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DJ CLiF

Des Bosquets de Montfermeil (93) aux scènes de New York et de Los Angeles, DJ CLiF fait résonner ses scratchs et ses rythmiques boom-bap à travers la planète hip-hop. Avec plus de 270 vidéos sur sa chaîne YouTube, cet artisan du son, reconnu par des légendes comme LL Cool J, Ice-T, B-Real, Twista, Realmatick, Onyx et Pete Rock, revient sur son parcours d’activiste passionné et sur son engagement indéfectible pour la culture hip-hop.

Interview : Claude EisZ

iHH : Dès 1995, tu te structures en créant le label 93 All Stars pour sortir tes premières mixtapes “Sound Station”. Comment as-tu réussi à t’imposer dès le départ dans le mouvement hip-hop en tant que DJ sous le blaze de Clif ?

DJ CLIF : À cette époque, c’était la mode de créer des labels. Cela donnait une certaine structure et on pensait pouvoir en vivre ! Depuis, ma vision a évolué, notamment après quelques déconvenues. Maintenant, j’écarte le superflu et je vais à l’essentiel, pour que chaque sortie soit rentable. Cependant, j’ai conservé l’esprit street-marketing (stickers, affiches…) pour accompagner chaque projet. Les goodies, les gens aiment ça !

iHH : Tu es de l’époque des mixtapes. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

DJ CLIF : Bien sûr. J’en ai fait six, dont deux qui ont bien marché (la “Capitaine Flam” et “La Démo”). Ça a été un tremplin pour ma carrière et m’a permis de faire mes premiers pas. À l’époque, c’était difficile de se faire une place ; la concurrence était rude, le travail de qualité et la musique n’étaient pas aussi accessibles qu’aujourd’hui. Cette période m’a appris l’organisation et à mener un projet du début à la fin.

iHH : Ton premier album en tant que DJ/Beatmaker, “Influences”, sort en 2011. Comment est né cet album ?

DJ CLIF : Je me suis enfermé 5 ans dans mon labo pour apprendre les bases de la production. À l’époque, c’était bien plus complexe niveau configuration matérielle qu’aujourd’hui, avec des machines coûteuses, des manuels en anglais uniquement, des limitations comme le MIDI, et des disquettes pouvant contenir quelques secondes d’échantillonnage seulement. Bref, des problèmes que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître [rires] ! Aujourd’hui, avec les logiciels, tout est simplifié. Avec le hardware, tu as plusieurs machines à connecter ; avec le software, tout est dans l’ordinateur.

iHH : Justement, en tant qu’artiste DJ et beatmaker, quelles sont tes influences ?

DJ CLIF : Mes influences sont variées. J’ai grandi en banlieue avec la soul, le funk et plus généralement la musique des années 70, styles les plus répandus dans les quartiers à l’époque. Le hip-hop n’était pas encore aussi ancré dans le paysage musical français. D’ailleurs, j’encourage les jeunes à s’intéresser à tous les styles de musique, car il y a du bon partout !

iHH : De cet album à aujourd’hui, crées-tu toujours tes titres à partir de samples ?

DJ CLIF : Oui, toujours ! C’est mon école et l’essence de cette musique. Après, c’est ce que tu en fais ! On peut soit commencer par les drums [éléments de batterie – NDLR], soit par la découpe du sample. Les techniques ont évolué : aujourd’hui, on peut même retravailler un sample connu (à l’époque, c’était considéré comme un sacrilège !) et en faire un morceau totalement différent. C’est notamment grâce à l’évolution des rythmiques. Cela a bougé la manière de produire. Cette évolution ouvre de nouvelles possibilités.

iHH : Les nouvelles technologies, DAW et plugins notamment, ont-elles modifié ta façon de produire tes beats par rapport à tes débuts ?

DJ CLIF : Pas vraiment. Je ne suis pas très branché plugins ou nouvelles technologies. Ce qui m’intéresse, c’est de faire du son, alors je vais au plus simple.

iHH : Peux-tu nous parler de ton processus créatif ? As-tu des rituels, des moments ou des lieux spécifiques qui inspirent ta créativité ?

DJ CLIF : Je m’inspire de tout. Je suis très observateur. Un bon film, une scène, une réplique, une musique ou un lieu peuvent m’inspirer. Je crée par impulsion ; dès que j’ai une inspiration, je branche les machines et je me lance. Je suis tout sauf scolaire. J’encourage d’ailleurs chacun à s’intéresser à différentes disciplines (vidéo, photo, production, scratch), car elles se rejoignent et enrichissent la créativité. Par exemple, quand tu fais un son, tu penses à des images et inversement. C’est très intéressant de voir le lien qu’il y a entre ces différentes spécialités. Toutes se rejoignent et enrichissent ta façon de voir et de faire de la musique.

iHH : Depuis “Influences”, les sorties deviennent de plus en plus régulières. Qu’est-ce qui a déclenché cette accélération dans la production de nouveaux projets ?

DJ CLIF : J’ai tellement de musique en stock que j’ai besoin de les sortir. Du coup, je suis pressé d’enchaîner les projets. C’est aussi une manière de prendre ma revanche sur les obstacles rencontrés pendant ma carrière.

iHH : De tes débuts à aujourd’hui, tu as toujours été en indépendant. Est-ce un choix délibéré ? Quelle est ta démarche ?

DJ CLIF : Bien sûr ! Je refuse d’être un produit marketing et de compromettre mon image pour un contrat. Je veux garder le contrôle de mon image et de ma musique. L’indépendance, c’est plus qu’un état d’esprit. C’est un mode de vie : faire ce qu’on veut, quand on veut, où on veut, et avec qui on veut. Cela n’a pas de prix !

iHH : Le EP “Unchained” est clin d’œil à la blaxploitation [Mouvement culturel et social propre au cinéma afro-américain des années 70 et au son soul de cette époque – NDLR]. Peux-tu nous dire plus ?

DJ CLIF : La blaxploitation m’inspire par son esprit d’indépendance. Elle a permis aux Noirs américains de créer leur propre cinéma dans les années 70, à une époque où ils n’étaient pas représentés dans les films grand public. Ils ont tout fait eux-mêmes en occupant toutes les fonctions (réalisation, acteur, bande-son, entre autres), créant un mouvement cinématographique et artistique fort.

iHH : Comment as-tu réussi à connecter et collaborer avec des MC du monde entier ?

DJ CLIF : Cela fait presque 15 ans que je collabore avec des MCs américains. J’ai été dans les premiers à le faire en France. J’ai vite compris qu’il fallait une vision internationale, et l’anglais est la langue la plus écoutée dans le monde. Au début, c’est toujours difficile, tu ne sais pas comment t’y prendre. Un coup, c’est toi qui sollicites le MC, une autre fois, c’est lui. À force de boulot et de pugnacité, ton travail fini par être écouté, reconnu et apprécié. Cela devient plus facile pour se connecter.

iHH : As-tu remarqué une différence d’approche entre les artistes internationaux et les artistes français ?

DJ CLIF : Complètement. C’est pourquoi je travaille davantage avec des Américains. Ils sont plus spontanés, tandis qu’en France, il y a souvent cette attitude à se regarder de travers pour se donner un genre, ce qui nuit à l’énergie, cela casse le délire. Comme je veux garder cette notion de plaisir, je préfère limiter mes connexions pour garder la good vibe.

iHH : Au sein de l’ensemble de tes collaborations, il y en a avec des anciens et des jeunes plus connus du public comme Benjamin Epps, Reks, UG des Cella Dwellas, Napoleon Da Legend, et d’autres avec des artistes moins connus comme GDA aka Gueule D’Ange ou encore Confucious. Comment les déniches-tu ?

DJ CLIF : En tant que producteur, je mets un point d’honneur à découvrir de nouveaux talents. Je cherche à donner de la visibilité à des artistes talentueux qui n’ont pas toujours l’exposition qu’ils méritent. C’est ma manière de rester ouvert à ce qui se fait. Mon public apprécie découvrir de nouvelles sonorités. Les vues, les likes et le buzz ne sont pas un gage de qualité !

iHH : Y a-t-il une collaboration qui t’a profondément marqué, que ce soit par l’intensité de la relation artistique ou l’impact qu’elle a eu sur ta vision de la musique ?

DJ CLIF : Toutes, à leur manière ! Je fonctionne au feeling, il doit y avoir une dimension humaine, sinon je ne peux pas faire de musique. Parfois il m’arrive de me tromper. Je ne vais pas faire de name dropping [rires] !

iHH : B-Real de Cypress Hill a utilisé une de tes productions pour l’introduction de son émission “Smoke box” où il discute avec la crème des rappeurs américains. Qu’est-ce que cette reconnaissance d’une légende du hip-hop US représente pour toi ?

DJ CLIF : Depuis, un moment, j’ai une relation forte avec les Etats-Unis. J’ai produit quasiment tout ce qui se fait de mieux dans l’underground US de Napoleon Da Legend à UG des Cella Dwellas en passant par Termanology pour ne citer qu’eux. Je suis suivi et soutenu par les plus grands noms du rap US. Ce qui me conforte dans ma démarche.

iHH : Malgré les hauts et les bas de l’industrie musicale, tu sembles toujours de bonne humeur dans tes vidéos, avec des expressions devenues ta marque de fabrique : “la pêche, la frite, la banane, une vraie salade de fruit…”. Comment fais-tu pour rester aussi positif et motivé après trois décennies dans le milieu ?

DJ CLIF : Je suis passionné ! M’impliquer dans toutes les étapes de la création d’un projet (la prod°, les cuts, la vidéo, la photo, le montage, le graphisme ainsi que la fabrication) me permet de rester motivé et de donner aux gens une échappatoire à travers ma musique. C’est le meilleur médicament contre la morosité de la vie ; encore plus par les temps qui courent.

iHH : Ton son est très 90’s. Pourquoi continues-tu de perpétuer cette manière de faire du hip-hop que l’on nomme désormais boom-bap ?

DJ CLIF : C’est avec cette sonorité que j’ai commencé, et même si je la fais évoluer, je reste attaché à ce style. On peut continuer à faire du boom-bap 90’s tout en évoluant son approche dans la manière de le faire. Avec des drums et des mélodies diverses et variées. Tantôt plus sombre, tantôt teinté de soul avec des voix pitchées ou avec des boucles de pianos jazzy. J’ai un spectre de production assez large allant de 65 à 100 bpm.

iHH : Le boom-bap reste ta signature sonore, mais penses-tu que ce style puisse coexister durablement aux côtés des courants actuels comme la trap ou la drill ? Qu’est-ce qui fait que le boom-bap reste pertinent aujourd’hui ?

DJ CLIF : C’est comme pour tout, la musique est un éternel recommencement. Il parait qu’après la drill ce sera le retour du boom-bap. Le plus important est de faire ce qu’on aime.

iHH : Y a-t-il des jeunes beatmakers ou producteurs actuels dont tu admires particulièrement le travail, et qui, selon toi, poussent le hip-hop dans une direction intéressante ?

DJ CLIF : Pour être honnête, j’écoute beaucoup de choses sans en retenir les noms. C’est un de mes défauts. Force à tous ceux qui font de la musique ou toute autre forme d’art.

iHH : Un de tes reels Instagram a été partagé par Pete Rock, faisant exploser tes vues de quelques milliers à plus de soixante mille. Quel impact les réseaux sociaux ont-ils sur ta carrière aujourd’hui, et as-tu développé une stratégie spécifique pour toucher une audience mondiale ?

DJ CLIF : C’est une reconnaissance gratifiante. Cela m’a flatté, c’est quand même quelque chose : c’est le Soul Brother #1 ! Et non, je n’ai pas de stratégie particulière. C’est la régularité et la cohérence de mon travail qui portent leurs fruits. Je n’ai pas de plan de carrière. Je fais tout avec le cœur. Je vais là où mon inspiration me mène.

iHH : Cela fait 5 ans que tes projets sont absents des plateformes de streaming. Qu’est-ce qui t’a poussé à arrêter de les y distribuer, et qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis récemment pour revenir sur ces supports ?

DJ CLIF : C’est un choix délibéré ! Je privilégie la vente directe en physique. Chacune de mes sorties se fait toujours en version vinyle, cd et des fois en version cassette audio. Ils ne sont pas disponibles sur internet, ni en magasin. Ils sont uniquement disponibles sur mes pages en message privé. J’aime le contact direct avec les gens. Ça reste très artisanal, authentique et underground. C’est ce qui me correspond.

iHH : Quelles sont tes projets à venir ?

DJ CLIF : Mes prochaines sorties sont mon album “La Petite Vibe 3” avec des invités US de qualité, une nouvelle mixtape de rap US underground et le dernier volume de “Breakbeat De Maboul”. De nouvelles collaborations US et françaises également. Et comme d’habitude, le rendez-vous quasi quotidien de mes petites vibes en vidéo : “Music produced or music produced and cuts by myself”. C’est un lien que j’ai avec mon public : un fil conducteur avec ma musique et mes projets.

iHH : Après tant d’années, comment parviens-tu à maintenir cet équilibre entre ta carrière d’artiste prolifique et ta vie personnelle ?

DJ CLIF : C’est la passion qui me maintient. Plus j’en fais, plus j’ai envie d’en faire. L’expérience me permet de travailler de manière efficiente et de préserver ma vie de famille.

iHH : Si tu pouvais revenir au tout début de ta carrière et donner un conseil au jeune DJ Clif, quel serait-il ?

DJ CLIF : Fonce ! N’attends pas après les autres. Sois d’emblée le plus autonome possible et donne-toi les moyens de réaliser tes envies. J’ai perdu trop de temps à attendre les autres. C’est aussi pour cela qu’aujourd’hui je suis hyper productif. C’est pour rattraper tout ce temps perdu !