Dhafer Youssef, Rokia Koné, Tao Ehrlich, Tiken Jah Fakoly et une pléiade de maîtres gnaoua nous invitent à célébrer audace de l’imaginaire et tolérance.
Trois jours et trois nuits durant, le 26e Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira, sur le littoral atlantique du Maroc, retentit d’hypnotiques appels à la transe. Caractéristiques de l’héritage gnaoua, l’ancestral luth-basse guembri et les chevauchées rythmiques des qarqabous (crotales) se tressent fougueusement avec des grooves éminemment contemporains autant qu’avec des musiques tradi-futuristes qui ont grandi sur d’autres continents. Alors que s’élèvent de plus en plus de murs et de refus de l’autre, cette ode à l’imaginaire et la tolérance s’avère des plus salutaires.
La musique gnaoua inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco
Œuvrer à la reconnaissance de la culture gnaoua et de ses représentant.e.s, longtemps invisibilisé.e.s, méprisé.e.s, tel a été l’objectif que s’est fixé l’équipe fondatrice du festival, dès 1998. Superbement relevé, le défi a conduit, en 2019, à l’inscription de la musique gnaoua au patrimoine immatériel de l’Unesco. Cette tradition, perpétuée notamment par des descendants d’anciens esclaves venus d’Afrique subsaharienne, et remontant au moins au XVIe siècle, gagne enfin ses lettres de noblesse ! Autre victoire, l’obtention d’une couverture sociale et de la carte d’artiste pour les musicien.ne.s des confréries. Bien davantage qu’un simple festival, le rassemblement annuel qui attire une foule chamarrée est un pont lancé entre tradition et modernité, entre les cultures et les peuples du monde.
350 artistes, dont 40 maâlems (ou “maîtres”) gnaoua, 54 concerts, répartis sur deux grandes scènes (l’une, sur la place principale Moulay Hassan et l’autre, sur la plage) et une belle poignée de lieux plus intimes, notamment le splendide Borj Bab Marrakech. Sans oublier les concerts de rue, les ateliers ouverts au public, le Forum des Droits Humains (thème de cette année, “Mobilités humaines et dynamiques culturelles”), l’exposition “Entre jeu et mémoire” (au Borj Bab Marrakech), l‘Arbre à Palabre… On ne sait plus où donner de l’oreille et des yeux, tant la cité des alizés nous comble de ravissements artistiques et intellectuels. Coup de chapeau au convivial Arbre à Palabres (20 et 21 juin, de 16 à 18 heures), libre d’accès et qui, sous l’égide d’Emmanuelle Honorin et de Touria Bourouissa, accueille artistes et public autour d’un thé à la menthe ou d’un café, dans le décor enchanteur de la terrasse de l’Institut français.
Toujours impressionnante, la parade d’ouverture, qui vient de lancer cette 26e édition, a attiré, dans les rues d’Essaouira, un monde fou, autour du cortège formé par les compagnies. Exceptionnelle opportunité de voir les maâlems gnaoua dans leur quasi-totalité… Puis, le soir, sur la scène Moulay Hassan, l’émérite Maâlem Hamid El Kasri et la compagnie sénégalaise Bakalama, entre autres, ont écrit, sur le vif, une époustouflante épopée rythmique alliant guembri gnaoua et tambour sabar wolof.
Ne pas manquer, le 20 juin, sur la scène Moulay Hassan, le prodigieux vocaliste et oudiste tunisien Dhafer Youssef, qui s’associera avec Maâlem Morad El Marjan. Je garde à jamais le souvenir du feu de joie auquel Dhafer Youssef nous invita, en 2010, avec ses complices, le pianiste arménien Tigran Hamasyan et le guitariste français d’origine vietnamienne Nguyen Lê. Dans la vidéo suivante, on ne le voit pas chanter. Mais, lorsque sa voix monte au ciel, elle atteint, tant sa tessiture est large, des cimes rarement entendues, grisantes, bouleversantes.
L‘émérite chanteuse malienne Rokia Koné, membre du collectif féministe Les Amazones d’Afrique, succédera à Dhafer Youssef, sur le même plateau, avant de se joindre à Maâlma Asmaa Hamzaoui(*) et son groupe Bnat Timbouktou, pour un hymne à “la résistance et la sororité”. Chanteuse et joueuse de guembri issue d’une famille gnaoua, Maâlma Asmaa Hamzaoui incarne le renouveau de cet art séculaire.
Le 21 juin, le Cubain Cimafunk embrasera la scène Moulay Hassan, de son cocktail hip-hop, funk et afro-caribéen, qu’il combinera ensuite avec la virtuosité de Maâlem Khalid Sansi. Auparavant, Maâlem Mohamed Boumezzough aura opéré une création avec le Marocain Anas Chlih (inventeur de l’ouitar, instrument entre loutar et guitare), le maître balafoniste ouest-africain Aly Keïta, Martin Guerpin, saxophoniste (et maître de conférences en musicologie à l’Université Paris-Saclay), le trompettiste Quentin Ghomari, la chanteuse et comédienne Hajar Alaoui et le palpitant batteur Tao Ehrlich. Ce dernier n’est autre que le fils du multi-instrumentiste Loy Ehrlich, qui, à l’instar de l’érudit rythmicien Karim Ziad, a participé à la programmation du festival et a contribué à l’excellence de celui-ci.
La quintessence de l’art gnaoua nous est proposée lors des “Concerts intimistes” des maâlems, chaque soir, à partir de 23 heures, dans la magnifique salle Dar Souiri, dans les zaouias Issaoua et Sidna Bilal, ainsi qu’à Bayt Dakira. La zaouia désigne l’établissement affecté à une confrérie. Quant à Bayt Dakira (“Maison de la Mémoire”), il s’agit d’un emblématique espace culturel inauguré en 2020, visant à préserver la mémoire plurielle et collective – en particulier musulmane et juive – de la ville. Les “Concerts intimistes” sont les seuls qui soient payants, tout le reste de la foisonnante affiche étant d’accès gratuit.
Talentueuse relève de la tagnaouite
Outre Tiken Jah Fakoly (le 21, à minuit 30), chef de file contestataire du reggae made in Africa, la scène de la plage, face à l’océan, recevra le légendaire Maâlem Mustapha Baqbou et son héritier, Maâlem Najib Oubelkas, ainsi que l’incomparable Maâlem Mohamed Kouyou. Cette scène accorde une place au soleil à la talentueuse relève de la tagnaouite (l’art, la spiritualité et la philosophie gnaoua), parmi laquelle comptent Driss Semlali, Mehdi Kardoudi, Yassine El Bour et Redouan El Kasri. Mention spéciale à The Leila (21 juin, 22 heures), insoumise poétesse et musicienne marocaine, qui, sans frontières stylistiques, explore divers legs maghrébins, reggada, rock…
Le programme Berklee At Gnaoua And World Music Festival, initié depuis peu en partenariat avec le prestigieux Berklee College of Music, répond à la mission de transmission chère au festival d’Essaouira et à sa volonté de développer, au niveau international, la connaissance de la culture gnaoua. Dans un dessein analogue, en 2009, grâce aux efforts conjugués du festival et de l’association Yerma Gnaoua (fondée par des maâlems), a été publié le remarquable coffret “Anthologie des Gnaoua”, précieux outil pédagogique et document perpétuant un legs immémorial.
(*) Maâlma Asmaa Hamzaoui : maâlma, équivalent féminin de maâlem.
INFORMATIONS PRATIQUES :
Du 19 au 21 juin 2025, Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira
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