Artiste français installé aux États-Unis, Marc Andre s’impose depuis plusieurs années comme l’une des figures montantes du hip-hop underground new-yorkais.

Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son dernier projet, « We Are Art », entièrement produit par Robearl, également connu sur les réseaux sociaux sous le nom de Ibreathemusicallday.

À travers cette interview, il revient sur son parcours hors du commun : de son enfance en banlieue parisienne à son arrivée dans le Maryland, jusqu’à New York, où il a su se faire un nom au sein de la scène artistique locale. Entre rap, mannequinat pour de grandes marques et expositions de ses œuvres picturales dans des galeries prestigieuses, Marc Andre incarne la figure d’un artiste pluriel et en constante évolution.

Propos recueillis par David Ogoubiyi-Petronio

Photos : D.R.

iHH™ : Avant même de parler musique, j’ai été surpris de voir sur ta page Instagram que tu jouais au football à New York. Est-ce que ça joue vraiment au football [appelé “soccer” aux USA – NDLR] à Brooklyn ?

Marc Andre : Franchement je joue toujours au football. Le football c’est comme une religion pour moi donc j’en fais dès que je peux en fait. En général, je joue le mardi, le jeudi et le samedi matin. À vrai dire, le football est de plus en plus populaire aux États-Unis. Régulièrement, je porte des maillots de football et les gens dans la rue sont toujours très attentifs, me posent des questions, sont curieux de savoir c’est le maillot de quelle équipe. Pour te dire, l’autre jour je portais le maillot du club de Venise (Venezia Football Club) et les gens kiffaient.

iHH™ : Du coup, sens-tu qu’une culture football est en train d’émerger aux États-Unis ?

Marc Andre : De fou. Avant, c’était quelque chose de marginal aux États-Unis alors qu’aujourd’hui, de plus en plus, tu as des évènements consacrés au football. C’est également de moins en moins rare dans la rue de voir des gens avec des maillots d’équipes de football américaines ou européennes. La dernière coupe du monde de football a été très suivie à New York.

iHH™ : Revenons sur New York, que pourrais-tu nous dire sur ta ville d’adoption?

Marc Andre : Je suis allé dans plein de villes aux États-Unis, mais New York c’est vraiment un délire à part. C’est quelque chose que tu ne peux pas comprendre avant de venir vivre ici et il n’y a rien de comparable à l’énergie que tu ressens quand tu vis dans cette ville. J’adore Paris, mais la vie à New York c’est vraiment une vibe unique. La ville est immense, mais tu sens que les gens sont soudés comme dans un village, les relations que tu as avec les gens ici sont fortes et intenses. C’est une ville où tu vas forcément rencontrer des gens. En revanche, c’est une ville où je te déconseille d’aller si tu n’es pas sociable. Si tu es du genre à vouloir être tranquille dans ton coin, je te conseillerais plutôt de te rendre dans une ville aux États-Unis où tu vas pouvoir avoir une maison et vivre dans ta petite bulle. Je pense que New York est une ville qui peut vraiment te bouffer si tu n’es pas sociable parce que c’est un endroit où tu dois marcher avec les gens pour arriver à ton but.

iHH™ : Dans quelles circonstances te retrouves-tu à déménager aux États-Unis ?

Marc Andre : Je viens de Chelles dans le 77 (Seine-et-Marne), d’ailleurs ma daronne habite toujours là-bas. Quant à mon père, lui est parti faire sa vie aux États-Unis à Washington. Je me retrouve à déménager aux États-Unis quand j’étais ado afin de rejoindre mon père à un moment où je commençais à faire un tas de conneries en France. C’était une période de ma vie ou j’étais vraiment turbulent à cause d’un tas de choses qui se passaient dans mon cadre familial. Un jour, la daronne en a eu assez de mon comportement et a décidé de m’envoyer vivre chez mon père à Washington afin que j’arrête les conneries et de me couper des fréquentations que j’avais en cité à Chelles. Ce fut vraiment un changement brutal pour moi de passer d’une vie de banlieusard à Paris avec ma mère à la rigueur d’une vie avec le daron dans un pays que tu ne connais pas. Au tout début, quand je suis arrivé chez mon père dans le Maryland c’était vraiment difficile, je ne parlais pas un seul mot d’anglais et le choc culturel est immense. En y réfléchissant, je pense que c’était une bonne chose pour moi d’arriver dans le Maryland pour m’adapter à la culture américaine. J’ai la conviction que si j’étais arrivé tout de suite dans une ville comme New York j’aurais peut-être gardé les mêmes réflexes et habitudes qu’à Paris parce que New York est une ville internationale où tu as beaucoup de français. C’est pour ça que je suis heureux d’avoir débarqué dans le Maryland parce que c’est un endroit où j’ai pu vivre une véritable expérience américaine.

iHH™ : Comment se sont passées tes années d’adaptations à la culture américaine ?

Marc Andre : Je ne vais pas te mentir, j’avais une idée de l’Amérique qui était différente de ce que j’ai expérimenté à mon arrivée dans le Maryland. La seule chose que je savais de Washington c’était que le président des États-Unis était sur place [Rires]. Quand j’arrive au lycée là-bas, les gens étaient vraiment curieux à mon égard, comme je venais d’une culture totalement différente tout le monde me posait des questions genre « Tu viens de Paris, mais qu’est-ce que tu fou ici ? » [Rires]. En y réfléchissant, le fait d’être dans le Maryland m’a permis d’avoir l’une de meilleures éducations dont je puisse rêver parce que j’ai pu me familiariser avec le mode de vie américain. Les gens du Maryland ne font pas attention à ce qui se passe en dehors de leur territoire parce qu’ils vivent dans leur propre culture. Il y a tellement de choses que tu trouves dans le Maryland que tu ne retrouves nulle part ailleurs sur le territoire américain. Ils ont leurs propres façons de s’habiller avec des paires de chaussures que les gens portent que dans ce coin des États-Unis, leur propre argot, et des styles musicaux comme le Go-Go.

IHH™ : Comment ça se passe pour toi quand tu commences à rapper dans le Maryland ?

Marc Andre : Quand tu ne connais pas les États-Unis, tu as tendance à seulement appréhender cette culture à travers les sons et carrières d’artistes qui viennent soit de New York, soit de Los Angeles alors qu’en réalité il y a de la qualité partout. Je suis donc vraiment heureux d’avoir pu faire mes marques dans le Hip-Hop du Maryland avant de venir à New York parce que cela fut vraiment formateur pour moi. J’y ai fait mes premières scènes, j’ai obtenu mes premiers fans et j’ai commencé à avoir des contacts. Il fut un temps où la scène Hip-Hop du Maryland n’avait pas beaucoup de reconnaissance des médias et du public. En ce temps, tu étais seulement soutenu par des mecs de ton quartier, ta réputation venait principalement de la perception que la rue avait de toi. Courant 2010, l’un des seuls rappeurs qui étaient reconnus là-bas devrait être Wale. Il y avait également d’autres mcs comme Shy Glissy et Fat Trel qui avaient des petits buzz. Puis la scène locale a commencé à se révéler de plus en plus avec des artistes tels que Gold Link, Tabi Bonney ou même Oddisee dans un style plus underground. Je pense aussi à IDK que j’ai rencontré au tout début de sa carrière quand on se voyait souvent sur le circuit et il arrivé de nombreuses fois que l’on partage des scènes ensemble. En y réfléchissant, j’estime avoir été chanceux d’avoir été à la fois témoin et acteur de l’émergence de cette scène avant qu’elle atteigne la popularité qu’elle a aujourd’hui.

iHH™ : Quand est-ce que tu pars du Maryland pour aller à New York? Quel a été le déclencheur pour toi ?

Marc Andre : J’ai bougé à New York vers 2015 parce que j’avais besoin d’avancer dans cette musique. Tout le monde m’encourageait à faire le grand saut, surtout Chelsea Reject, l’une de mes meilleurs potes qui est récemment décédée (février 2025). À l’époque, elle insistait sur le fait que mon son serait bien plus reconnu à New York que dans le Maryland. Honnêtement, je pense que je n’aurais jamais fait le grand saut vers New York si elle n’avait pas été là. Il y a d’autres facteurs qui m’ont influencé à prendre cette décision. Premièrement, dans le Maryland je commençais peu à peu à reprendre les mauvaises habitudes et les mauvais chemins que je prenais autrefois quand j’étais dans mon quartier à Chelles. Ensuite, il y a eu une série télévisée d’HBO « How To Make It In America » (2010-2011) qui a eu un gros impact dans ma décision de bouger à New York. En effet, quand tu regardes cette série, tu commences à avoir super faim de New York. C’est bête de dire ça, mais pour bon nombre de mes potes qui sont passés du Maryland à New York, cette série a été le principal déclencheur. Donc, un jour je suis allé voir mon daron pour lui annoncer mon intention de partir. Du jour au lendemain, j’ai pris mes affaires et je suis monté dans le Chinatown bus en me disant « J’y vais et on verra ce qu’il se passera ».

iHH™ : Comment s’est passée ton arrivée à New York ?

Marc Andre : Quand je descends du Chinatown bus à New York, j’ai seulement 40 $ en poche, un seul contact et je me fais la promesse de transformer tout ça même si cela doit me prendre le temps d’une vie. Mon mindset c’était vraiment de tenter le tout pour le tout, je ne voulais pas vieillir en me disant que je n’avais pas fait le maximum pour atteindre mes rêves et objectifs dans la vie. Ensuite, tout est vite arrivé. New York est un endroit où tout se passe pour toi à partir du moment où tu es ouvert au fait de faire des rencontres. Quand tu rencontres un new-yorker qui t’aime et qui croit en toi, cela peut être le point de départ de quelque chose de grand pour ton avenir. Ce qui s’est passé pour moi c’est que j’ai rencontré un mec qui s’appelle Chris Simon qui est aujourd’hui photographe officiel pour la ligue de baseball américaine, la Major League Baseball (MLB). C’est vraiment lui qui a commencé à m’aider et m’encourager en m’incitant à rencontrer le plus de personnes possible venant de tout milieu, même des gens en dehors de la sphère artistique. Grâce à lui je me suis retrouvé à travailler à Wall Street dans le milieu de la finance alors que je n’ai aucune qualification particulière dans ce milieu. C’est fou New York, jamais je n’aurais pensé un jour me trouver dans une position où je suis en costard à bosser dans la finance à Wall Street alors que quelques semaines auparavant il m’arrivait parfois de dormir dans la rue. J’ai compris un truc à New York, c’est que ce ne sont pas seulement tes qualifications professionnelles qui vont faire que tu vas réussir dans un boulot, c’est aussi une question de comment tu te comportes au boulot, ton état d’esprit en fait. Les gens vont vraiment être très attentifs à ton mindset, donc si tu adoptes une attitude qui montre que tu en veux, ils vont t’aider et t’accompagner afin que tu maîtrises les choses qu’ils attendent de toi en termes de boulot.

iHH™ : Ton arrivée à New York t’a amené à avoir d’autres opportunités en dehors de la musique, notamment dans le domaine du mannequinat. Comme cela est-il arrivé pour toi ?

Marc Andre : Quand tu es à New York, tu te rends compte que le fait d’être un Parisien est un avantage pour toi. Que ce soit dans ma manière d’apprécier l’art en général, ma manière de parler ou ma même façon de m’habiller, les new-yorkais ont été très réceptifs à ce côté français. Ma mère travaille à la grande épicerie de Paris et elle avait pour habitude de me ramener de belles pièces à porter. Elle me ramenait des habits Kenzo ou d’autres marques bien avant qu’elles soient connues du grand public. Du coup, j’ai toujours eu l’habitude d’avoir des tenues originales. Parfois, les gens au quartier se moquaient de mes tenues, mais je me rends compte que c’était une chance pour moi d’avoir une mère avec autant de goût, c’est quelque chose qu’elle m’a transmis et qui me sert aujourd’hui, d’avoir autant de goût. À sa façon, elle m’a préparé à ce qui allait suivre à New York. Depuis que je suis dans cette ville, j’ai pu passer de nombreux casting et défilés pour de grands noms comme Yohji Yamamoto et j’ai participé au show Yeezy Season 3 pour Kanye West au Madison Square Garden.

iHH™ : Tu es également un artiste-plasticien qui a déjà exposé des tableaux dans des galeries à New York. Peux-tu m’en dire davantage ?

Marc Andre : C’est vrai que tout s’est aligné dans le bon sens pour moi depuis que je suis arrivé à New York, autant dans le monde de la mode que dans le monde de l’art. En ce qui concerne l’art c’est quelque chose que j’aime depuis tout petit parce que ma mère prenait le temps de m’y familiariser. Du coup, je suis allé de très nombreuses fois au Louvre. Quand j’ai commencé à me lancer dans la peinture aux États-Unis, je l’ai fait au départ afin de calmer mon esprit, pas pour me faire de l’argent. Par la suite j’ai commencé à travailler mon propre style de peinture à mesure que cela prenait de plus en plus de place dans ma vie. Finalement, j’ai pris la décision de me lancer plus sérieusement dans cette activité parce que mon pote Pharaoh, qui est également français, m’a convaincu de mon potentiel artistique. Pharaoh est un mec de Paris qui a bougé à New York afin de faire avancer sa carrière d’artiste-plasticien. Quand on s’est rencontré, on est tout de suite devenu inséparable. On avait pour habitude de se retrouver dans un studio qu’on avait à Brooklyn et qui est devenu notre QG. Nous n’étions pas seuls dans ce studio, il y avait également une multitude de personnes qui travaillaient sur leurs projets personnels. L’énergie de ce lieu était incroyable, certains bossaient leurs sons ou instrus, d’autres étaient sur leurs platines et certains peignaient.

Pendant cette période, Pharaoh m’incitait toujours à faire de la peinture l’une de mes activités. Pour cela, il prenait souvent son propre parcours en exemple afin de me convaincre que la peinture est également un domaine dans lequel tu peux te faire assez d’argent pour t’en sortir. Lui vient de Paris ou cela ne se passait pas bien pour lui côté art, alors il a pris la décision de venir à New York. Il m’explique qu’il a réussi à vendre certaines de ses œuvres à 10 000 $ alors qu’il ne peignait même pas sur des toiles traditionnelles. Son délire à lui en fait, c’est d’arracher des panneaux publicitaires et de peindre derrière. Comme je le voyais réussir de cette manière, cela me donnait de plus en plus envie, je ne vais pas te mentir. Je l’ai ensuite accompagné sur Los Angeles, plus précisément à Beverley Hills. C’est vraiment lors de ce voyage à Los Angeles que j’ai pris la décision de me lancer dans la peinture parce que je découvre à cette occasion un univers de dingue. Pendant ce voyage avec Pharaoh, je me retrouve dans d’énormes maisons où tu trouves de l’art à chaque recoin. Certains artistes vivaient carrément chez ces riches collectionneurs d’arts dans un statut qui ressemblait presque à de la résidence. Avant ça, je n’avais jamais imaginé qu’un monde comme celui-ci où tu es à la fois nourri, logé et où tu as l’opportunité de vendre tes œuvres à plusieurs milliers de dollars puisse exister. Surtout, avant de partir à Los Angeles, j’étais dans un mode à New York où je survivais comme je le pouvais, à base de repas avec parts de pizzas à 1 $.

Toute cette période que j’ai passé avec Pharaoh à Los Angeles a vraiment été décisive pour moi dans le choix de vouloir me lancer dans la peinture. Une fois lancé, je me suis mis à utiliser exactement la même méthode que j’avais dans la musique quand je faisais mes instrus afin de faire cette fois-ci des tableaux. La différence principale qu’il y a entre la peinture et la musique est que je n’avais pas les mêmes attentes quand j’ai commencé. En effet, quand j’ai commencé la musique lorsque j’étais très jeune, j’avais la naïveté de me dire que j’allais percer et être riche à 25 ans. Alors que pour la peinture, je me suis juste dit que j’allais essayer et que je verrais ensuite comment ça se passe. Finalement, tout est arrivé très rapidement dans la peinture, bien plus rapidement que dans la musique. En étant totalement transparent avec toi, j’ai gagné bien plus d’argent dans la peinture qu’avec la musique. Ce que tu vas gagner dans la musique est énormément lié à ton statut et à la reconnaissance que tu as à la fois du public et des professionnels du milieu. Alors que dans la peinture, tu peux librement fixer ton prix et l’imposer aux potentiels acheteurs. La première fois que j’ai reçu un gros cachet dans ma vie, ce n’était pas dans la musique, mais avec la peinture. Je peux dire aujourd’hui que ce n’est pas la musique qui paye pour mon appartement, mais la peinture. Ensuite, il n’y a pas que l’aspect financier qui est intéressant avec la peinture puisque c’est grâce à mes tableaux que j’ai pu faire de nombreuses rencontres et plugs que je n’aurais pas pu faire autrement. C’est par exemple grâce à la peinture que j’ai eu la chance de rencontrer Westside Gunn. Malgré tout, je continue à faire de la musique parce que c’est ce que j’aime le plus et cela ne changera jamais, peu importe le billet que je pourrais faire en vendant un tableau.

iHH™ : Entre la culture française, américaine et africaine, quelle est la culture qui inspire le plus tes créations ?

Marc Andre : Je pense que la culture africaine est la chose qui inspire le plus mon art. Bien que je n’ai jamais vécu en Afrique, le temps que j’ai passé sur ce continent a eu un gros impact dans ma culture. Puis lorsque je vivais encore en France, j’étais souvent au contact de cette culture quand je me rendais à Paris pour traîner dans des quartiers comme Château Rouge et Château d’Eau. Quand j’arrive au bled, je n’ai jamais l’impression d’être un étranger et je chéris tous les moments que j’ai pu vivre avec ma grand-mère, mon arrière-grand-mère et mes cousins. J’aime tellement l’Afrique qu’il y a eu de nombreuses fois où je ne voulais même pas rentrer en France quand j’y étais.

Je suis vraiment attaché à mes racines africaines, c’est pour cela que tu les retrouves massivement dans mes peintures. Il y a aussi le fait que j’ai grandi dans un foyer où masques africains et autres œuvres propres à la culture africaine étaient omniprésents. Bien que j’apprécie énormément l’art européen avec ses grands peintres et mouvements artistiques, ce ne sont pas des choses auxquelles je m’identifie. C’est pour ça que quand j’ai eu l’opportunité pour la première fois d’exposer mon travail à New York, j’ai décidé de faire référence à l’Afrique en choisissant comme nom d’exposition « African Inferno ». Cette première résidence dans une galerie d’art, je l’obtiens à Chelsea, Manhattan, ce qui est vraiment exceptionnel pour une personne qui a seulement commencé la peinture il y a deux ans. Cette exposition, je l’ai obtenue à force d’être insistant avec la personne qui tenait cette galerie d’art. Quand le directeur de la galerie accède finalement à ma demande, il me met une pression de dingue de peur de se retrouver dans l’embarras en exposant les œuvres d’un artiste totalement inconnu du grand public. Tu sais, il y a pleins artistes à New York qui peignent depuis des années sans jamais obtenir une telle opportunité. Finalement, l’exposition se passe bien et il me présente à de nombreuses personnes et collectionneurs dont un couple de milliardaires new-yorkais reconnu de tous pour être des personnes possédant énormément d’œuvres réalisées par des artistes Afro-Américains. Tout de suite, ce couple de collectionneurs a commencé à analyser mon travail en le comparant à celui de Basquiat, chose avec laquelle je ne suis pas du tout d’accord. Premièrement, il me semble que Basquiat est allé qu’une seule fois en Afrique alors que moi j’ai eu l’occasion de visiter de nombreux pays sur ce continent. Ensuite, mes œuvres sont le fruit de choses que j’ai eu la chance de voir et expérimenter quand je me suis rendu en Guinée, au Cameroun, au Gabon et au Bénin. Le Bénin par exemple m’a beaucoup marqué et c’est une très grosse influence dans mon art. Je ne vais pas jouer au mec superstitieux qui croit en la magie, mais ce que j’ai vu au Bénin en termes de rituels et cérémonies c’est quelque chose qui m’a marqué et qui influencera toujours ce que tu retrouveras dans mes créations. C’est pour ça que mon art a pour mission de rendre hommage à la culture africaine : transmettre et traduire ce que j’ai vu et expérimenter dans un pays comme le Bénin afin de sensibiliser le public à l’art africain.

iHH™ : Au-delà du fait de rendre hommage à la culture africaine à travers tes créations, j’ai l’impression qu’il est important pour toi de faire un pont entre les différentes cultures que tu as expérimentées, n’est-ce pas ?

Marc Andre : Exactement, tu as raison, parce que je me sens relié à toutes ces cultures et mon identité est multiple. J’ai vraiment besoin de montrer que je suis issu de ces différentes cultures. Le Marc Andre qui est à New York n’oubliera jamais ses racines. Le quartier où j’ai grandi dans le 77, je l’aime encore comme si je ne l’avais jamais quitté. Je suis toujours le Marc Andre qui traînait au quartier et qui allait à Paris, métro Château d’Eau pour se faire couper les cheveux. Le fait de représenter cette richesse culturelle fait que j’ai gardé un lien inaliénable avec toutes ces cultures. Mon art me permet à la fois de rester en contact avec ces différentes cultures et avec les gens avec qui j’ai partagé des choses entre ces trois continents. Je pense que c’est pour cette raison que les gens de mon quartier me suivent toujours et sont même déjà venus me rendre visite aux États-Unis. Pour l’Afrique c’est la même chose, les gens que j’ai rencontrés sur place continuent de me suivre et de me donner de la force. C’est pour ça que j’essaye de mon mieux de faire de belles choses afin de les inspirer.

iHH™ : Quel auditeur de Hip-Hop étais-tu avant de te rendre aux États-Unis ?

Marc Andre : Quand j’étais petit au quartier on écoutait vraiment du rap tous les jours. J’estime avoir eu de la chance de grandir pendant cette période au début des années 2000 que je considère comme un âge d’or pour le Hip-Hop français. Durant ces années-là, les rappeurs français écrivaient vraiment des choses censées. À l’époque, j’écoutais beaucoup de Rohff, du Tandem, du Despo Rutti, du Ol’Kainry et du Pit Baccardi. Sinon, l’une de mes plus grandes inspirations était 2 Balles 2 Neg parce que ce sont des mecs qui viennent de ma cité, je les connais depuis que je suis tout petit. Ensuite côté US, le rap de la East-Coast c’est vraiment l’un de mes Hip-Hop préférés. Pour te dire, l’un de mes premiers concerts à Paris c’était 50 Cent et Eminem. Donc, j’étais déjà un fan de Hip-Hop new-yorkais avant même d’être aux États-Unis. Ensuite quand je suis arrivé aux États-Unis, j’ai vraiment eu l’occasion de me passionner pour cette culture parce que les Américains ont vraiment cette avance sur le monde et la capacité d’influencer à travers leurs musiques.

IHH™: Comment t’est-il venu l’idée de mélanger le français et l’anglais dans tes textes ?

Marc Andre : Honnêtement, au tout début je ne le faisais pas exprès, cela arrivait de temps à autre que je passe de l’anglais au français ou inversement quand je rappais. Puis avec le temps les gens m’ont incité à le faire de plus de plus. Je me rendais compte que je me limitais dans ma créativité en ne faisant pas appel à une deuxième langue que je maîtrise parfaitement. Encore une fois, c’est mon entourage qui m’a encouragé à pousser ce côté bilingue dans mes textes. Lorsque j’ai réalisé que les gens kiffaient réellement cette dualité entre l’anglais et le français, j’ai décidé de continuer dans cette direction.

iHH™ : Ton dernier projet « We Are Art » vient tout juste de sortir. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

Marc Andre : Avant toute chose, j’aimerais commencer par faire une grosse dédicace à Robearl, le mec qui a entièrement produit ce projet. Rob est également un créateur de contenus sur les réseaux sociaux et un music curator connu sous le nom de Ibreathemusicallday. Ce qui s’est passé pour qu’on soit en contact tous les deux, c’est que l’un de ses potes qui a une page Instagram, arabbitshole, m’a mis dans une liste d’artistes qui ont moins de 500 écoutes par mois sur Spotify et méritant une plus grande attention du public. À la suite de ça, Rob a commencé à poster mes sons sur sa page Instagram. On a ensuite échangé quelques messages avant de devenir assez rapidement de véritables potes. L’idée de faire un projet ensemble a émergé quelque temps après. Pour ce projet, tout est allé très vite en fait puisque du jour au lendemain il m’a envoyé toutes les instrus du projet. C’est tellement rare qu’un producer t’envoie toutes les instrus d’un seul coup. Quand je tombe sur les sons, je suis choqué par la qualité globale des instrus. Puis, quand j’ai écouté l’instru du son que j’ai appelé « Au revoir » sur le projet, cela m’a beaucoup inspiré. En même temps que je bossais sur l’écriture de « We Are Art », j’ai passé également beaucoup de temps avec Anastasia Caulfield qui réalise un documentaire parlant de mon parcours. Pour te la faire courte afin de te présenter Anastasia, c’est une fille qui s’apprête bientôt à sortir de l’école et le film qu’elle a réalisée pour son diplôme va faire salle comble pour sa diffusion lors du Sundance Film Festival. Anastasia m’a donc accompagné et filmé pendant tout le processus de création du son « Au Revoir ». Lorsqu’elle s’est retrouvée face au résultat final, elle était vraiment bouche bée devant la qualité du son. En fait, ce son est vraiment important pour moi parce qu’il rend hommage à mon petit cousin qui est décédé et qui croyait à fond dans le fait qu’un jour cela allait exploser pour moi dans la musique.

Finalement, l’écriture de « We Are Art » s’est vraiment imposée à moi comme un moment de thérapie. Ce projet a beau être court, mais il dit de nombreuses choses sur ma personne et mon état mental. J’ai également réalisé tous les clips vidéo moi-même. J’ai confiance dans le fait que ce projet trouvera son public parce que j’ai vraiment mis mon cœur et mes tripes dans sa réalisation. Je pense qu’aujourd’hui, les gens ont besoin d’écouter des projets où la sincérité des histoires prime sur le reste. J’ai la conviction que la pureté du storytelling peut faire la différence entre un projet qui va laisser les gens de marbre et un projet qui va au contraire marquer les gens parce qu’ils pourront s’y identifier. Sur ce point, je trouve que mon projet réussit sa mission.

MARC ANDRÉ feat. ROBEARL “Au Revoir”

iHH™ : Quand je vois l’impact de Robearl a.k.a Ibreathemusicallday ou d’autres comptes des réseaux sociaux comme Annabelle du média That Good Sh*t peuvent avoir sur la culture et la découverte musicale auprès d’un très large public, je me dis que l’on retrouve peut-être avec ces personnalités une manifestation de la grande ère des blogs des années 2010. Qu’en penses-tu ?

Marc Andre : Je suis entièrement d’accord avec toi. C’est vrai que des comptes sur les réseaux sociaux tels que Ibreathemusicallday de Robearl, Sleeping On Gems ou That Good Sh*t d’Annabelle ont aujourd’hui un impact positif sur la culture et la découverte musicale comparables à ce que faisaient dans le temps des blogs comme DatPiff ou 2dopeboyz. C’est marrant que tu fasses cette comparaison parce que je me faisais exactement la même réflexion l’autre jour quand je discutais de ce même sujet avec mon pote Young Scooter. DatPiff par exemple c’était vraiment un truc de ouf, je me souviens encore des toutes les mixtapes que j’ai téléchargé sur ce site et qui ont eu un impact sur ma culture musicale. Là toute de suite je pense tout particulièrement à une mixtape de Max B, l’une de mes préférées qui s’appelait « Wave Season » (sortie en mars 2009) que j’ai écouté des milliers de fois.

iHH™ : Qu’elle est le son de ta discographie que tu conseillerais au public français d’écouter qui ne te connaîtrait pas encore ?

Marc Andre : Je pense qu’ils devraient écouter un son qui s’appelle « Mélange » présent sur ma mixtape « Not Your Friend ». C’est une instru drumless ou je sample le film « La Haine », donc c’est un hommage au patrimoine culturel français et je rappe sur ce son à la fois en anglais et en français donc c’est une occasion pour eux de découvrir ma manière de rapper. Pour être honnête, c’est un son que j’ai fait écouter à 1000words, le photographe de Westside Gunn et il le kiffe tellement qu’il me le fait rejouer à chaque fois alors qu’il ne comprend pas un mot de français.