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iHH INTERVIEW : Ismaël Métis : “Je viens d’un petit bout de Maghreb au milieu d’un film de Ken Loach”

Rappeur investi dans de nombreuses luttes, Ismaël Métis est revenu pour iHH magazine sur son dernier projet en date, le bien nommé Permis de déconstruire. Qui a dit que le rap ne prenait plus position ?

Ton album est signé Ismaël Métis et non plus MC Métis comme sur tes anciens projets, qu’est-ce qui t’a poussé à changer de nom de scène ?

Je n’ai jamais assumé mon ancien nom en fait, que je portais depuis 2005. Même à l’époque où j’apparaissais sous le blaze d’MC Métis, je préférais qu’on m’appelle par mon prénom, Ismaël. C’est comme ça que je me présentais toujours d’ailleurs. L’appellation “MC” commençait à sonner vieux aussi. Quand t’y penses, y a pas de trompettiste qui s’appelle “Trompettiste Jean-Pierre” par exemple ! J’ai même hésité à prendre mon nom et prénom complet. J’ai gardé Métis pour la transition. J’ai  longtemps chercher un blaze complètement différent mais mon nom dit déjà plein de choses, donc pas besoin d’en rajouter finalement.

Cinq ans sont passés entre Ma quête (2012) et Permis de déconstruire (2017), comment s’est construit ce deuxième album ?

La grosse différence, qui est de taille, c’est que je vis de la musique aujourd’hui. C’est le plus important car ça veut dire j’ai un public qui me suis. On dit toujours que le deuxième album est souvent moins bon. J’ai compris pourquoi. Quand j’écrivais, j’avais l’impression d’avoir mon public devant moi, d’un coté mon loyer, de l’autre les rappeurs, les militants, les gens que j’avais écoutés quand j’étais gamin… Du coup, ta démarche n’est plus la même que quand tu es inconnu. Tu penses à ton public,  à lui apporter ce qu’il veut. Mais ma personnalité de petit con me poussait à faire l’inverse. Comme je suis catégorisé chanteur engagé, tristounet, je me suis dit que j’allais faire du flow, de la punchline pour la punchline. Mais au final, même ça, c’est pas naturel comme posture. Je fais ce que j’aime à la base, j’ai du déconstruire ça aussi.

Ta relation avec Malik Berki a l’air d’avoir été décisive aussi…

Absolument. Malik Berki (frère du danseur et chorégraphe Farid Berki) est devenu mon DJ live et a composé toutes les instrumentales de l’album. On a fait zéro sample. Je l’ai rencontré lors d’une première partie d’un concert de Disiz à Maubeuge en 2012. A l’époque, je cherchais un DJ pour m’accompagner sur scène. Sans trop y croire, sur un coup de poker, je l’ai appelé pour lui proposer de se joindre à moi sur mes dates payantes. Il m’a dit OK pour toutes les dates, même celles où je ne pouvais pas le payer. J’ai trouvé ça incroyable. Ça m’a beaucoup apporté sur tous les plans : sur scène forcément, en terme d’exposition et aussi humainement. Avoir des discussions avec des mecs qui ont 20 ans de carrière, c’est forcément bénéfique.

Je viens d’un petit bout de Maghreb au milieu d’un film de Ken Loach

Tu partages également le micro avec Rocé, Saïdou (Ministère des Affaires Populaires, Z.E.P, Sidi Wacho) et PunchLyn…

J’ai fait plusieurs fois la première partie de Rocé et je connais bien son manager aussi. Saïd est d’un de mes pères spirituels dans le rap. Je ne voulais pas de featuring avec des personnes que je ne connaissais pas humainement parlant. C’est important qu’ils soient tous les deux sur le même morceau car ils ont participé a ma conscientisation de déconstruction. PunchLyn est une artiste de Roubaix, je l’ai rencontré sur une radio locale et on s’est tout de suite entendu.

Justement, tu es aussi catégorisé rappeur féministe, est-ce que tu assumes cette étiquette ?

Je suis contre les inégalités en général. Mais je n’ai pas le temps de me battre pour toutes les causes malheureusement, je suis obligé de prioriser. Certaines inégalités sont systémiques, c’est à dire qu’elles permettent au système en place de continuer à exister. Si demain on on éradique la grossophobie par exemple, le système tient. Il y a trois grands types d’oppressions : le capitalisme, le racisme, le sexisme. Si demain les femmes et les hommes sont complétement égaux, ça serait un sacré bordel et ça bougerait pas mal de lignes. Si on supprime le racisme, comment on va faire pour que ce soit toujours les mêmes qui balaient les trottoirs ? Comment on fait pour justifier d’aller faire la guerre en Syrie si on ne considère plus les arabes comme des barbares ? C’est l’analyse d’Angela Davis. Ce qui compte, c’est le concret et le féminisme en fait partie. A ceci près que le sexisme ne me concerne pas directement contrairement au capitalisme ou au racisme. Je fais donc bien attention à relayer la parole des femmes et ne pas la prendre à leur place.

Il y a trois grands types d’oppressions : le capitalisme, le racisme, le sexisme.

Comment peut-on s’y prendre pour “déconstruire” ?

Je crois peu au “Grand Soir” mais plutôt aux petites choses. Comme le geste de Rosa Park, qui a refusé de laisser sa place réservée aux blancs dans un bus. De là découle la marche sur Washington pour les droits civiques avec Martin Luther King et l’amélioration des conditions de vie des noirs dans tout les États-Unis.

Il faut rappeler que lutter pour ses droits c’est risqué. On a de plus en plus tendance a vouloir lutter sans risque mais on y gagne toujours. Quand on se regarde dans le miroir déjà. Depuis que je lutte, je lis plus aussi, je sais mieux parler en public, mieux m’organiser… Mais le plus important est de s’organiser collectivement. Seul, on peut rarement changer la donne.

Déconstruire, ça commence dès maintenant et c’est un travail de chaque instant.

Tu rappes « T’es pas au bon endroit pour entendre des onomatopées » dans “C’est du rap”. C’est un tacle contre Migos et le mumble rap en général ?

Y a des raps qui ne reposent que là-dessus, moi c’est pas ma came. Mon rap est écrit avec de la rage et un peu d’aigreur, je l’avoue. Je ne suis pas dans le jugement de valeur mais tu trouveras juste pas ça chez moi. Je viens d’Aulnoye-Aymerie dans le Nord, une petite ville de 10 000 habitants, qui plus est d’un quartier composé à 80% d’immigrés. C’est un petit bout de Maghreb au milieu d’un film de Ken Loach. A mon époque, on ne captait pas Skyrock. Mon rap à forcément une identité qui lui est propre.

Je suis rentré dans le rap par l’écriture avec Ombres et Lumières d’IAM entre autres. C’est les textes qui m’ont attiré en premier lieu. T’écoute pas Renaud pour la guitare ! Je voulais bien écrire avant d’avoir du flow.


BONUS

Fin décembre, Ismaël Métis a sorti le titre inédit “3e Tour”, clippé lors d’une manifestation à Lille.