Avec son nouveau spectacle “Vieux Con ? La Suite…”, joué à La Cigale et en tournée, l’indomptable humoriste scrute les dysfonctionnements de la société, dérèglement climatique, atteintes contre la démocratie, utilisation de l’amalgame pour tromper… Rencontre avec un artiste qui cultive sa capacité à s’insurger autant qu’à s’émerveiller.
Avec “Vieux Con ? La Suite…”, Christophe Alévêque met plus que jamais son humour corrosif au service de la liberté de penser. Un seul en scène jubilatoire, qui se moque sans vergogne de la censure, des magouilles politiciennes, des sophismes pernicieusement assenés pour nous manipuler, des amalgames conduisant à des drames, mais aussi de ces petites lâchetés qui nous saisissent parfois.
Dans la noble lignée de Guy Bedos, Christophe Alévêque présente une “Revue de presse”, qu’il met à jour à chaque représentation. Mis en scène par Philippe Sohier (complice, depuis 1991, de notre jeune sexagénaire), ce spectacle est en évolution permanente. À l’instar des artistes de jazz, Christophe Alévêque pratique volontiers l’improvisation, cet art de créer sur le fil de l’instant.
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Christophe Alévêque : Je trouve les problématiques, que je traitais dans “Vieux con ?”, encore plus aiguës actuellement. Aujourd’hui, où le premier degré règne, le second degré est en voie de disparition. Le moralisme fuse de toute part, y compris d’une partie de la gauche. On est dans l’empire du “bien”. On parvient à nous faire gober qu’on va améliorer notre vie tout en nous la pourrissant. Le mot respect est utilisé à toutes les sauces, en particulier par ceux qui s’essuient les pieds dessus depuis des décennies. Dès qu’on l’ouvre, on est vite catapulté dans le camp des “dangereux”, des “terroristes”. Au lieu d’exprimer une valeur concernant la relation à soi et à l’autre, concernant l’harmonie sociale, le mot respect est devenu une guillotine à paroles.
On assiste à un basculement idéologique. L’extrême droite avance masquée. Elle a réussi à faire croire à beaucoup qu’elle serait démocratique et qu’elle représenterait l’avenir de la démocratie, tandis que ce qui est appelé “l’extrême gauche” serait devenu le diable. On entend Marine Le Pen arguer que l’extrême gauche est dangereuse pour la démocratie. La perte de repères engendre une totale confusion. Plein de gens sont déboussolés.
“La peur infusée en nous, pour nous tenir en laisse…”
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Christophe Alévêque : Dans “Vieux con ? La suite…”, je consacre un bon chapitre à la peur, infusée en nous pour nous tenir en laisse. L’angoisse, l’anxiété sont entretenues. Nous sommes gavés de faits divers anxiogènes. Une enquête a montré que, pour tous médias confondus – privés ou publics, et quel que soit le type de support (numérique, papier, audiovisuel, etc.) –, les faits divers constituent en moyenne 30 % des contenus, sur une année. Une manière de distiller la peur dans l’ensemble de la société.
À l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, nombre de personnes vivent dans l’immatériel, c’est-à-dire dans le fantasmé. Le fantasme va bras dessus bras dessous avec l’amalgame. On observe cela avec acuité dans l’amalgame opéré – et pas seulement sur CNews, hélas – entre, d’une part, tel fait divers effrayant mis à la une quasiment partout et, d’autre part, l’immigration, alors que des études chiffrées invalident cette thèse. Il en va de même pour la problématique du dérèglement climatique et de la transition écologique.
J’adore les chiffres. Ils traduisent du concret, et non du fantasme. Je pars d’eux, ça alimente mes sketches. À l’occasion des débats sur insécurité et immigration qui ont eu lieu autour de la loi promulguée par Macron en janvier, je suis allé consulter les documents d’un organisme d’Etat, ce que tout le monde peut faire, afin de voir les vrais chiffres. Ces chiffres montrent que l’insécurité n’a pas augmenté. En revanche, le mode de calcul a changé ! On vit dans le virtuel. Pour beaucoup, l’insécurité, c’est comme la météo, c’est du ressenti… Pourtant, des arguments solides vont à l’encontre des thèses conçues pour faire peur.
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Christophe Alévêque : Oui, j’ai parfois l’impression qu’on ne vit plus dans le pays de Descartes. Du rationnel de temps en temps, cela ne nuit en rien à la poésie qu’il est bon de préserver en soi et dans le monde. On constate que chaque fois que le mot “immigration” est employé, il lui est accolé le terme “problème”. Pour beaucoup de gens, quand ils entendent “l’immigration augmente”, ils traduisent automatiquement par “le problème augmente”, alors que des études mettent en évidence que l’immigration est une solution.
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Christophe Alévêque : Oh oui ! J’ai versé une larme… Juste avant, il y avait eu cette loi “immigration”, qui durcissait les conditions en direction des personnes exilées, et, en amont de la loi, le sinistre cortège d’expressions négatives, “il faut limiter”, “dangereux”, etc. C’est le “en même temps” de Macron…
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Christophe Alévêque : Une enfance heureuse, épanouie, à Montceau-les-Mines. Mon père, instituteur, est mort assez tôt, quand j’avais 19 ans. C’était un vrai pince-sans-rire, j’ai gardé cela de lui. Ainsi que la persévérance, que ma mère et lui m’ont inculquée.
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Christophe Alévêque : Tout à fait. Ça passait de l’histoire à la chanson française. J’ai baigné dans le répertoire de Jacques Brel, Georges Moustaki, Charles Aznavour, Georges Brassens, Léo Ferré… Cela m’a nourri. Quand nous partions avec nos parents en voiture pour les vacances, mon frère et moi connaissions par cœur les chansons de ces artistes et nous les chantions pendant tout le voyage.
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Christophe Alévêque : Oui, un magnifique hymne à la révolution… Dans un autre spectacle, j’ai repris “C’est Extra”, de Léo Ferré. Ces chansons m’ont marqué…
“Le public qui vient à mes spectacles ne se laisse pas berner par les racontars médiatiques”
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Christophe Alévêque : C’est vrai, mais on tient le coup parce qu’on exerce un métier formidable et qu’on a un public qui ne se laisse pas berner par les racontars médiatiques, mais qui nous juge à notre juste endroit : sur scène. Guy Bedos m’a dit : “Il faut faire le dos rond, tenir le cap…”. Et encore, à cette époque, les personnes publiques connaissaient la tête de leurs censeurs.
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Christophe Alévêque : Ça me fait du bien. J’ai tourné pendant 15 ans avec trois musiciens et j’ai sorti deux disques, sans prétention, juste pour le plaisir.
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Christophe Alévêque : Oui, j’étais ingérable. Mes parents ont pris deux décisions admirables, quand j’avais 8 ans : m’inscrire à des cours de piano, puis dans un club de rugby. Ça m’a canalisé. J’aurais pu bifurquer, mal tourner : les dérives de certains jeunes ne viennent pas forcément du contexte familial, comme c’est fréquemment allégué pour faire passer des lois liberticides, mais elles résultent souvent d’un contexte social âpre. Je n’ai jamais supporté aucune forme d’autorité. Le piano et le rugby m’ont fait prendre conscience que, dans une société, on a besoin de tout le monde, des petits, des grands, des maigres, des costauds… Aucune discrimination n’est acceptable. Le piano m’a calmé. J’en faisais jusqu’à 6 ou 8 heures par jour. J’en ai joué sur scène, par exemple dans mon spectacle “Ça Ira Mieux Demain” (2015).
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Christophe Alévêque : J’écoutais, entre autres, les pianistes classiques Arthur Rubinstein, Sergueï Rachmaninov…
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Christophe Alévêque : C’est exact ! Je me souviens de son splendide album de “Polonaises” de Chopin, que j’écoutais en boucle. J’aimais jouer les “Polonaises” de Chopin. Et, aussi, le rock au piano, dont un innovateur a été Jerry Lee Lewis [1935 – 2022, pionnier du rock ‘n’ roll, – NDLR]. Jerry Lee Lewis a forgé un incroyable style de jeu pianistique. Quand il se levait tout en jouant, c’était impressionnant, et ce n’était pas pour faire du cinéma. C’était parce que, s’il restait assis, sa technique, unique en son genre, lui filait des crampes. J’ai essayé de le faire, c’était trop difficile pour moi…
J’avais arrêté le piano pendant longtemps. Il y a un an et demi ou deux ans, je m’y suis remis. Quand j’étais môme, le piano m’avait sauvé. J’ai voulu en tirer à nouveau ce bien-être qu’il m’avait procuré dans mon enfance. Je suis en train de travailler sur des compos de Dave Brubeck [1920–2012, pianiste américain de jazz – NDLR]. C’est corsé. Je me suis attaqué, en outre, à “Asturias”, cette pièce du pianiste et compositeur espagnol Albéniz, qui est interprétée dans le long-métrage de Justine Triet, “Anatomie D’une Chute”, et qui revient au long du film : une mélodie véloce, un motif répété, lancinant.. Ça m’a donné envie de l’apprendre. Et là ça y est, je l’ai dans les mains, j’adore ce morceau.
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Christophe Alévêque : J’ai toujours lu de la poésie. J’ai été davantage un enfant de la chanson française que du rap. Je voue un respect et une fascination sans bornes pour les poètes. Pour moi, Claude Nougaro et Renaud, un ami dont j’admire le talent, sont de véritables poètes. Ils impriment leur sceau à la langue française, renouvellent la poésie, à l’instar des rappeurs. qui sont des chroniqueurs du monde, des poètes modernes. Ça, je peux affirmer, même si je ne suis pas un grand connaisseur du hip-hop.
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Christophe Alévêque : Beaucoup de choses… Le fait que les dirigeants nous conduisent dans la direction opposée à celle dans laquelle il serait urgent d’aller. Je parle beaucoup du dérèglement climatique, dans “Vieux con ? La suite…”. Pourtant, auparavant, sans être un climato-sceptique, je n’avais pas conscience de la gravité de la situation. Il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à étudier la question. J’ai lu en entier un certain nombre de rapports du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), il faut se les taper, ce n’est pas facile, mais je l’ai fait. On se demande si nos dirigeants les ont lus sérieusement, tant ils naviguent à vue et en dépit du bon sens.
L’incohérence, la manipulation m’exaspèrent. Rappelons que nos gouvernants ont fait entrer au Panthéon Missak Manouchian et ses camarades, accusés de terrorisme et exécutés par les nazis. En 2022, c’est d'”écoterroristes” que sont traités, par Gérald Darmanin, des militants écologistes. Certes, ces activistes effectuent parfois des interventions un peu fortes. Mais Darmanin commet un amalgame terrible. Car le mot “écoterroriste”, ainsi prononcé et répété, s’insinue insidieusement dans les esprits. Ça m’énerve ! Pour m’apaiser, je me mets au piano et j’en joue deux heures durant…
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Christophe Alévêque : La scène, parce que c’est un exutoire, non seulement pour moi, mais aussi, je ne cesse de le constater, pour le public. J’ai remarqué que les spectatrices et les spectateurs rient davantage qu’auparavant. Je pense que, face aux pressions de toutes sortes qui s’exercent sur nous, l’humour est devenu une nécessité, une soupape. La scène reste cet endroit de liberté pour le second degré, pour la prise de distance, pour un “penser autrement”. La scène est un merveilleux endroit de thérapie collective.
Entretien réalisé par FARA C.
INFORMATIONS PRATIQUES
De et par Christophe Alévêque, nouveau spectacle “Vieux con ? La suite…”, mis en scène par Philippe Sohier et présenté par Blue Line Productions / ALACA Productions:
Le 23 avril à 20 heures, à La Cigale (Paris) – 120, boulevard Marguerite de Rochechouart – 75018 Paris.
https://lacigale.fr/evenements/christophe-aleveque-vieux-con-la-suite/
Puis en tournée.
Dates sur https://www.aleveque.fr/
Durée du spectacle : 1 heure 30.
De Christophe Alévêque, le livre “Éloge Du Vieux Con Moderne” (Editions du Cerf, octobre 2021).