Si Grödash est un nom qui ne vous est pas inconnu, c’est que le MC du 91 s’est affairé à être présent sur de nombreux terrains. Celui qui occupe régulièrement le devant de la scène pour ses actions musicales, ses activités associatives et bien d’autres encore, n’oublie jamais d’alimenter les oreilles du public rap averti. Retour sur une année 2023 encore loin d’être terminée pour lui…
Interview : Gina ROVERE
Photos : Sébastien GIROD
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GRÖDASH : L’idée m’est venue en 2020. Je me disais que ce serait bien de fêter les 10 ans du label associatif Flymen Vision avec lequel on a sorti beaucoup de projets et de compilations. Finalement 2021 est passé, 2022 aussi. Je me suis dit que 12 ans d’âge ça se fêtait aussi. L’idée à la base, c’était de rassembler les titres qui avait le plus streamé parmi tout ce qu’on avait sorti. Mais Dim’s, qui a intégré le label il y a 2 ans, m’a convaincu de faire des inédits. Je me suis dit qu’on avait la pêche et qu’on pouvait le faire. Il a été d’une grande aide pour faire tous les enregistrements et la logistique du projet. Plutôt que de fêter ça avec un best-of comme le font souvent les maisons de disques, on a décidé de lancer une nouvelle série. Avec l’idée de faire plusieurs volumes et d’inviter les gens qu’on n’a pas forcément l’occasion d’inviter sur nos albums mais qu’on croise souvent et qu’on apprécie même si nos styles n’ont parfois rien en commun.
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GRÖDASH : C’est 100 % feeling. On a une équipe type, on pourrait dire. Les artistes affiliés au label qui travaillent avec nous tout le temps (Dim’s, Sep Dads, Nars…) et puis il y a les satellites, les gens qui traînent avec nous, les gens qu’on croise souvent (Furax Barbarosa, Melan, Kizito…). On se voit assez souvent mais on ne fait pas systématiquement de son ensemble. Donc c’était l’occasion. Plutôt que de passer du temps à chiller, on s’est dit que ce serait cool de faire de la musique. Ça nous a permis d’enchaîner rapidement plein de morceaux. On en a même trop fait. On a été obligé d’en sélectionner et de les sortir. Donc il reste plein de morceaux en stock. Il y a aussi Bomoko Ba Nkoy, avec qui on travaille au Congo donc il y a cette ouverture vers l’international. Chez Flymen on est souvent dans des avions ou des trains parce qu’on essaie de voyager beaucoup pour nos projets sociaux et musicaux. Donc voilà, on avoulu que cet aspect soit retranscrit sur le projet.
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GRÖDASH : À la base, Flymen Vision c’est RC Lorakl et moi. RC qui a fait le titre “Rien n’a changé”. C’est lui qui a enregistré et mixé mon album “Enfant soldat” il y a 10 ans. Il a beaucoup travaillé à la création du label grâce à ses compétences en informatique. Il est autodidacte pour tout ce qui est mix et enregistrement. C’est lui aussi qui a amené chez Flymen cet état d’esprit qui veut que même si on n’a jamais fait quelque chose et qu’on ne sait pas forcément le faire, on se lance quand même et on va déchirer. C’est un peu parti comme ça. Il y avait l’équipe de base et ceux qui se sont greffé au fur et à mesure des années. Nars, je l’ai connu à Bordeaux il y a 6 ans et puis d’autres artistes, comme Melan, que j’ai connu pendant le confinement. C’est vraiment au feeling, on ne se prend pas la tête. Ul’Team Atom, c’est une histoire d’amitié de 20 ans. ATK, c’est pareil. Donc là, on s’est dit qu’il fallait laisser la place aux nouvelles connexions. Ça peut aussi être une bonne occasion d’avoir des morceaux en commun à faire sur scène, comme avec Fanny Polly que je croise souvent en concert. K’fear de la Brigade avait déjà posé sur la première mixtape de Ul’Team Atom en 1999 donc ça fait longtemps qu’on est des grands fans de ce qu’il fait et comme j’ai vu qu’il revenait sur le devant de la scène, je l’ai invité. Donc voilà c’est que des occasions comme ça.
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GRÖDASH : En vrai, on leur proposait des trucs mais c’était à eux d’exprimer leur volonté. Par exemple pour ce qui est du morceau avec Furax Barbarosa, j’avais sorti le freestyle “Thugs-N-Harmony” et Furax a pété un plomb, il m’a dit qu’il aimait beaucoup cet instru et qu’il voulait rapper dessus. Alors, même si le projet était déjà sorti, je lui ai dit qu’on pouvait faire une version ensemble. Voilà, certains ont eu des coups de cœur sur des prods. On a pas mal de beatmakers qui nous ont fait des prods : Mukendi, Itam, CasaOne. On travaille avec pas mal de gens et on essaie de mélanger un peu les styles. C’est un projet qui se voulait éclectique. On a l’habitude de sortir chacun des projets un peu plus homogènes mais pour la compilation, on voulait que tout le monde puisse se sentir représenté. On voulait aussi qu’il y est les différentes générations de Flymen. On n’a pas encore mis les Flymen babies, parce qu’on a aussi
des rappeurs de 16-17 ans. On n’a pas eu le temps de les mettre mais sur le volume 2, il y aura vraiment de la cinquantaine à la dizaine.
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GRÖDASH : Flymen Vision, c’était à l’époque des drones et des FPV. Je crois que j’étais un des premiers rappeurs à en mettre dans mes clips. Donc on a kiffé le délire de vision aérienne, on avait un genre de teaser comme ça. Et puis il y a un petit rapport avec la smoke aussi, on ne va pas mentir. Ça plane, ça réfléchit, ça s’inspire. Voilà, la vision des hommes volants. C’était aussi un clin d’œil à une série des années 2000, “Heroes” dans laquelle un mec avait le pouvoir de voler et quand Hiro Nakamura le voyait, il l’appelait “Flymen !”. J’avais kiffé ce délire-là et je pense même qu’on va en faire un jingle.
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GRÖDASH : L’ambition c’était de s’y retrouver. Parce que je me suis rendu compte que ma musique avait remplacé le peu d’activité professionnelle que j’avais. J’ai essayé de travailler un petit peu pour avoir des fiches de paie et un logement mais au bout de 4-5 mois, je me suis retrouvé avec des DJs, Saïd et Nasser, à faire des animations de soirée, à récupérer des 200-300 euros par soir et ça a vite remplacé mon salaire. J’ai très vite arrêté de travailler mais je ne voulais pas que mon frigo soit dépendant de ma musique. Je ne voulais pas être obligé de faire des trucs commerciaux pour que ça fonctionne. Donc je me suis dit qu’il fallait que j’arrive à me diversifier, à proposer des services dont tous les artistes ont besoin pour la création de leurs albums. Je me suis vraiment spécialisé dans la création d’identité visuelle. Donc on faisait des sites pour des restaurants et des artistes. Ensuite on a commencé à faire des clips, des reportages et de la captation en concert. Et puis j’ai quitté la structure dans laquelle j’étais et je me suis dit que je ne pouvais pas aller dans des labels qui voulaient me signer et avoir mon label à côté. Si je veux signer un artiste, je ne peux pas lui dire que je suis chez Sony Music et l’inciter à signer chez Flymen. Je savais que ça prendrait plus de temps mais qu’au moins je maîtriserais tous les paramètres qui permettent de se professionnaliser et que je pourrais par la suite transmettre ce savoir. C’est pour ça qu’on s’est mis en association parce qu’on voulait vraiment apprendre les rouages du métier et les transmettre à des jeunes lors d’ateliers. C’est ce qui a donné aujourd’hui l’académie du hip-hop et toutes les interventions qu’on fait. C’était important pour nous de ne pas griller les étapes, de se taper tous les sens interdits et les feux rouges du rap français pour pouvoir conseiller les jeunes par la suite. J’ai eu beaucoup de propositions pour signer dans des maisons de disques ou des gros labels mais après mon expérience avec Néochrome, je voulais faire ça seul.
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GRÖDASH : Oui. Parce que je suis très productif et qu’à l’époque il fallait attendre son tour pour sortir un CD. Il y avait des frais de production et de pressage, il n’y avait pas les plateformes. Et moi j’étais un peu un électron libre, dans le sens où je venais de mon groupe, Ul’Team Atom, des Ulis. On avait fait “Dégaine Ton Style”, j’avais ma propre histoire avant Néochrome et je ne me sentais pas d’attendre que les artistes sortent leur projet pour sortir le mien. J’avais des titres à balancer dans l’actu et je savais qu’en signant dans une structure je serais tributaire de cette attente-là. Je me suis dit qu’il valait mieux foncer tout seul et apprendre.
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GRÖDASH : Le projet est un peu né des ateliers d’écriture qu’on a fait qui s’appelaient “Levez l’Encre”, en référence à un morceau de mon album “Enfant soldat”. On a commencé à faire ces ateliers mais on s’est rendu compte que s’en tenir à de l’écriture ne suffisait pas. Ce n’était pas représentatif du travail qu’on voulait faire avec lesenfants donc j’ai essayé de leur faire poser leurs textes sur instrus, pour les aider ensuite à en faire des clips. Ça se passe bien depuis 2011 et au fur et à mesure des années, je me suis rendu compte qu’il y avait aussi certains profils qui n’étaient pas à l’aise avec leur image ou qui avaient envie d’être dans le milieu sans forcément être exposés. On apprend aux jeunes à être des artistes mais on ne leur apprend pas ce côté psychologique qui va avec le fait de devoir gérer son image. Aujourd’hui il y a quand même les bad buzz et tout ça. D’ailleurs, même les good buzz peuvent être dur à gérer. Ton entourage change, tu peux avoir de moins en moins d’amis ou plein d’amis d’un coup. Ça peut être bizarre. On s’est dit qu’il fallait aussi proposer des activités pour ceux qui voulaient être derrière la caméra. Les photographes, les managers, les journalistes, ceux qui sont dans la recherche de financements, les graphistes, les beatmakers. Il y a tellement de professions qui peuvent leur permettre de rester dans l’environnement hip-hop sans devenir forcément une personnalité publique. La célébrité peut poser problème par rapport aux convictions religieuses, par rapport à la famille. Il faut qu’on respecte les limites de chacun et qu’on les oriente. C’est comme ça qu’on a réfléchit à cette académie itinérante qui se balade de ville en ville et qui encadre déjà une cinquantaine de jeunes dans toute l’Ile-de-France. On a aussi des projets à l’international. Mais c’est avant tout le faire ensemble qui m’intéresse parce que quand tu touches à la photo ou à la vidéo, au début c’est pour photographier ou filmer tes potes. Ce sont des compétences que tu as mais que tu ne peux pas forcément utiliser pour toi-même. Donc tu as besoin des talents de tout le monde : un qui enregistre, un qui filme etc. Aujourd’hui il y a un fort taux d’individualisme. Les gens se font des cyber amitiés sur les réseaux mais on a beaucoup de jeunes qui faisaient de la musique tout seul dans leur chambre et le fait de se retrouver dans l’académie, ça les force à être à la fois dépendants et indispensables dans le groupe. Donc voilà, ces valeurs-là sont super importantes pour nous.
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GRÖDASH : Quand on a commencé à faire de la musique, c’était difficile de faire des morceaux qui ne racontent rien. Donc on s’est spécialisés dans l’art de la punchline, avec les évènements qu’on a fait comme “Dégaine ton style” qui ont donné le film documentaire “Clasher l’Ennui”. On avait un surnom à l’époque avec l’Amalgame, Sinik et compagnie, on nous appelait “La rime qui blesse”. Donc il fallait qu’à chaque rime il y ait du sens. Pour moi, quelqu’un qui a du flow, c’est quelqu’un qui met son flow auservice du sens. On ne peut pas avoir que du flow. Mais il y a aussi le fait que j’ai des parents vachement engagés politiquement et socialement. Donc même si j’ai pu faire le malin dans ma jeunesse à raconter plein de bullshit, j’ai toujours eu ce côté revendicatif. Je voulais raconter mon histoire : j’ai quitté l’Afrique, en venant ici je pensais que ce serait comme sur les cartes postales, j’ai été déçu, je suis retourné en Afrique, j’ai revu la misère, je suis revenu. J’ai pris plein d’inspiration en 2015 en passant quelques années au Congo avec ma famille. C’est difficile pour moi, avec tout ce qu’on vit au quotidien d’écrire un texte qui ne parle de rien. Tout le monde a des revendications, ça pète de partout. Mais je pense que mon background fait que j’analyse la situation d’une manière qui m’est propre et ça peut être un plus pour les gens qui m’écoutent d’avoir ces nuances-là. Parce qu’à côté il y a un discours très unifié dans certains médias qui ont tendance à ériger certaines personnes en héros et d’autres en minables. Voilà, il faut parler de ces choses-là sans souler les gens pour autant, parce qu’aujourd’hui le rap à thème, le rap engagé c’est un peu hasbeen.
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GRÖDASH : Oui, les gens ont du mal à se concentrer et d’après moi, ça va avec le scralling. Pour mon prochain album peut-être que je prendrais le temps de développer des grosses thématiques mais pour l’instant j’envoie plutôt des petites images, des trucs marrants qui peuvent faire réfléchir sur des choses du quotidien. En vrai, j’avais arrêté la musique pendant 4/5 ans et là je suis en train de me retrouver. Et pour moi, c’est important de garder cette verve que j’avais en 2008/2010 quand je sortais “Charme du ghetto”. C’est un morceau qu’on peut penser égotrip mais qui est rempli de revendication.
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GRÖDASH : Oui. Nous, on a commencé le rap en groupe et c’est ce que j’essaye de faire avec l’académie. Pour moi, c’est une aventure et c’est la seule aventure professionnelle qu’on peut faire avec ses potes. Parce qu’à un entretien d’embauche tu dois y aller tout seul, ça ne te viendrait même pas à l’idée d’y amener un ami. Il y a une histoire qui m’a frappé : quand je suis arrivé aux Ulis, le club de Monaco était venu chercher un jeune joueur chez nous. Ils sont allés sonner à sa porte et ils lui ont dit de faire ses valises pour venir avec eux. Il a demandé s’il pouvait ramener ses potes. Ils lui ont dit non, alors il n’y est pas allé. Mais à l’école, on ne t’apprend que l’individualisme, il y a très peu de travail en groupe. On n’incite pas à travailler ensemble alors que pour moi, la magie c’est d’être complémentaires et que chacun apporte la force qu’il a dans une matière, dans un domaine. Comme aujourd’hui, je peux travailler avec Mehdi qui fait du marketing, avec RC qui fait tout ce qui est mise en ligne sur les plateformes, avec Additive Music qui gère la distribution. C’est le travail d’équipe qui est important. C’est en groupe qu’on atteint l’excellence et qu’on apprécie le plus. Ce n’est pas intentionnel mais on a toujours eu une affection pour les collectifs.
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GRÖDASH : Bah oui, parce que les rappeurs voient qu’ils y arrivent avec leurs copains mais qu’après il faut partager. En solo, c’est vrai que c’est plus lucratif mais en équipe c’est quand même plus kiffant. Mais rien ne t’empêche d’être en équipe et en solo, comme Furax par exemple.
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GRÖDASH : Oui, voilà. J’aurais même voulu avoir trois ou quatre groupes comme Fat Joe. Il était dans D.I.T.C., Terror Squad, etc. C’est chanmé, ça crée l’émulsion. Tu n’as pas le temps de dormir, t’es dans le truc, tu vis. Regarde, Nekfeu il était dans combien de groupe ? S-Crew, L’Entourage, 1995. Ça, c’est la magie, tu vois. De là tu prends une inspiration de dingue avec tes potes.
… la suite dans les pages du prochain numéro PAPiER de iHH