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iHH INTERVIEW : L’Ordre du Périph et Sirap, les étoiles montantes de la trap parisienne

L'Ordre du Périph, leur DJ, et Sirap. Photo : Thomas Lang

Interview : Marie Sineux
Photos : Thomas LANG

L’ordre du Périph est un groupe de rap parisien, à l’allure de new wave américaine, souvent accompagné de Sirap, rappeur lui aussi. Formé aux alentours de 2015, les quatre jeunes hommes proposent une trap parfois violente, se mêlant même de temps en temps à des sonorités s’apparentant au métal, surtout chez des Youv Dee ou Sirap. On est très loin de la boom-bap des années 1990. L’ordre du Périph et Sirap sont novateurs dans la scène rap française. Nous avons rencontré les quatre membres de l’Ordre du Periph ainsi que Sirap, tous âgés de 21 à 22 ans, gravitant entre Paris et sa banlieue.

Vous vous êtes rencontrés dans les évènements rap ?
Youv Dee : Oui, on s’est rencontrés dans les open mic, dans la rue. On s’est rencontrés un peu comme ça, par hasard. C’est le chemin de la vie.  On est devenus potes directement, ça ne pouvait pas fonctionner autrement.

 

Vous vous êtes dit dès le début qu’il fallait que vous fassiez de la musique ensemble ?
Youv Dee : Non même pas, on était juste ensemble. Et le truc s’est fait tout seul, à force de rider ensemble, à un moment il faut bien avancer. Donc autant avancer ensemble.

 

Et même quand vous faites vos projets solos vous ne vous voyez pas avancer les uns sans les autres ?
Tous : On n’est jamais tous seuls.
Youv Dee : Même si on bosse des trucs tous seuls, des projets solos, on est toujours ensemble.

 

Vous avez posté vos premiers sons sur YouTube il y a deux ans. Finalement c’est allé hyper vite, il y a eu le Grünt et tout ça. Vous vous êtes un peu sentis propulsés sur la scène du jour au lendemain ?
Assy : Un petit peu, mais sans calculer en vrai. C’est arrivé d’un coup.
Youv Dee : On était prêts bien sûr, on est toujours prêts pour ce qui va arriver.
Ars’n : En fait on ne s’en rend même pas compte finalement. On est toujours dans notre bulle, on fait nos bails.
Youv Dee : Ce n’est pas un rythme effréné qui nous empêche de nous adapter. On a vraiment le temps de pouvoir se préparer aux éventualités, donc on les appréhende bien ensuite.

Vous travaillez quand même plus qu’avant sur vos sons ? Ça ne vous embête pas au bout d’un moment dans la journée ?
Assy : Ouais, on est obligés. On n’en a jamais marre, on kiffe ça.
Youv Dee : On ne fait pas forcément du son tous les jours. C’est dans nos habitudes d’en faire de temps en temps.
Sirap : Ça nous évite d’en faire trop, de faire une overdose.
Swan : En fait quand on n’en fait pas on en écoute.
Ars’n : Tu vois aujourd’hui on n’a pas fait de son, mais on fait concert, ça revient au même.
Youv Dee : On a quand même un rythme de musique, un rythme de vie basé sur ça, notre vie entière est basée sur ça.
Ars’n : Qui nous rappelle qu’on est des artistes.

 

C’est votre travail la musique.
Ars’n : Ouais, on fait ça à plein temps
Youv Dee : Ouais, mais c’est toujours un loisir

 

Vous commencez à gagner de l’argent un peu maintenant grâce à la musique ?
Youv Dee : Ça fait un petit moment maintenant. On essaye et ça va ! C’est le goal de gagner de sa passion. On veut toujours plus.

 

Vous pensez que sans les réseaux sociaux vous auriez pu en arriver là ?
Assy : C’est trop important les réseaux sociaux.
Youv Dee : Aujourd’hui c’est indispensable.
Swan : Tout le monde est sur les réseaux sociaux.
Sirap : Tout passe par là maintenant. Si je sors un freestyle, je vais le mettre dessus. Ce n’est pas en bas de chez toi que tu vas te faire connaître.

 

Vous avez fait pas mal de scènes. Ça fait quoi de faire La Cigale ?
Assy : C’était notre première scène. En vrai je ne me rappelle de rien.
Ars’n : On a juste fait trois petits concerts avant.
Youv Dee : C’était une bonne expérience. Mais on en a fait beaucoup en fait depuis donc je n’arriverai plus à me rappeler. Il y a eu tellement de trucs incroyables, partout en France. Il y a eu Bourges, c’était bien. C’est toujours très surprenant.

 

Vous avez été sélectionnés pour Les Inouïs du Printemps de Bourges, et vous avez gagné. Vous vous êtes sentis récompensés de votre travail ?
Swan : De ouf.
Youv Dee : Je pense qu’on ne l’a pas bossé comme les autres candidats dans l’optique de gagner un concours, mais qu’on est juste venus pour faire un show.
Ars’n : C’était pour montrer notre truc.
Youv Dee : C’est encore plus glorifiant d’avoir remporté le prix.

On n’est pas dans l’optique de faire quelque chose de différent, mais force est de constater que le rendu est différent

Surtout que vous êtes un peu novateurs dans ce rap français. Vous apportez quelque chose avec une limite finalement un peu effacée entre le rock et le rap, surtout au niveau de l’attitude.
Youv Dee : Ouais c’est important.
Assy : Il faut se démarquer.
Ars’n : On essaye de faire notre truc. Enfin, on fait notre truc, on n’essaye même.
Youv Dee : On n’est pas dans l’optique de faire quelque chose de différent, mais force est de constater que le rendu est différent. Ouais, c’est un autre style.

 

Dans la scène rap parisienne vous trouvez qu’il y a plus une solidarité entre les rappeurs ou que ça se tire plus dans les pattes ?
Sirap : En vrai, il y a 2/3 ans, j’allais dans des espèces de cypher comme ils appelaient ça à l’époque. Il y avait tout le monde. Mais chacun partait de son côté. Chacun a une direction artistique différente. Tu te rends compte qu’on est tous ensemble au début, mais que chacun fait sa route finalement. Personne n’a attendu personne, mais chacun a fait sa route de son côté.
Ars’n : Il y a des petites équipes qui se forment, c’est normal.
Youv Dee : Il y a des affinités avec d’autres groupes. Mais je trouve que dans le rap français il n’y a pas vraiment d’entraide.
Assy : Oui, pas comme aux States.
Youv Dee : Chacun sa chance. Mais une fois que t’as percé là oui, il y a plus de solidarité.
Ars’n : Par exemple, moi j’ai un pote qui est manager pour des anglais. Il venu en France au studio voir un peu comment on procédait, il s’est renseigné un peu. Il nous disait que si un gars de Londres sort un projet, TOUS les rappeurs de Londres publient sur leurs réseaux que le mec a sorti un projet. Tu ne verras jamais ça en France.
Youv Dee : Ou alors chez les Suisses, les Belges.
Sirap : Ou Ninho avec Gradur, Ninho avec Nekfeu. Ça reste l’élite du rap français. Ils sont déjà au-dessus, mais ils peuvent s’entraider parce qu’ils sont déjà tous là-haut. Mais je ne pense pas que les gens se poussent tous pour arriver en haut en même temps. C’est plutôt une fois qu’on est là-haut.

 

Vous ressentez une espèce de concurrence à Paris ? Un peu de jalousie entre les rappeurs ?
Sirap : Non, chacun fait la musique qu’il a envie de faire.
Ars’n : Il y a peut-être des jaloux mais nous en tous cas on n’est jaloux de personne.

 

Vous dites souvent que vous n’avez pas de messages dans vos textes. Vous faites ça juste pour kiffer, pas envie d’avoir de côté moralisateur ?
Sirap : Le rap à la base c’est, tu es derrière un micro, et tu dis ce que tu as envie de dire.
Youv Dee : On a déjà eu des années de rap “petit frère fais pas de bêtises”. S’ils ont envie de recevoir des leçons, ils n’ont qu’à fouiller un peu dans le passé du rap. Mais nous on exprime notre génération.

 

Ça ne sert à rien aujourd’hui ?
Assy : Non ce n’est même pas que ça ne sert à rien, c’est qu’on n’est pas des exemples.
Sirap : On est juste des jeunes qui faisons la fête souvent, qui fumons, qui jouons à la console. On est des ados normaux, on n’a pas de conseils à donner à qui que ce soit.
Ars’n : De toutes façons ça s’est fait comme ça. On ne s’est pas posés derrière le micro en décidant tel ou tel truc.
Youv Dee : On n’est pas à se dire “Oh tiens, aujourd’hui je vais transmettre tel message” ; “Oh tiens aujourd’hui j’aimerais défendre telle opinion”. Non, on met une instru, et on bosse quoi.
Assy : C’est bien, c’est intéressant comme manière de rapper, mais pas pour l’instant. Je suis jeune, je vais profiter. Il y a le temps encore.

 

Vous faites pas mal de banger. Quand vous voyez la foule transpirer et bouger sur vos sons ça vous fait quoi ?
Ars’n : On kiff !
Youv Dee : Ça fait plaisir. C’est la reconnaissance ultime de voir des gens chanter tes paroles et prendre du plaisir juste à te voir. Tu te dis “ok, on n’a pas bossé pour rien”.
Ars’n : Oui parce que tu peux voir des chiffres mais si tu ne vois rien en vrai, que les gens ne vivent pas ta musique, c’est chiant. C’est bien de voir que les gens vivent ta musique.
Assy : C’est un beau résultat.

 

Ars’n, ça te fait quoi que Arsène Wanger quitte l’Arsenal ? Tu vas changer de blaze ?
Ars’n : C’est la vie hein. Mais non, jamais je ne changerai de blaze ! Je ne suis même pas fan du type au final, mais c’était juste pour le jeu de mot. C’est un grand coach qui s’en va. C’est comme Alex Ferguson.

 

Vous avez eu avant une culture rock, vous en avez écouté, vous en écoutez encore ?
Sirap : Moi j’ai mon daron qui faisait de la musique méga punk, méga underground. Je pense qu’il a toujours voulu que j’écoute ça, mais je n’ai jamais aimé bizarrement. Moi j’écoutais du rock en mode vraiment classique. Green Day, Blink 182, des trucs comme ça, en 2006 quand j’étais au collège et tout. C’est marrant que maintenant les gens me mettent dans le rap entre guillemets rock et qu’il y ait des prod° là-dessus parce qu’il n’y a personne qui ne l’avait vraiment fait en France. C’est méga chaud. Surtout travailler avec des gens qui font des prod° à chaque fois dézinguées.

Skuna ?
Ars’n : Exactement. Le grand Skuna.

 

La manière dont les rappeurs appréhendent la scène aujourd’hui, ça se rapproche vraiment des prestations scéniques des rockeurs.
Assy : Ouais c’est en mode rockstar un peu
Youv Dee : Ça va avec ce qu’on fait. On ne faisait pas de la musique à la base pour faire se lever les bras, en disant “sortez les briquets”. On voyait déjà ce qui se passait aux Etats-Unis, même dans le reste de l’Europe et pas encore en France, les gens allaient en concert pour s’amuser, plutôt que pour écouter. On s’est dit qu’on allait faire pareil ici.

 

Vous avez écouté plus de rap américain en générale ?
Youv Dee : Personnellement je pense oui.
Ars’n : J’avoue je me suis bien rattrapé en rap américain. Je pense que j’écoute plus de ricains.

 

Vous pensez que la drogue vous aide un peu à trouver l’inspiration pour écrire ?
Youv Dee : Ça fait partie de notre quotidien. Parfois si on n’en prenait pas on n’aurait pas envie de créer. Mais ce n’est pas aussi stimulant que quand t’es jeune et que tu commences.
Ars’n : C’est une habitude.
Youv Dee : Si on ne fumait pas on ne se dirait pas “tiens, j’ai envie d’écrire” ou “tiens j’ai envie d’aller en studio”.
Sirap : C’est vrai qu’il y a un état de “défonce” qui te donne envie d’écrire. Il y a des mood comme ça quand tu es sous potion, tu as plus envie d’écrire. Mais tu ne pourras pas poser en studio. Un petit peu de beuh, un petit peu de lean, et hop, c’est parti. C’est très libérateur.
Youv Dee : Il ne faut pas fumer.
Sirap : Exactement.

 

Vous auriez qui à me citer que vous écoutez en ce moment ?
Tous : Zidi, Stensy, ThaHomey, l’Ordre du Périph, Sirap, Youv Dee, Assy, Ars’n, Swan… et du rap américain !

 

Quoi en rap américain ?
Tous : Oh, la liste est longue… Ohtrapstar, Lil Skies… Beaucoup de lean ! On aime bien Playboi Carti, XXXTENTACION…
Youv Dee : En vrai toute la New Wave on a toujours tout capté au bon moment. Donc on est toujours très pointilleux sur ce qui sort, et je pense que c’est un bon truc pour la musique qu’on fait, d’être au courant des actus au moment où ça pète aux Etats-Unis et pas quand ça a un succès mondial et que ça influe là sur notre musique à nous. Au moment où ça arrive, ça fait un an qu’on l’a déjà fait.

 

Interview à paraître prochainement dans la version papier de iHH Magazine.