dis absolument pas ça pour le critiquer, j’ai un énorme respect pour lui. Mais en vrai je pense que j’ai entendu tout ce qu’il y avait de meilleur chez lui. J’arrive plus à être surpris en fait. Je pense que c’est comme les fans de Johnny Hallyday avant. Au bout de 20 albums, tu connais la recette. 

iHH : Avec ton expérience, quel regard portes-tu sur le rap actuel, en France comme aux États-Unis qui, tout mainstream qu’il est, me paraît influencé par des courants musicaux qui n’étaient pas ceux qui ont fait le hip-hop à la base ? 

James Digger : C’est propre à tous les styles. Dans les années 1990 tu pouvais définir beaucoup de choses facilement, beaucoup de gens étaient catalogués. Aujourd’hui c’est plus vraiment le cas, même dans l’electro les gars mélangent tout, c’est la musique qui veut ça. Après, pour parler du rap français je trouve qu’en fait rien n’a changé. On continue de pomper ce qui se fait ailleurs. Ce sont pas les Français qui ont inventé la drill ou la trap. De temps en temps certains apportent leur petite touche. Ils sortent du lot, et heureusement, mais on reste toujours un pays un peu “copieur”. C’était moins le cas dans le boom bap je trouve.

iHH : Justement, on voit, en France mais aussi aux États-Unis, un retour en grâce du boom bap ces dernières années. Qu’est-ce-que tu penses de cette dynamique ? 

James Digger : C’est vrai que le boom bap revient en force, mais je trouve que ça reste quand même un public de niche. C’est moins le cas aux États-Unis parce qu’ils sont tellement nombreux que ça fait vite des gros chiffres. Je le vois surtout en France. Un Benjamin Epps, j’adore ce qu’il fait, mais même si c’est le haut du panier je trouve qu’il reste encore dans un public de niche. J’espère vraiment pour lui qu’il est pas à son maximum et qu’il élargira son audience, sans aller à fond dans le mainstream comme certains l’ont fait avant lui. Je rêverais que le boom bap reprenne le dessus, parce que la vibe Griselda a bien envahi la France et tous les beatmakers, moi compris, se sont mis à faire des prod° bien sombres, bien lentes, à base de films d’horreurs inconnus dégotés sur YouTube.

iHH : Tu as une démarche internationaliste, en conviant des artistes du monde entier sur ton projet et en alternant morceaux francophones et anglophones. C’était déjà le cas sur “Badaboombap Vol. 1” mais comment as-tu eu cette idée ? 

James Digger : C’est parce que j’ai toujours eu le cul entre deux chaises. J’ai toujours adoré le rap ricain et le rap français. Pendant un moment, j’écoutais plus ce qui se faisait là-bas qu’ici, mais ces dernières années en réécoutant des artistes français qui font du boom bap je me suis bien remis dedans. Quand est venue l’idée d’une compil’ j’ai voulu faire quelque chose qui me ressemblait. Donc forcément j’ai mêlé les deux raps. 

iHH : En fait, avec du boom bap et un album bilingue, on peut dire que tu n’aime pas te faciliter la tâche. J’imagine que les singles de diamant ne sont pas ce que tu ambitionnes, mais à ton sens serais-tu capable de proposer une musique plus “accessible” ? 

James Digger : Franchement je suis pas du tout dans ça. Je réfléchis pas du tout mes projets en terme de business model, je suis juste dans une notion de plaisir. C’est peut-être un tort, mais pour l’instant la tournure que prennent les événements me conforte dans mon optique. Entre les deux volumes je vois que mon audience s’est élargie, en terme de ventes, de streams. Donc si je peux continuer comme ça je vais pas m’arrêter. En plus à-côté je suis arrangeur sur de l’electro, je fais de l’habillage sonore pour la radio ou la publicité. Je me suis diversifié et au final la musique me rapporte plus que mon travail, depuis un ou deux ans.

iHH : Sur “Badaboombap Vol. 2” tu réunis un casting pléthorique côté francophone, de Rockin’ Squat à Dooz Kawa, en passant par Passi et CenZa pour ne citer qu’eux. Combien de temps est-ce-que cela t’a pris de réunir tous ces MCs sur un même projet ? 

James Digger : Je vais te dire la vérité, tout a été super facile. À chaque fois il y a des petites histoires. Dooz Kawa m’a découvert avec “Badaboombap Vol. 1” à travers d’une discussion avec un autre MC. Il m’a envoyé un message sur Instagram et me disant qu’il avait kiffé mon album. On a continué à discuter et quand je lui ai parlé du volume 2 il a été chaud directement. L’uZine c’est assez simple, parce que Tony Toxik avait déjà posé sur le premier volume et ce sont devenus des vrais potes.

On avait convenu de faire un truc avec tout le crew sur le 2, finalement ça ne s’est fait qu’avec CenZa et Souffrance, mais ça a été simple de les avoir. Rockin’ Squat je le connais depuis des années. Passi en fait c’est un super pote du photographe de l’album [Philippe Hamon – NDLR], au travers d’une discussion ils ont parlé de moi, donc j’ai tenté ma chance et ça a matché très naturellement. Il a été hyper-investi dans le morceau qui au final est vraiment lourd.

iHH : Tu n’as pas non plus à rougir chez les anglophones, mais l’invité le plus incroyable est sans nul doute Masta Ace. Comment s’est faite votre connexion ? J’imagine que ce n’est pas la personne la plus simple avec laquelle entrer en contact ?

James Digger : En 2003 je suis allé à New York, c’est la première fois que j’ai entendu parler de lui. J’étais chez un journaliste de Radikal qui avait fait la photo de l’album “A Long Hot Summer“. Il me fait écouter et je kiffe trop. Depuis je l’ai jamais lâché, c’est un peu mon album de chevet. J’ai commencé à lui envoyer de temps en temps des petits messages. Au début ça tombait un peu nulle part mais je sais pas pourquoi un jour il m’a répondu. Je lui ai envoyé une prod° qu’il a bien aimée et on a continué à s’envoyer des messages. De fil en aiguille, il s’abonne à mon Instagram et il commence à liker des extraits de prod° que je poste.

Un jour je me retrouve à travailler avec Denez Prigent, un musicien hyper-connu en Bretagne, qui a fait une musique que Ridley Scott a utilisée dans un film [“Gortoz a ran” dans “La Chute du faucon noir” – NDLR]. Je fais des arrangements pour ce gars-là et il me dit qu’il aime bien le rap et qu’il ferait bien un truc avec un rappeur américain. J’ai envoyé un morceau à Masta Ace et il a grave kiffé. Il a accepté de poser un couplet si Denez Prigent en posait un sur son album. Ça a été un échange, et de là le contact était fait. Masta Ace est venu en concert à Nantes, il m’a invité. Grâce au confinement il m’a dit qu’il avait du temps et qu’il était chaud de poser si je lui envoyais une prod° qui lui plaisait. Ça l’a fait avec celle de “Bitter” !

iHH : Y a-t-il un•e grand•e absent•e que tu aurais rêvé d’avoir mais qui n’a pas pu ou pas voulu participer à Badaboombap Vol. 2 ? 

James Digger : Alors c’est pas qu’il n’a pas voulu, mais le grand absent c’est Oxmo Puccino. Ça l’a pas fait parce qu’Oxmo était l’un des meilleurs potes de DJ Duke qui nous a quittés, paix à son âme. Il a bien kiffé les prod° que je lui ai envoyé mais le boom bap lui rappelait trop son ami donc il était pas trop dans la vibe en fait. Donc ça ne s’est pas fait, mais on continue d’échanger, peut-être que ça se fera à l’avenir.

iHH : Pour parler musique au sens large, quels ont été les artistes qui t’ont influencé ? 

James Digger : Pour moi Nas reste le numéro un. Après, artiste controversé mais Kanye West c’est mon idole pour les prod°. J’écoute toujours tout ce qu’il fait, tout ce qu’il sort. Sinon, évidemment il y a Dr. Dre, et je suis aussi un gros fan de Curtis Mayfield et d’Al Green. J’ai beau avoir des milliers de vinyles à la maison, dès que je dois en mettre un c’est Al Green en fait. Après j’aime bien le rock, j’adore les Pink Floyd, Led Zeppelin. C’est pas original mais je suis aussi un très grand fan des Daft Punk, parce qu’à la base avant de faire du hip-hop je mixais de l’electro et pour moi ils ont vraiment amené une touche unique dans ce style de musique.

iHH : Et actuellement, quels sont les artistes sur qui tu gardes un œil, et pourquoi ? 

James Digger : Alors, laisse-moi réfléchir… Cordae c’est un des rappeurs américains que j’écoute le plus en ce moment. Il arrive à très bien mêler le boom bap avec des prod° beaucoup plus actuelles, et je le trouve vraiment fort. En France je suis resté bloqué sur l’album de Souffrance, forcément du boom bap ! Sinon il y a des mecs chauds que j’aime bien comme Ninho, PLK ou Vald. J’adore l’approche de la musique d’OrelSan, que je respecte beaucoup, mais j’ai du mal avec sa voix. À partir du moment où c’est bien fait, qu’il y a du travail, on peut ne pas aimer mais on peut pas critiquer je pense.

iHH : “Badaboombap Vol. 1” avait été un joli succès d’estime. Le volume 2 est sorti il y a un petit moment maintenant. Qu’en est-il des retours ? Tu sens un public motivé derrière toi ? 

James Digger : Le volume 1 c’était un test, parce que pour moi je suis personne. Le premier album c’était vraiment l’inconnu et ça a été un beau succès comme tu le dis. Ça m’a motivé à me projeter sur le volume 2, et sur celui-là je vois bien que beaucoup plus de médias se sont intéressés au projet. J’ai eu beaucoup plus de messages de la part des gens. Même en terme de ventes, en un mois j’ai déjà fait plus qu’en deux ans avec le premier volume ! Le projet est joué en radio, sur FIP notamment. Je pensais pas du tout que mon disque pouvait atterrir sur ce genre de médias.

iHH : Après ça, on aura le droit à un volume 3 ? 

James Digger : Dans l’idéal oui, j’aimerais clôturer le projet “Badaboombap” avec une trilogie. Maintenant, je vais me laisser un peu de temps, au moins passer l’été et vivre un peu. Quand je repasserai derrière mes outils pour faire de la musique je serai sûrement inspiré par de nouvelles choses. “Badaboombap Vol. 3”, c’est pas impossible.

Interview : Dorian Lacour


Écouter “Badaboombap Vol. 2” de James Digger :