Le pionnier du rap québécois Connaisseur Ticaso a dévoilé son premier album, “Normal de l’Est”, le 1er janvier 2021. Après plus de dix ans d’attente il n’a pas déçu, avec un projet qui rend hommage aux premières heures du hip-hop, tout en restant terriblement dans l’air du temps. Interview d’un véritable OG.
Interview : Dorian Lacour
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Non, je n’avais pas de pression. Premièrement parce qu’il n’y a personne de plus difficile que moi, je suis ma plus grande critique. Quand je rappe je ne me compare pas aux gens d’ici, c’est pas un manque de respect ils sont très forts, mais moi j’essaye de faire un album du niveau d’”Illmatic” ou d’”Only Built 4 Cuban Linx…“. Par contre les retours sont fous, la réponse du public est encore bien meilleure que ce à quoi je m’attendais. Je savais que les fans qui m’écoutent depuis des années seraient satisfaits, mais je m’attendais pas à une telle réaction du jeune public, des gens qui me connaissaient pas.
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Présentement oui, c’est le moment parfait. Peut-être que si j’étais revenu il y a trois ans ça n’aurait pas eu cet impact-là. Griselda m’a redonné le goût de rapper. Ils ont ramené ce style-là avec un vent de fraicheur. Si les gens qui ne font pas de boom bap commencent tous à en faire, ça va pas sonner crédible. Moi j’ai juste continué à faire ce que je faisais depuis le début.
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Je peux dire que je suis fier, pour un gars qui rappait et qui a arrêté pendant 7-8 ans, je sonne pas comme quelqu’un de rouillé. Sur certains points les gens me disent même que je me suis amélioré. Je suis fier de mon évolution, pas du côté de la carrière, mais d’un point de vue de l’art, de l’écriture, je suis toujours au niveau.
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En fait, moi et King [avec qui Connaisseur Ticaso formait le duo Blok B – NDLR], on est les premiers street rappeurs québécois crédibles qui ont atteint une popularité qui avait de l’allure. Dans la première génération rap, ça donne de la crédibilité. Quand j’ai commencé le rap les gens me voyaient dans la rue, en train de causer des trucs, de la rue. Mon nom est attaché à la rue, et puis ça fait longtemps que je rappe. On pourrait dire que je suis un peu le Kool G Rap d’ici.
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Je dis que c’est assez simple, vous avez tellement de rap de qualité chez vous que les gens n’ont pas besoin d’aller se casser la tête ailleurs. C’est comme à New York, pendant une bonne période les gens s’en foutaient de ce qu’il se passait hors de New York. Maintenant ça a changé avec Atlanta, mais pendant longtemps c’était le cas. Je me dis que pour vous c’est un peu pareil, vous avez pas besoin de chercher ce qui se fait en dehors de France. Nous on avait fait une chanson avec Zoxea à l’époque [“J’espère que t’as ton glock” avec Blok B – NDLR], mais ça reste là. Vous avez tellement de qualité et d’histoire de rap, je pense que c’est pour ça.
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Non pas du tout, je ne le connais pas personnellement mais je vois bien qui c’est. Si quelqu’un prend un seul rappeur pour dire que là-bas tout ressemble à ça, c’est qu’il ne réfléchit pas. Roi Heenok s’est fait un nom, il s’est infiltré, c’est bon pour nous, no matter what. Au pire ça va rendre le monde curieux de voir ce qu’il y a comme autres rappeurs au Québec, donc c’est bénéfique. Mais y a aussi Enima qui a fait pas mal de bruit en France il me semble.
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Oui c’est sûr, parce que j’aime la compétition. En France il y en a beaucoup, avec toutes vos légendes, c’est une grande arène un peu. Je veux aller en France pour voir ce qu’il y a. Pour ce qui est de me développer commercialement, d’après moi ça va dépendre de la promo. Mais je me dis que n’importe qui qui aime le vrai rap, s’il tombe sur mon album, il va aimer. C’est vraiment moi qui raconte ma vie…
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C’est ça en fait, et le monde se trompe des fois. Quand ils entendent ce que je raconte ils pensent qu’on glorifie. Nous dans ce qu’on vit on a pas le choix d’avoir une attitude positive, on est du monde fort. Quand on raconte les bad trips on les raconte avec un air joyeux. Toutes les épreuves, quand tu réussis à les traverser, t’es fier. Ça peut être ambiguë mais c’est vraiment ça. C’est pas de ma faute, c’est ma vie, c’est ce que j’ai toujours vécu. Je n’ai pas d’excuses, je suis pas une victime, je savais ce que ça impliquait quand j’ai commencé.
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Jusqu’à maintenant ils font du très bon job. Je savais que c’était sérieux parce que Carlos Munoz [le co-fondateur de Joy Ride Records – NDLR] voulait me signer à l’époque. Mais dans ces temps-là ma tête n’était pas à rapper. Je voulais juste m’en sortir, prendre une avance et aller faire ce que j’avais à faire dans la rue avec ça, c’était mon state of mind. J’ai réalisé au fil des années que je devais avoir une équipe focus h24 sur la musique. J’aime rapper mais ma tête était toujours contrariée par d’autres choses qui se passent dans la rue. Ça a bloqué ma carrière, j’avais des casiers, j’ai fait de la prison, l’album a été décalé… On était pas toujours focus, mais quand j’ai décidé de me concentrer sur le rap, j’avais vu la compagnie de Carlos monter, donc je me suis rapproché d’eux.
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C’est quelqu’un qui était dans l’entourage de Tyjeï Diezel, c’est comme la famille pour moi, et ils se connaissaient déjà ils étaient amis depuis longtemps. On a cliqué, question de musique on a eu une bonne alchimie. Il m’appelait tous les huit mois pour me motiver à revenir, donc dès que je revenais, je savais que j’allais taffer avec lui. En plus il m’a rendu le job facile avec les prod°, ce qu’il me restait à faire c’était kicker, écrire des belles rimes. Il savait déjà que c’était mon écriture, que je voulais garder le même son que je fais depuis mes débuts. Il m’a donné des conseils, pour rendre l’album encore meilleur. À la toute fin il m’a dit “il manque peut-être un genre de sauce, comme ça” et ça a donné “Dos large“, un morceau qui a super bien marché. Il a visé juste.
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J’ai grandi à Pie-IX, et à 12 ans j’ai déménagé à Montréal-Nord, j’ai été au secondaire à Saint-Léonard et c’est là que tu te fais tes vrais amis. C’est un quartier essentiellement italien, avec Haïtiens et des latinos dans le temps. J’y ai passé une bonne partie de mon enfance. Maintenant il y a plus de diversité. C’est quand même relax, y a des bons shooters gangsters, c’est un coin connu pour la mafia, mais ça reste plus neutre, les vibes sont mélangées. C’est pour ça que ce que je raconte dans “STL Vice” c’est une histoire vraie.
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C’est une partie de ma vie, c’est une des plus grosses histoires policières du Canada. Des livres et des films ont été faits dessus. Moi j’ai vécu ça, j’étais au milieu de ça, j’ai perdu des amis, je devais rendre hommage à cette histoire. C’était ma vie, mon cercle proche, mes amis, je savais qu’il fallait une chanson sur ça. Surtout après que mon ami Ray soit mort, il aurait voulu ça, il est parti et je lui ai dit “I did it”, c’est comme mon autre partenaire Kasheem qui est mort dernièrement. C’est des gars qui ont vécu cette vie-là par choix, dans la rue la mentalité c’est que tu veux te rendre au top. Ils se sont rendus au top dans ce milieu-là. S’ils entendent ça ils seront fiers, ils seront contents.
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C’est ça, parce que moi quand je suis tombé en amour avec le hip-hop c’était dans cette era-là. J’allais à New York, Brooklyn, les étés et c’est là que je suis tombé in love. Quand “I Got It Made” [de Special Ed – NDLR] venait de sortir tout le monde jouait ça, dans les autos, partout. C’est un style de chanson que j’ai toujours voulu faire, sur ma mixtape “Skillz & Réalité” j’avais déjà un morceau comme ça, c’est “Chill” le titre. J’y ai pensé à la toute fin de l’album, je voulais quelque chose à la “Warm It Up, Kane” de Big Daddy Kane. Ruffsound a détruit le beat, ce gars est un génie. C’est un track fun, qui s’est fait rapidement. En même temps pour moi c’est une chanson commerciale, sans entrer dans la nouvelle vague. Ça pourrait se jouer dans les clubs, même si tout est fermé là avec le COVID…
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Les deux ! J’ai pas le choix de prendre mon titre de OG, c’est comme ça c’est la vie. Mais je suis un chilleur à la base, sauf quand je m’énerve bien sûr. De base je suis très cool, je m’entends avec tout le mode, je respecte tout le monde. Donc je suis les deux en fait, OG et Original Chilleur.
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Ouais exactement. L’egotrip je peux le faire, ça fait partie de ma personnalité, mais c’est pas quelque chose qui va être hyper présent si je fais un album. Je suis un gars qui aime décortiquer tout, comprendre. Quand je rappe je raconte ce que je voudrais entendre, je donne des explications, si je raconte mon histoire sans qu’on comprenne ça sert à rien. L’egotrip c’est le fun pour manier l’art du hip-hop, montrer “je suis meilleur que toi, j’ai plus de flow”. Je trouve qu’à Montréal y a pas beaucoup de monde qui a vécu tout ce que j’ai vécu, et surtout qui peut le raconter en chanson. J’ai vu le début des affaires de gang avec mon grand frère qui en faisait partie, moi j’agissais dans la street. Je suis un des seuls qui était là, et qui rappe assez bien pour le raconter et que ce soit écoutable.
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Y avait aucun calcul en fait. Dunnï fait le refrain parce qu’il est aussi producteur, et il m’avait envoyé la prod° avec le refrain déjà présent. Je me suis basé sur le beat et j’ai écrit à-côté. J’ai toujours kiffé les chansons et les refrains R&B avec des vrais messages. C’est un super morceau.
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Oui, c’est un nouveau début, exactement. Il y a une période où j’insultais les gens quand on me parlait de rap, je ne voulais plus rien entendre, je disais toujours “c’est à 99,2% sûr que je reviens pas”. Griselda m’a redonné le goût d’écrire, mais ça me donnait pas envie de revenir. À la base je suis pas un rappeur, je suis un gars qui sait rapper. La raison qui m’a fait faire une carrière, revenir avec un album, c’est quand j’ai travaillé vraiment dans la street. Je me suis dit que c’était peut-être mieux de rapper pour vivre.
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Être dans la rue, faire de l’argent et rapper pour le fun c’était mon plan, c’est pour ça que je me disais pas que j’étais pas un rappeur. Nous on parlait jamais de rap entre amis, on pouvait discuter pendant des heures sans jamais en parler. Même avec King, on parlait du rap même pas 5% du temps. Mais maintenant je sais c’est quoi les autres choses qui m’attendent si ça marche pas, la street ou le 9h-17h au bureau, et je n’ai pas envie de faire ça. Aujourd’hui à Montréal dans le rap il y a plus d’argent que dans le temps. Je me considère pour la première fois de ma vie comme un rappeur. Les autres options je ne pouvais plus revenir dedans. J’ai beaucoup d’autres projets, connectés avec le rap.
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S/O à Deep et Noper pour le graff. Deep c’est un graffeur avec qui j’ai commencé à parler quand j’ai annoncé la sortie de l’album. Il m’écoute depuis longtemps et il voulait me faire un graff, moi j’étais honoré ! Quelques jours après Kasheem est mort, alors je lui ai dit de faire un graff pour Kasheem à la place. Il l’a fait sur un train là c’est vraiment super, dans un endroit où ça va pas être effacé d’abord. Après il a aussi fait un graff pour “Dos large” et puis enfin pour “Normal de l’Est“. Il m’a surpris avec la vidéo, ça lui fait plaisir et moi je très suis honoré. C’est un de mes amis, on a créé un lien très fort.
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Dans le temps où j’ai écrit le premier “La rue m’appelle” j’étais vraiment soulé de la rue. Dans “La rue m’appelle encore” ce que je dis c’est que la rue recommence à être attirante. Ce morceau explique vraiment mon state of mind avant de revenir dans le rap. Le 9h-17h c’était pas pour moi, je suis retourné dans la rue mais sans réfléchir. À un moment je me suis dit “wow tu vas trop loin”. La rue m’appelle encore, c’est vraiment ce que je pensais avant. Maintenant il faut que j’aille à fond dans le rap, que ça fonctionne, que je fasse des affaires. L’option de la street me tente pas, et le 9h-17h me plait pas.
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J’espère, je me dis que s’ils écoutent c’est bon, parce que la qualité est là. Dans les têtes d’affiche, on a de la qualité. Je suis confiant avec le produit qui se fait ici. Je me dis que c’est juste plus fun pour vous de découvrir notre rap. Comme quand j’ai découvert le rap UK, j’ai passé des journées entières à en écouter. T’apprends les slangs, les manières de se saper, tu peux découvrir des trucs. Quand j’écoutais le rap français je comprenais pas tout, mais j’ai quand même kiffé, je voulais apprendre l’argot comme vous dites, le verlan, les différentes cités et les rivalités. Si une personne veut apprendre c’est quoi la street à Montréal, il va m’écouter.
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Je suis décidé là oui. “Normal de l’Est” c’est quelque chose qu’il fallait sortir, j’ai enlevé ma rouille. C’est sûr que je fais au moins un autre album, dans le courant de l’année. Je suis à fond dans le rap maintenant.
Vous pouvez écouter l’excellent album “Normal de l’Est” de Connaisseur Ticaso juste ici :