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À l’occasion du concert hommage – “NOUS… NOUGARO !” – de ce soir, une archive de FARA C. nous fait revivre la rencontre qui eut lieu en 2000 entre la rappeuse DiAM’S et le légendaire semeur de sonnets.

Pour commémorer les 20 ans de la disparition de CLAUDE NOUGARO, c’est un extrait du rare entretien du poète gascon avec DIAM’S qui vous est offert ici. Au même moment, un exceptionnel hommage au génie toulousain est rendu, ce 25 juin au GRAND REX, par un aéropage d’artistes : MATHIAS MALZIEU (de DIONYSOS), NATALIE DESSAY, ARTHUR H, THOMAS DE POURQUERY, BARBARA CARLOTTI, CALI, MOUSS & HAKIM… Avec des images inédites de l’INA !

Initié et produit par l’INA, “Nous… Nougaro !” est une véritable création, bénéficiant d’une scénographie spéciale et de documents visuels issus du riche fonds de l’Institut National de l’Audiovisuel, et retravaillés pour les circonstances. Sur le plateau, plus de vingt artistes revisiteront, chacune et chacun selon sa propre sensibilité, le vaste héritage nougaresque. Placé sous la direction musicale de Mathias Malzieu (chanteur et leader du groupe Dionysos), le concert conviera en outre Carmen Maria Vega, Olivia Ruiz (en tandem avec son père, Didier Blanc), l’étoile brésilienne Flavia Coelho et d’autres encore.

Cet événement s’inscrit dans le travail mené par l’INA, visant à célébrer la mémoire de sommitésde la chanson française (Alain Bashung en 2019, Barbara en 2023, Claude Nougaro en 2024), tout en mettant en lumière la vitalité créative des générations actuelles. En effet, les artistes sont invité.e.s, sur scène, non pas à reproduire tel quel le répertoire de l’artiste honoré, mais à s’en emparer et à le réinventer : une manière de souligner le caractère intemporel et universel de l’œuvre de poètes chanteurs comme Nougaro.

Immédiate complicité entre Diam’s et Nougaro (en 2000)

À ce concert parisien dédié à l’incomparable sonneur de consonnes et semeur de sonnets, j’ai eu envie d’associer la parole du hip-hop. Nombre de rappeurs et rappeuses ont déclaré avoir été marqué.e.s par cette façon unique dont Claude Nougaro faisait groover la langue française. Ayant à cœur d’interviewer, tout au long des années, et même des décennies, les artistes qui me semblent essentiels, j’aime proposer à un ou une jeune artiste de prendre le micro à ma place ; ceci, afin de renouveler la matière de l’entretien autant que celle de l’artiste interviewé. Bien sûr, nous nous voyons auparavant pour préparer ensemble l’entretien.

Photo : D.R.

C’est ainsi qu’en septembre 2000, pour le 71e anniversaire de Claude et pour la sortie de son album “Embarquement immédiat“, j’ai sollicité Diam’s, qui venait d’avoir 20 ans. Ravie, elle a aussitôt accepté d’endosser le rôle de journaliste. Peu avant, elle avait participé à l’anthologie “Hip-Hopée” et, début 1999, elle avait sorti son premier album, “Premier Mandat”. Avec l’aide – toujours bienveillante – d’Hélène Nougaro, épouse et “garde du cœur” de Claude, nous nous sommes donné rendez-vous dans l’appartement parisien du couple, dans le premier arrondissement. Immédiate a été la complicité entre ces deux figures férues de poésie.

“Langue de bois” de Claude Nougaro, extrait de l’album “Embarquement Immédiat”, 2000 (Audio)

Certaines émotions viennent de la chair des mots” (Nougaro)

DiAM’S : Ce qui nous frappe, nous qui sommes dans le hip-hop, c’est ce que vous faites swinguer les mots, comme les rappeurs essaient de les faire rebondir. Comme vous, je considère mes textes comme de la poésie, alors que la chanson n’est pas vraiment reconnue en tant que telle. Pourtant, il y a une recherche d’écriture…

CLAUDE NOUGARO : Et une recherche de la vérité. On dit souvent que je joue avec les mots, que je suis un jongleur, alors que ce sont eux qui jouent avec moi. Je suis un serviteur de ma langue. Ce n’est pas moi qui ai inventé cette architecture de sens et de sons – l’un ne va pas sans l’autre. Certaines émotions viennent aussi de la chair des mots, de leur vibration, des associations entre les sons, comme si la langue était un corps vivant. En fait, les mots peuvent se passer de nous. Ils nous inspirent quand ils le veulent bien. Je pense très humblement que je suis un médium.

DiAM’S : C’est-à-dire ?

CLAUDE NOUGARO : Dans le sens où, étant l’amant des mots, je deviens leur aimant.

Écrire, c’est une solitude” (Diam’s)

DiAM’S : Je ressens un peu la même chose. C’est comme le mystère du silence, qui n’existe plus dès qu’on prononce son nom…

CLAUDE NOUGARO : On peut dire des choses superbes, mais on n’est jamais sûr de rien. Si on arrive à évoquer le silence, c’est quand même avec des mots. La musique commence d’ailleurs par le silence.

DiAM’S : Écrire, c’est une solitude…

CLAUDE NOUGARO : Totale, oui. Mais si on choisit le métier de la chanson, c’est pour ne pas se taire, mais pour que les mots prennent leur envol vers un front, un cœur.

“Ecrire, un acte d’amour et de désarmement” (Nougaro)

DiAM’S : Au moment d’écrire, j’ai peur, quelquefois. Et vous ?

CLAUDE NOUGARO : La sudation de la peur, c’est naître. Quand on considère qu’écrire est un engagement tellement intime et qu’on va le projeter à la face des autres, on redoute parfois les représailles. Mais c’est également une passerelle qui te lance vers l’autre, un acte d’amour, de désarmement. Tu peux espérer que, dans l’autre, se niche un toi-même qui t’attendait pour être lui-même.

DiAM’S : Quand j’ai écouté “La Vie En Noir”, une chanson de votre nouvel album, j’y ai trouvé beaucoup de souffrance…

CLAUDE NOUGARO : C’est ça, le blues, non ? La trame profonde de la vie, on l’écrit toujours sur du noir. Quand Picasso peint “Guernica“, il décrit l’horreur du monde, mais il la transfigure par la beauté de la forme et de l’art. C’est une sorte de sanctification. La forme est tellement belle que cela vaut le coup d’être triste. La vie prend un sens. Pour moi, c’est le rôle de ce que l’on appelle un artiste.

“J’ai toujours défendu ma cause avec les armes dont je disposais, j’ai choisi le chant, la musique et le public” (Nougaro)

DiAM’S : Toujours dans “La Vie En Noir”, vous dites : “Chacun cherche sa cause”. Recherchez-vous encore la vôtre?

CLAUDE NOUGARO : J’ai trouvé la mienne : mon métier. J’ai toujours défendu ma cause avec les armes dont je disposais. J’ai choisi le chant, la musique et le le public, auquel je livre le livre de ma vie. Ce que je raconte est parfois transposé, mais la chanson reste le journal de bord de ma vie. Les femmes que j’ai aimées, les personnes que j’ai rencontrées, ma solitude à deux avec moi-même, ma réflexion sur le monde. Dans mes lettres, je mets tout mon être. Avec le pire et le meilleur.

Entretien organisé et recueilli en 2000 par FARA C.

Cet article est dédié à la famille de Claude Nougaro, à Hélène Nougaro, à son public (auquel il manque tant !), ainsi qu’à Diam’s et à ses fans (auxquel.le.s elle, aussi, manque beaucoup)…

“Langue de bois” de Claude Nougaro, extrait de l’album “Embarquement Immédiat”, 2000 (Audio)

INFORMATIONS PRATIQUES :

Mardi 25 juin à 20 heures, Nous…Nougaro !“, concert hommage à Claude Nougaro, au Grand Rex,
Métro Bonne Nouvelle (Lignes 8 ou 9) situé au 1, Boulevard Poissonnière – 75002 Paris.
Une création et une production INA en collaboration avec le Rat des Villes, Simone, le Grand Rex et Neutra Production.

https://www.legrandrex.com/evenement/1636#:~:text=Mardi%2025%20juin%202024%2C%20sous,un%20casting%20d’artistes%20exceptionnels.